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Matinales radio (2/2) : les angles morts de l’information médicale

par Lucile Girard, Pauline Perrenot,

Dans notre précédent article consacré à l’analyse des invités des principales matinales à la radio (mars-avril 2020), nous abordions la question du pluralisme politique, économique et social. Dans ce deuxième volet, nous nous intéressons plus particulièrement aux personnels de santé invités. L’irruption de ces professionnels sur le devant de la scène médiatique, d’ordinaire peu visibles, n’a évidemment rien d’étonnant compte tenu de la crise sanitaire. Mais qui sont-ils ? Quelle parole ont-ils portée ? Et quelles visions de la crise du Covid ces invitations ont-elles construites ?

287 invitations, réparties en 10 catégories : c’était notre décompte des invitations des « grandes » interviews matinales radiophoniques sur la période de mars-avril 2020 [1].

La catégorie « Santé », à laquelle nous nous intéressons plus particulièrement ici, compte 64 invitations : 52 concernant des « professionnels de santé » (parfois plusieurs fois les mêmes - soit 22% au total) et 8 passages médiatiques accordés à des membres du « conseil scientifique » mis en place par le gouvernement (soit près de 3% des interventions). Les professionnels de santé (médecins, cadre de santé, psychologue, pharmaciens) ont des diplômes régis par le code de la santé publique et/ou ont une activité en matière de santé qui est reconnue par ce code. Les autres professionnels travaillent effectivement dans le domaine de la santé, mais sont hauts fonctionnaires ou présidents de structures hospitalières sans être eux-mêmes des professionnels de santé au sens du code de la santé publique.


L’étude de ces intervenants révèle plusieurs caractéristiques : les professionnels de santé invités sont essentiellement des hommes, médecins et parisiens. Les autres travailleurs de l’hôpital sont donc largement invisibilisés, malgré les enjeux importants que représentent leurs conditions de travail dans une période de crise sanitaire. Enfin, certains invités cumulent différentes « casquettes » (politiques, entrepreneuriales, etc.) sans que celles-ci ne soient systématiquement mentionnées ou interrogées par les animateurs, et malgré de potentiels conflits d’intérêts. Un constat qui pose cette fois-ci la question de la rigueur journalistique et à travers elle, de la qualité de l’information scientifique et médicale.


Des médecins et des hommes parisiens


Première observation : comme c’est le cas pour l’ensemble des invités, les matinales radio ont, parmi les professionnels de santé, très majoritairement donné la parole à des hommes : à hauteur de 90% des interventions (soit seulement 5 interventions de femmes sur 52). Alors même que les soignantes sont majoritairement des femmes [2]. Une disproportion particulièrement troublante pour ce secteur !

Deuxième observation : si l’on met de côté les intervenants étrangers [3], une écrasante majorité des interventions de professionnels français sont réalisées par des franciliens. Que l’un des foyers majeurs de contagion soit alors localisé dans l’Est de la France n’y change pas grand-chose : les matinales se focalisent toujours sur ce qui se passe dans la capitale et, éventuellement, sa petite couronne. On ne relève ainsi qu’une seule intervention d’un professionnel de santé non francilien : un médecin du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Strasbourg [4]. Dérisoire donc… À croire qu’il n’y aurait pas de spécificité régionale et que ce qui se passe à Paris est transférable à n’importe quel autre endroit. Quant aux professionnels de santé des zones « moins touchées » par la propagation du virus, ils n’auront tout simplement pas la parole.

Troisième observation : les professionnels de santé invités par les matinales radio sont, dans leur écrasante majorité, médecins [5] : 44 interventions sur les 48 étudiées, soit 92%. La plupart du temps, ces médecins sont à la fois chercheurs (Professeurs des Universités, PU, ou Maître de Conférence, McF) et médecins (Praticiens Hospitaliers, PH). Ce profil représente plus de 70% des interventions de médecins (32 sur 44).



