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Mieux que Netflix… BFM-TV !

par Pauline Perrenot,

Les « longs formats » de BFM-TV font la part belle au sensationnalisme : fascination pour les puissants, personnalisation, dépolitisation de la politique. Comme dans une série télévisée, l’actualité est romancée, et le journalisme, comme l’information... malmenés.

Dans notre Médiacritiques n°36, nous publiions quelques morceaux choisis de l’émission « Ligne Rouge », estampillée BFM-TV :



Auxquels nous pourrions ajouter pêle-mêle « Inside Trump », « Ligonnès. L’incroyable fausse piste », « Élizabeth II. Les secrets d’un empire », « François Fillon. Après le crash », « Curtis. Chien tueur ? », « Carlos Ghosn. La grande évasion » ou encore « Isabelle Balkany. La taulière ». Mais également « Brigitte Macron. L’influente », « Dupond-Moretti. L’ogre de la justice », « Marion Maréchal. Les ambitions secrètes », ou « Bernadette et Jacques. Les inséparables ». À moins qu’on ne leur préfère le magazine « 7 jours BFM », proposant un répertoire tout aussi varié et non moins exaltant, garanti sans déjà-vu : « Balkany, l’empereur de Levallois », « Carlos Ghosn, les secrets d’une chute », « Boris Johnson. Le manipulateur » ou encore… « Les derniers secrets d’Epstein ».

Une telle maîtrise de la titraille confine à l’exercice de style, et inviterait à la parodie si les sujets ne révélaient pas « l’inanité et l’inutilité sans frontière médiatique du journalisme politique dominant qui, même lorsqu’il dispose d’un format non contraint pour s’exprimer, de temps et de moyens pour travailler, ne sait rendre compte de la vie politique que comme une suite de "coups", et plus particulièrement de "coups de comm’", joués par une poignée de responsables de premier plan. [1] »

Car en effet, chacune de ces enquêtes nécessitent des moyens conséquents. Les formats de 26 minutes requièrent six semaines de travail, divisées entre deux semaines d’enquête, deux autres de tournage, et deux dernières pour le montage. Pour les formats de 52 minutes, on passe à un total de trois mois et demi de travail. C’est ce que raconte fièrement la rédactrice en chef des « long formats », Myriam Alma, dans une confession en tête-à-tête avec sa chaîne. Où l’on prend également connaissance des commandements qui président au choix des « enquêtes » : « Il y a deux principes pour qu’un sujet puisse correspondre aux longs formats : il faut qu’il y ait de l’info et ensuite un lien avec l’actualité. »

Diantre ! À la lumière d’une telle ligne éditoriale, on s’étonne donc de ne pas trouver un long format sur la rapacité des grands patrons, gavant leurs actionnaires en licenciant à tout-va sur le dos du Covid (« actu » et « infos » garanties) ; ou, encore, dans un autre style, une enquête sur l’engagement de Patrick Drahi dans les enchères pour les fréquences 5G (« actu » et « infos » garanties aussi, prime « indépendance »).

En attendant que « Ligne rouge » franchisse le pas, nous serions plutôt tentés de considérer ses longs formats comme autant de réponses peu coûteuses aux principes du buzz et de la fait-diversion de la politique, recyclant les éternelles mêmes thématiques, les éternels mêmes angles et les analyses indigestes des éditocrates-maison, régulièrement mis à profit. Le tout pour un immense gâchis… quand bien même la rédactrice en chef s’enorgueillit des dispositifs, à l’instar de celui ayant encadré l’ « enquête exceptionnelle » sur Carlos Ghosn, diffusée le 21 janvier 2019 :

Pour l’évasion de Carlos Ghosn, à ce moment-là, on a envoyé un JRI au Japon, un JRI en Turquie, et un autre au Liban !

Oubliant, modeste, de compléter le tableau de chasse… la présence de BFM-TV au Japon ayant en l’occurrence permis de tirer au clair un des éléments les plus savoureux de l’enquête judiciaire, aux côtés d’un restaurateur local : « [Carlos Ghosn] a mangé des brochettes de poulet et une salade. Son plat préféré ce sont les brochettes de poulet aux poireaux, et celles aux asperges avec du bacon. » [2]

Une débauche de moyens au moins aussi utile à l’intérêt général que celle qui déboucha, en janvier 2020, sur l’épisode « Léa Salamé en exclu au Liban ». Épisode qui restera en revanche dans les annales, pour avoir offert à chaque auditeur, quelques jours avant la tempête Covid, une tempête émotionnelle entre les rires et les larmes, payée par ses propres impôts [3].


