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Parcours de mondialisation de la photographie d’information

par Olivier Aubert,

En accompagnement d’un article titré : « Musée Picasso : Aurélie Filippetti révoque Anne Baldassari » publié le 14 mai 2014, Le Monde publie une photographie d’Anne Baldassari signée du nom du photographe, suivie des mentions : « New York Times/Redux/REA ». Sur le site du quotidien, pour lire ce crédit, il faut « caresser » le bas de la photographie. Tout cela mérite quelques explications.

Cette photographie a été réalisée par un photographe français de trente-huit ans. Elle lui a été commandée par le New York Times qui l’a initialement publiée le 29 octobre 2013. Comme le New York Times fait diffuser les images qu’il produit (commande) par l’agence Redux basée à New York, celle-ci l’a intégrée dans sa base et l’a ainsi rendue disponible pour ses clients. Et comme cette agence américaine a un contrat de diffusion avec l’agence parisienne REA, la photographie a retraversé l’Atlantique pour être publiée dans le quotidien Le Monde.

Revenons sur ce parcours, tarifs indicatifs et approximatifs à l’appui, étant précisé que la tarification est l’objet de négociations et donc de rapports de force. Les photojournalistes, en particulier, sont soumis à un marché fluctuant et opaque.

Le photographe après s’être fait connaître reçoit commande de ce portrait. Pour une telle commande, il est rémunéré en moyenne 60 jours après la publication entre 250 et 300 euros en droits d’auteur : ce qui induit qu’il devra s’acquitter lui-même de ses cotisations sociales. Une telle commande autorise la re-publication sur le site et des réutilisations sans rémunération dans le journal pendant une période moyenne d’une année. Précisons que, outre la prise de vue, il doit assurer la post production, c’est-à-dire la sélection des images, les retouches photo (saturations, corrections éclairage, contraste etc...), le « légendage » des photos et leur indexation (mots clefs, date, lieu), ainsi que la transmission des images à la rédaction, soit plusieurs heures de travail : il est fini le temps où un coursier venait chercher les films et les acheminait au labo, où ils étaient développés, puis récupérés par le journal pour être sélectionnés et légendés.

Une fois l’image ou les images de cette commande publiée(s), le service photo du New York Times les transmet, comme on l’a vu, à l’agence Redux avec qui le journal a un contrat de diffusion pour revente. À chaque vente, cette agence prend en moyenne 50 % des droits, le New York Times et le photographe se partageant les 50 % restant.

Dans le cas présent, l’agence Redux, après avoir apposé sa signature, transmet les images à l’agence Parisienne REA qui leur a ajouté sa signature et les a mises sur son serveur.

Quand le service photo du Monde décide de publier une telle photo, elle sera rémunérée sur la base du tirage du journal et de l’espace occupé dans la page par la photographie sans possibilité d’autres usages. Si la photo occupe un quart de page, de l’ordre 220 euros seront versés à l’agence REA. Une commande à un photographe lui en aurait couté de l’ordre de 350 euros. Somme à laquelle il aurait fallu ajouter des cotisations sociales et respecter des délais de paiement : ce que de plus en plus nombreux les journaux se refusent à faire malgré les aides à la presse conséquentes qu’ils reçoivent.

Dans le meilleur des cas, dans les soixante jours, l’agence parisienne REA recevra ce règlement. Elle versera de l’ordre de 50 % de la rémunération, soit environ 110 euros, à l’agence new-yorkaise Redux qui à son tour en reversera au New York Times de l’ordre de 50 %, soit 55 euros. Le photographe percevra donc la somme approximative de 27,5 euros dans un délai d’environ six mois.

Précisons encore que le groupe « Le Monde » paie à 120 ou 150 jours (soit 4 à 5 mois) !

Une publication dans Le Monde permet d’accroitre la notoriété du photojournaliste et, le cas échéant, d’accéder à de nouvelles commandes. Mais, encore s’agit-il, dans le cas présenté ici, d’une commande et pas d’une photographie qui aurait été réalisée à l’initiative du photographe.



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Un hommage unanime et amplement justifié a été rendu à la photojournaliste Camille Lepage, 26 ans, tuée dans une embuscade en République centrafricaine. Évoquer la grande précarité du photojournalisme est une autre façon de lui rendre hommage.

Olivier Aubert

 Un article à lire sur le site du Progrès : « Ces photographes de guerre qui risquent leur vie pour moins qu’un Smic »

 
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