Occupant le haut de la hiérarchie médicale, ils peuvent ainsi témoigner à (au moins) deux titres : en tant que salariés des hôpitaux et bien souvent chefs de leur service ; et en tant que scientifiques, au plus près de la recherche en train de se faire. S’agissant des spécialités médicales : les interventions de médecins-chercheurs travaillant sur les questions liées au virus et à sa propagation sont les plus nombreuses. Ainsi, on dénombre quinze interventions d’infectiologues, trois d’épidémiologistes, deux d’immunologistes et une d’un parasitologue.

On peut évidemment comprendre une telle polarisation : il s’agit, pour les rédactions des matinales radio, de chercher à rendre intelligible la crise sanitaire en cours, en donnant la parole à des chercheurs travaillant directement sur le virus ou en tant que spécialistes de ce type de maladie. Des chercheurs détenteurs d’un savoir légitime et dont la parole, à ce titre, peut être utile pour comprendre la situation sanitaire et diffuser des connaissances scientifiques.

Leur surexposition pose toutefois question à plusieurs titres, comme nous l’avions évoqué dans un précédent article. Notamment lorsque les chercheurs s’expriment à partir de résultats partiels, et qu’on leur enjoint de livrer des avis tranchés ou des prédictions. Sans compter le fait que les intervieweurs des matinales ne sont pas des journalistes spécialisés, et donnent la parole à des experts sans être en mesure de remettre en perspective leurs travaux (méconnaissance des spécialités et de l’état de la recherche).


Marginalisation des travailleurs de l’hôpital


Par ailleurs, la surreprésentation des médecins chercheurs montre que la crise du Covid a été surtout appréhendée à travers un prisme strictement « sanitaire », focalisé sur l’état des connaissances scientifiques – particulièrement flou durant les six premières semaines étudiées –, au détriment d’autres enjeux. Comme, par exemple, celui des conditions de travail à l’hôpital (ou dans d’autres structures de soin). Certes, les médecins-chercheurs sont aussi salariés des hôpitaux, et peuvent donc s’exprimer sur les conditions de travail dans leur établissement. Mais on constate, à nouveau, que les premiers concernés ne sont pas sollicités [6]. N’inviter que des médecins – occupant les positions dominantes dans le champ médical – pour évoquer les conditions de travail à l’hôpital confisque de fait la parole d’autres catégories de travailleurs.

De même, on n’a pas entendu celles qui sont les plus nombreuses à l’hôpital : ni les infirmières, ni les aides-soignantes, ni les Agents des Services Hospitaliers (ASH) chargées de l’entretien et de la désinfection des locaux. Ces personnels, très majoritairement féminines, sont pourtant fortement mobilisés et au plus près des changements organisationnels opérés dans la période. Au contraire, pour évoquer cette réorganisation des services, on donnera là encore la parole à des chefs de services ou à Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, par deux fois. Ainsi, les premières concernées, tout comme celles qui sont directement chargées de mettre en œuvre la réorganisation, de gérer les plannings et le matériel, ne furent pas invitées.

La marginalisation des points de vue des travailleurs – en particulier les plus « revendicatifs » – transparaît également dans l’absence de représentants syndicaux ou de membres de collectifs dans les matinales. Des collectifs mobilisés pourtant depuis des mois dans le cadre des luttes pour l’obtention de moyens à l’hôpital (comme les collectifs inter-urgences et inter-hôpitaux), et dès le début de la crise sanitaire dans un contexte de criantes pénuries (lits, respirateurs, masques).

À l’image d’autres catégories de professionnels, les représentants invités (parfois plusieurs fois, sur différentes antennes) sont ceux des dirigeants [7] :

- Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France sera invité à trois reprises (France Inter, France Info et RMC) ;

- Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée et président de Cap Santé [8] est invité sur Europe 1 et RMC ;

- Romain Gizolme, directeur de l’association des directeurs au service des personnes âgées [9], sera reçu dans la matinale d’Europe 1.