La « série » Daval : le « feuilleton » de trop


Que ce soit donc au travers de courts ou de longs formats, BFM-TV ne semble jamais à court de recettes pour remplir son antenne à grand renfort de malinformation. Parfois jusqu’à la nausée. Exemple : le buzz se mariant divinement avec le voyeurisme, la chaîne d’info ne résiste pas à l’appât du feuilleton judiciaire. En particulier si l’enquête est longue, éprouvante et, à tout point de vue, sordide. Ce fut le cas de l’affaire Daval [4] ; c’est pourquoi BFM-TV décida, en toute délicatesse, d’en faire… une série. Au nom du journalisme :

Et pour mieux comprendre les enjeux, le caractère hors-norme de cette affaire, vous avez rendez-vous ce soir sur l’antenne de BFM-TV avec l’intégralité de « Daval, la série », les quatre épisodes ! Série que vous pouvez aussi retrouver en replay sur toutes les box et sur le site bfmtv.com. (Présentateur de BFM-TV, 20 novembre)

Une « série » donc, promue comme il se doit à coups de bandes annonces, diffusée jusqu’à plus soif sur la chaîne (en concurrence avec LCI qui produisit sa propre « série Daval » au même moment), scénarisée comme un polar avec ralentis sur fond de musique sinistre, et romancée à la manière d’un roman de gare :

Les équipes de Ligne Rouge proposent le récit de ce drame familial en quatre épisodes, racontés chacun par un des personnages clés de l’affaire : Épisode 1 : « Moi, Jonathann Daval » - raconté à la première personne à partir des éléments de l’enquête. Épisode 2 : « Le mensonge » - raconté par Jean-Pierre Fouillot, le père d’Alexia Daval. Épisode 3 : « Les aveux » - raconté par Randall Schwerdorffer, l’avocat de Jonathann Daval. Épisode 4 : « Le face-à-face » - raconté par Isabelle Fouillot, la mère d’Alexia Daval.

Si vous croyiez en avoir terminé avec les « drames familiaux », c’était sans compter sur BFM-TV. Et tant pis pour les féminicides. D’ailleurs, tant pis pour le traitement médiatique des violences sexistes en général, dont la chaîne pulvérise pour l’occasion un certain nombre d’acquis, n’hésitant pas à évoquer par exemple le « caractère rude » d’Alexia Fouillot, la fameuse « dispute de trop », sans compter l’iconographie, révélant une déontologie exemplaire :



***


De « séries » judiciaires indécentes en biopics complaisants de responsables politiques à la moralité douteuse, en passant par les feuilletons attachés à réhabiliter des « personnalités » dites « sulfureuses » (Bernard Tapie, Didier Raoult, Gérard Depardieu, etc.), les longs formats de BFM-TV semblent davantage annexés sur le degré de « scandale » et formatés pour le racolage plutôt que pour l’enquête documentaire. Les reportages thématiques (gilets jaunes, hôpital…) restent ainsi minoritaires – et du reste, non exempts de travers – dans un océan de vacuité. Comme quoi, la misère de l’information télévisuelle n’est pas qu’une affaire de manque de temps…


Pauline Perrenot (avec Antonin Padovani pour le montage)

 
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Notes

[1Comme nous l’écrivions à propos de l’un de ces longs formats intitulé « Qui a tué François Fillon ? ».

[3Parce qu’on ne s’en lassera jamais, Léa Salamé à Carlos Ghosn : « Pour beaucoup d’enfants vous êtes l’homme qui a voyagé dans la malle. […] La malle, pas la malle ? […] Allez, un petit indice ? Tout le monde rêve de savoir ça ! »

[4Jonathan Daval a assassiné sa compagne Alexia Fouillot avant de partiellement brûler son corps et de le dissimuler dans les bois.

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