Le constat est sans appel : la parole donnée aux professionnels de santé reste peu diverse, majoritairement concentrée sur ceux qui occupent les positions dominantes dans leur champ, à savoir les médecins-chercheurs des grandes structures hospitalières de la capitale, ou bien à des représentants de fédérations ou de structures représentant les directeurs [10]. Les nombreux travailleurs de l’hôpital, en première ligne, seront ainsi largement marginalisés, de même que d’autres structures du soin – professions libérales du soin et de l’aide à la personne, Ehpad, psychiatrie, etc. (voir l’annexe 1). Un constat qui rejoint celui que nous faisions à propos d’autres catégories, et qui ici non plus, n’a rien d’inéluctable : il témoigne plutôt de la vision étriquée que construisent les grands médias du « monde de la santé », et de ses problématiques face à la crise.


Doubles casquettes : le dévoiement des questions sanitaires ?


La promotion des points de vue dominants et son pendant – la marginalisation de la parole des travailleurs – se vérifie également dans le choix des « non-professionnels de santé » invités à s’exprimer sur la crise sanitaire [11]. On trouve dans cette catégorie à la fois des directeurs d’institutions de santé publique ou d’agences gouvernementales de santé ; des présidents de syndicats ou d’associations. De plus, des directeurs d’entreprise, dont les activités sont directement liées au monde de la santé, mais qui n’entrent pas dans les 12 invitations citées car ils font partie de la catégorie « Business » présentés dans l’article général sur les matinales ont été également invités. À titre d’exemple, intéressons-nous donc à ces invités à travers deux exemples et une problématique générale : ont-ils été conviés pour faire état de la crise dans leurs structures ou défendre leurs intérêts privés ?

On l’a indiqué précédemment : toutes matinales confondues, un seul professionnel de santé a été sollicité pour témoigner de la crise des Ehpad (France Inter, 2/04). Le thème a également été abordé sur Europe 1, à ce détail près que la parole a été accordée pour cela à Nadège Plou (13/04), responsable des Ressources humaines (RH) du groupe Korian [12]. Nadège Plou n’est pas une professionnelle de santé : elle est issue du secteur privé et a occupé des postes hiérarchiques chez Carrefour, la Fnac ou encore Tati, trois entreprises dont les préoccupations – nous en conviendrons – sont bien éloignées du monde du soin.

On peut dès lors questionner le choix d’inviter une responsable RH pour évoquer la situation dans les Ehpad, alors qu’on n’aura pas donné la parole aux soignants de ces structures. Une confiscation de la parole à peine tempérée par le fait que l’un d’entre eux témoignera par téléphone, au cours de la matinale, pour contester l’organisation mise en place dans un établissement Korian [13], et expliquer que l’objectif du groupe est avant tout la rentabilité financière. Les critiques seront balayées par la responsable RH et présentées comme mensongères. Quant à l’animateur, Matthieu Belliard, il ne cherchera pas plus loin, acceptera le rectificatif, et « oubliera » de questionner son invitée sur les dividendes prévus pour les actionnaires du groupe. Un sujet pourtant brûlant… et documenté : des informations chiffrées étaient disponibles depuis fin février dans un communiqué de presse publié par le groupe Korian lui-même. Autant dire que l’intervieweur a ici pleinement investi son rôle de contradicteur !

Autre exemple, sur un tout autre sujet : le 30 mars, la matinale de RTL invitait en duo Laurent Lantieri – chirurgien plasticien (médecin et chercheur) auteur de la première greffe de visage – et Franck Zal – biologiste, PDG, fondateur de l’entreprise Hémarina [14] et par ailleurs assez médiatisé [15]. Les deux professionnels sont sollicités pour parler de leur « découverte » : ainsi que le présente RTL, « un ver marin qui contient une molécule capable de miracles en terme d’oxygénation. Il suscite de grands espoirs. […] Pourrait-on imaginer cette super-hémoglobine dans l’arsenal des réanimateurs qui luttent face à l’épidémie de Covid-19 ? » L’intervieweuse Alba Ventura va même plus vite en besogne, en annonçant à l’antenne, sans conditionnel, que leur travail « peut sauver des patients en réanimation malades du Covid 19. »

Un allant qui n’est pas sans rappeler l’emballement des grands médias à propos d’autres « remèdes » supposés « miracle », de la chloroquine à la nicotine pour ne citer que deux exemples. Emballements qui, répondant aux logiques de « scoop », abandonnent généralement la rigueur de l’information sur le bord du chemin, tout en contribuant à la promotion des entreprises privées des scientifiques concernés [16]. Et de fait, quelques jours plus tard, 20 minutes (9/04) annonce que l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) a suspendu l’essai clinique [17], et avec lui… les espoirs de RTL !

Mais la palme de l’instant promotionnel, sous prétexte de couvrir « l’actualité scientifique », revient tout de même à la matinale de RMC (20/04), qui invite Olivier Bogillot, PDG de Sanofi (et ancien conseiller santé de Nicolas Sarkozy, comme le rappelle Jean-Jacques Bourdin) à faire librement sa réclame en ouverture de séance :

- Jean-Jacques Bourdin : D’abord, vous aviez une annonce à faire je crois. Un don à la collectivité. Sanofi s’engage. Expliquez-nous. »

- Olivier Bogillot : Oui absolument, on est aujourd’hui engagés à travers notre mission […], Sanofi a décidé de faire un don de 100 millions d’euros aux hôpitaux, Ehpad et entreprises de santé engagées contre le Covid.

Amen.

Dans le même ordre d’idées, certains « invités santé » (qu’ils soient professionnels de la santé ou membres de fédérations regroupant des établissements de santé) peuvent aussi avoir (ou avoir eu) des mandats politiques, quoiqu’invités au premier chef en tant que médecins. C’est le cas par exemple de Jean Rottner (médecin urgentiste et président LR de la région Grand-Est). Il est invité trois fois dans trois matinales différentes. De même que Philippe Juvin (RMC, Europe 1 et France Inter), chef de service des urgences à l’hôpital Georges Pompidou, mais aussi maire LR de La Garenne-Colombes et ancien député européen (jusqu’en 2019). Dans son cas, les trois matinales précisent sa casquette politique. Contrairement à Frédéric Valletoux (directeur de la Fédération hospitalière de France qui est aussi maire de Fontainebleau et conseiller régional en île de France) : invité à trois reprises (RMC, France info et France Inter), seule la dernière station mentionnera son mandat de maire sans toutefois préciser la couleur politique [18].

Quand les doubles casquettes ne sont pas passées sous silence, elles servent à asseoir encore davantage l’autorité de l’interviewé, sans que les médias ne portent plus d’intérêt au mélange des genres, et à ce qu’il peut impliquer. L’invitation de Philippe Douste-Blazy (épidémiologiste et ancien ministre) dans la matinale Europe 1 est à ce titre… éclairante. Convié à évoquer ses prises de positions vis-à-vis des traitements à l’hydroxychloroquine, surtout parce qu’il est à l’initiative d’une pétition pour élargir l’autorisation de sa prescription, la double casquette (à la fois médicale et politique) est soulignée tout au long de l’interview pour renforcer la légitimité des propos. Ainsi Sonia Mabrouk fait-elle le parallèle entre les positions de son invité et celles d’Olivier Véran, l’actuel ministre de la Santé, tout en rappelant que Philippe Douste-Blazy est aussi professeur de médecine et à ce titre, bien au fait des précautions à prendre lorsqu’on parle d’essais cliniques, et de l’importance de la déontologie médicale :

- Sonia Mabrouk : Si vous étiez, Philippe Douste-Blazy, ministre de la Santé en ce moment, si vous étiez durant cette crise inédite, en charge de la santé des Français, auriez-vous, en responsabilité, en conscience, autorisé justement l’élargissement de la chloroquine ?

- Philippe Douste-Blazy : Oui. Je l’aurais fait.

L’invité embraye alors en faisant l’éloge des résultats de Didier Raoult et de son équipe... Mais ce que ne précise pas Sonia Mabrouk ni personne dans la matinale, c’est que Douste-Blazy est membre bénévole du conseil d’administration de l’IHU Méditerranée Infection, à savoir le laboratoire de Didier Raoult [19]. Une appartenance qui aurait pourtant mérité un signalement...


***


Une nouvelle fois, on constate que les matinales n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Déconnectés de la réalité, les journalistes qui les animent ont invité leurs semblables – des CSP+ parisiens – en omettant – comme c’est souvent le cas – de présenter l’intégralité de leur curriculum vitae. Le traitement médiatique massif (et légitime) de la crise sanitaire n’a en outre jamais bousculé le modèle des matinales : quand bien même les sujets traités requerraient un haut degré de spécialisation, les journalistes scientifiques furent laissés dans l’ombre, et les « têtes d’affiche », spécialistes de tout et rien, en pleine lumière.


Lucile Girard et Pauline Perrenot (avec Maxime Friot et Denis Pérais)


Annexe 1 : L’exercice libéral, les Ehpad, la psychiatrie… : les grands absents


L’exercice libéral ne sera l’objet que de deux interventions : deux médecins, dont l’un est président du syndicat des médecins généralistes. Pourtant, de nombreux professionnels libéraux ont été confrontés à des difficultés d’organisation et à des manques d’équipements de protection au moins aussi grands – si ce n’est plus – que ceux des hôpitaux. Et les professionnels libéraux sont loin d’être tous médecins ! On n’entendra pas une seule fois, en un mois et demi, les soignantes ou les auxiliaires de vie, qui travaillent au domicile des personnes, souvent âgées.

De même, la situation dans les Ehpad [20] ne fera l’objet que d’une seule intervention (un homme, cadre de santé). Alors même que leurs patients (et soignants) sont particulièrement exposés. Cette absence est d’autant plus flagrante qu’assez rapidement, les chiffres des décès dans ces établissements ont fait l’objet de points réguliers. Les intervenants qui seront invités à parler de la situation dans ces structures n’ont rien de professionnels de terrain : il s’agit, entre autres, de Frédéric Valletoux (président de la Fédération Hospitalière Publique, fédération qui comprend aussi des Ehpad), ou encore Phillipe Juvin, chef de service... des urgences ! Vous avez dit confiscation de la parole ?

Enfin, on n’entendra pas du tout parler les professionnels des structures de soins psychiatriques non hospitalières, qui, comme leurs confrères et consœurs des hôpitaux, ont été fortement impactés dans leur travail par la crise sanitaire. Des soignants qui manifestent en outre depuis plusieurs années pour dénoncer le manque de moyens humains et matériels dans leur secteur.


Annexe 2 : Professionnels de santé : de fortes disparités entre les stations


Point méthodologique : sont comparées ici trois des cinq stations, qui ont invité une quantité comparable de professionnels de santé [21] : à savoir France Inter, RMC et Europe 1 qui comptent respectivement 17, 13 et 13 invitations à l’antenne [22].

- Sur RMC, le pourcentage élevé d’interventions de professionnels de santé (42% ou 13 invités) masque une très faible diversité des intervenants. Ainsi, 12 interventions ont été le fait de médecins chercheurs (PUPH) [23]. Les autres catégories de travailleurs seront quant à elles complètement invisibilisées. La particularité de la station par rapport aux deux autres matinales (France Inter et Europe 1), c’est de réinviter plusieurs fois les mêmes professionnels : Éric Caumes [24] sera invité deux fois, et Gilles Pialloux [25] sera quant à lui invité pas moins de quatre fois. De quoi s’interroger aussi sur la fabrication de figures médiatiques, et le phénomène des « bons clients » qui semble ici à l’œuvre, les deux médecins ayant été extrêmement médiatisés ailleurs dans l’audiovisuel et dans la presse.

_- Dans la matinale d’Europe 1, non plus, la diversité des intervenants n’est pas au rendez-vous… Notons tout d’abord que la matinale ne donnera la parole à aucune femme professionnelle de santé. Ensuite, sur 13 interventions, 8 ont été réalisées par des médecins chercheurs, auxquels on peut ajouter Rémi Salomon, médecin et directeur de la commission médicale de l’AP-HP. Sur les quatre autres interventions, trois ont été réalisées par des médecins : Xavier Emmanuelli, le fondateur du Samu Social, invité pour parler de la mise en place d’un numéro spécifique à cette structure, dont il est le fondateur (même s’il n’y travaille plus aujourd’hui) ; Jacques Battistoni le président du syndicat MG France ; et Stéphane Clerget, psychiatre travaillant dans un service de maladies infantiles. Les deux premiers occupent des positions dominantes dans la santé, quant au troisième, il semble être un habitué de la station [26]. Enfin le dernier invité, Romain Wantier est le seul non médecin des invités santé de la matinale. Il est psychologue et coordonne le dispositif de crise (plan blanc) de l’hôpital Jean Verdier de Bondy. Sur Europe 1, les invités qui ne sont pas des médecins chercheurs sont donc soit des professionnels exerçant des responsabilités (comme Roman Wantier), des figures médiatiques (comme Xavier Emmanuelli) ou bien des spécialistes maison (comme Stéphane Clerget).

- France Inter se distingue, quant à elle, par une diversité légèrement plus grande de ses invités. Ainsi parmi les 17 invités, « seulement » 11 sont des médecins chercheurs (PUPH), auxquels on peut ajouter deux médecins qui ne sont a priori pas des universitaires mais qui travaillent également à l’AP-HP. Ce qui permettra d’entendre quatre catégories de professionnels qui n’ont été sollicitées nulle part ailleurs : une psychothérapeute parisienne ; un médecin généraliste de Seine-Saint-Denis ; une médecin gynécologue-obstétricienne, Ghada Hatem, également directrice d’une structure associative prenant en charge les femmes victimes de violences et de l’excision ; et enfin un cadre de santé en Ehpad [27]. Ces invités, bien que très minoritaires, permettent d’entendre d’autres réalités : les Ehpad, la médecine de ville, ou encore les violences contre les femmes. Reste que là encore, les médecins – qui sont aussi des supérieurs hiérarchiques – restent majoritaires [28].

 
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Notes

[1Ce décompte inclut France Inter, RMC, France Info, RTL et Europe 1. Voir notre précédent article pour les précisions méthodologiques.

[2D’après les chiffres de la Direction de la recherche, des études, et l’évaluation et des statistiques (DREES) de janvier 2018, si les médecins sont encore plus souvent des hommes, on compte tout de même 45,8% de femmes. Les autres professions de la santé sont majoritairement féminines : les infirmières, les aides-soignantes et les cadres de santé sont des femmes à plus de 80%, et ces professions sont celles qui comptent le plus d’effectifs.

[34 invitations sur 52 ont été passées à des professionnels (médecins) exerçant à l’étranger : deux en Suisse, un aux États-Unis, un en Chine (à Wuhan).

[4Deux autres intervenants non franciliens sont Denis Malvy, médecin au CHU de Bordeaux, mais surtout membre du conseil scientifique et invité deux fois à ce titre ; et Jacques Battistoni, le président du syndicat de médecins généralistes MG France, qui est invité en tant que représentant de l’ensemble des médecins généralistes. Ils ne sont donc pas, a priori, invités pour témoigner de ce qui se passe dans leurs régions, même si la situation pourra être évoquée.

[5À nouveau, on ne traitera ici que des professionnels de santé français, les statuts n’étant pas comparables à l’échelle internationale.

[6À titre d’exemple : c’est Mathias Wargon, chef des urgences du centre hospitalier de Saint-Denis et mari de la secrétaire d’État à l’Écologie, qui témoigne des rémunérations trop faibles des médecins étrangers qui travaillent à ses côtés. Un sujet de grande importance. Mais que se serait-il passé si ce chef de service n’avait pas voulu ou simplement pensé à prendre la parole sur ce sujet ?

[7Hormis Jacques Battistoni pour le syndicat des médecins généralistes.

[8Regroupement d’établissements de santé privés.

[9Association des cadres de direction du public et du privé.

[10Notons toutefois qu’il existe d’assez fortes disparités entre les stations (voir l’annexe 2), France Inter sollicitant quatre types de professionnels qui ne le furent nulle part ailleurs. Bien que minoritaires, ces invités permettent d’entendre d’autres réalités : celles des Ehpad (via une cadre de santé), de la médecine de ville (via un généraliste, non-représentant d’un syndicat), et des femmes victimes de violences (via une médecin de ville gynécologue-obstétricienne).

[11Comme indiqué en introduction, ces « non-professionnels de santé » ont reçu 12 invitations sur un total de 64 interventions dans le secteur santé.

[12« En 2019, [le groupe Korian] a enregistré un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros. Au total, les établissements de Korian s’occupent de quelque 300 000 patients ou résidents. Sur les 7500 maisons de retraite de France, 308 sont gérées par Korian, pour un total de 23 000 résidents. » Sud Ouest, 26/05.

[13Notamment concernant le respect de la distanciation sociale dans les chambres.

[14Une entreprise de biotechnologies qui développe des transporteurs d’oxygène universels d’origine marine pour diverses applications thérapeutiques et industrielles.

[15Son entreprise est, par exemple, promue par Le Télégramme (17/04) au rang des « dix start-up bretonnes qui innovent contre le coronavirus ». Plus globalement, autour de la fin mars/début d’avril, nombreux furent les médias, du Parisien au JT de France 3 en passant par BFM-TV, L’Express, Le Figaro, La Croix, etc. à médiatiser les expérimentations de l’entreprise en matière de traitement.

[16Le rayonnement de la start-up de Franck Zal est évidemment en jeu à travers la supposée « découverte » à laquelle Laurent Lanteri apporte une caution scientifique, en expliquant que cette technique a été utile et éprouvée dans le cas de l’oxygénation des cellules lors d’une greffe de peau.

[17Comme on peut l’entendre sur France Culture (16/04), « et pour cause : en 2011, une étude non clinique chez le porc s’était soldée par une mortalité de 100% des animaux qui avaient reçu la substance. » Bien plus tard, Paris Match (23/05) reviendra plus en détail sur le contexte de cette suspension.

[18Frédéric Valletoux est pourtant clairement identifiable, élu maire sous l’étiquette UMP, il a été exclu du parti à titre conservatoire suite à son maintien face à la candidate UMP officiellement investie aux élections législatives de 2012.

[19Il s’agit de personnalités qualifiées choisies par les fondateurs en fonction de leurs compétences et qui ont un pouvoir de décision. Notons aussi que Jean-François Delfraissy, président du conseil scientifique et très critique de l’IHU est également membre de ce conseil d’administration…

[20Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

[21France Info et RTL ne comptant pour leur part respectivement que 4 et 5 interviews de professionnels de santé.

[22Notons toutefois que ce nombre d’interventions similaire ne reflète que partiellement la distribution des invités dans les matinales, du fait de la différence du nombre total d’invités considérés sur la période, comme nous le remarquions en introduction. Ainsi, les 13 interventions de professionnels de santé sur RMC représentent 42 % des interventions, soit la plus importante proportion. 25% dans la matinale de France Inter, et 13 % sur Europe 1 (proportion équivalente à celle de France info et RTL).

[23Dont trois par des membres du conseil scientifique, et une par un pharmacien universitaire, spécialiste en virologie à l’Institut Pasteur.

[24PUPH, Chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

[25PUPH, Chef de service de l’unité des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Tenon.

[26Stéphane Clerget est régulièrement invité sur Europe 1 : 56 interventions depuis 2011. Source : site internet d’Europe 1.

[27Remarquons, à propos de ce dernier, que le choix s’est porté sur un homme, alors même que les cadres de santé sont des femmes à plus de 80%. On notera toutefois que 4 des 5 interventions de femmes professionnelles de santé ont eu lieu sur France Inter, bel effort !

[28Les médecins intervenant en Ehpad sont bien souvent des médecins libéraux dont une partie seulement de l’activité est réalisée dans les Ehpad, et s’ils suivent les patients, ils ne sont pas (ou pas autant) considérés comme les « patrons » des unités comme c’est le cas dans les hôpitaux.

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