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Lu, vu, entendu : « Joies simples & idées saines »

I. Les joies simples du journalisme

 A Edwy, Laure Adler reconnaissante. Dans Le Canard Enchaîné, 29 décembre 2004 : « Laure Adler, la directrice de France Culture, sait renvoyer les ascenseurs. Les émissions de sa radio étant bien annoncées dans Le Monde et son supplément radio-télévision, elle a décidé d’"aménager" la grille de janvier pour faire une petite place à Edwy Plenel. Chaque semaine, l’ex directeur de la rédaction du Monde, toujours journaliste au quotidien, viendra évoquer durant cinq minutes ses coups de coeur pour un bouquin, un film ou une pièce de théâtre. Ou un très bel éditorial ? » Une joie simple pour Plenel. Et une émission de plus pour Le Monde sur France Culture (il y a déjà Colombani et, juste avant, une émission sur les sciences avec Le Monde.

 Les confidences de Jean-Pierre Pernaut. Dans le supplément TV du Parisien daté du 9 janvier 2005, le présentateur du « premier journal de France » ouvre « en exclusivité » son « album de jeunesse ». Bourgeois provincial, fils de pharmacienne et d’ingénieur à la tête d’une entreprise de machine outil, enfance heureuse dans une belle maison en Picardie entourée d’un hectare, séminaire. Tout est normal. Quand viennent ces confidences : « Quand mai 68 a éclaté, j’étais en première. Je ne peux pas dire que j’aie jamais été un élève très assidu...Je passais du temps à jouer au Baby-foot avec les copains et je séchais parfois les cours pour aller au cinéma : il y en avait alors une quinzaine à Amiens. Mais là, [...] en regardant à la télé ce qui se passait un peu partout en France, je suis redevenu un homme d’ordre. Je ne me suis jamais senti l’âme d’un idéaliste, j’ai toujours été proche de la terre et je me suis certainement dit alors que, décidément, je n’aimais pas la "chienlit". C’est comme ça que j’ai été élevé : pour gagner sa vie, il faut bosser. Et cette année-là, alors que l’agitation était partout, je n’ai pas séché du tout. ».
On ne commente pas, on savoure...

 Bernard Guetta en prélat du journalisme. Le 12 janvier 2005 à 8h15, France Inter, "Géopolitique" de Bernard Guetta. Titre de la chronique : « Parce qu’elle est rare ». Guetta, chroniqueur pas rare, rend ainsi hommage à Florence Aubenas, disparue en Irak :

« Dans [la] génération [de Florence Aubenas], beaucoup de journalistes sont fascinés par l’investigation. Ils croient qu’à traquer et dévoiler les scandales de la corruption, ils rendront le monde plus pur. C’est parfois vrai. Il est des silences qu’il faut rompre, des connivences à briser mais les « affaires » comme on dit ne sont que l’écume de l’injustice, le fruit et non la cause de dérèglements autrement plus graves que sont l’indifférence au malheur d’autrui, l’incapacité à reconnaître l’homme, son prochain, son semblable, sur d’autres terres, dans d’autres civilisations, d’autres quartiers que les siens ».

Comment comprendre ce procès du journalisme d’investigation (qui vise perfidement Edwy Plenel au risque d’atteindre perfidement Florence Aubenas) ? Les journalistes comme Florence Aubenas perdraient-ils leur temps ? Faudrait-il renoncer à regarder le dessous des cartes et à tenter de saisir les déterminations profondes de pour se contenter de diagnostiquer comme « déréglements plus graves » [que les « affaires »]... l’indifférence au malheur d’autrui, l’incapacité à reconnaître l’homme, son prochain, son semblable, sur d’autres terres, dans d’autres civilisations, d’autres quartiers que les siens » ? Pour mener une investigation sur les causes de « déréglements » ainsi présentés, nul besoin de journalistes comme Florence Aubenas : quelques moralistes et quelques prélats suffisent...

 Elisabeth Lévy « virée » par Pascale Clark. Elisabeth Lévy, journaliste multi-carte disposait d’un micro régulier dans l’émission de « On refait le monde », l’émission que Pascale Clark anime sur RTL. Le 30 novembre dernier, Elisabeth s’indigne en direct de la présentation du nouveau ministre de l’économie que propose Pascale, qui ironise sur ce catholique, père de huit enfants.

Indignée de l’indignation d’Elisabeth, Pascale, majesté éditoriale indignée de l’irrévérence d’une autre majesté, met un terme, quelques temps plus tard, à la collaboration d’Elisabeth à l’émission. Un acte de censure qui vaut à sa victime, dans Le Figaro du 13 décembre 2004, l’honneur d’une « brève » - intitulée « Elisabeth Lévy attaque Pascale Clark ». qui donne la parole à Elisabeth Lévy et qui évoque « un chapeau sarcastique et engagé dans lequel elle attaquait Hervé Gaymard avec des arguments insupportables, comme celui qui consiste à dire ironiquement qu’il a huit enfants » et « s’étonne » de la réaction de Pascale Clark : « Pascale Clark n’est pas un arbitre neutre, estime Elisabeth Lévy. Bon, je pouvais m’en accommoder tant que le débat existait. Mais là, ce qui est grave, c’est qu’elle n’accepte pas qu’on conteste ses points de vue et qu’on attaque sa parole. Cela pose un problème dans un rendez-vous qui repose sur la confrontation des idées et sur la liberté d’expression. ».

Elisabeth Lévy a raison. Et elle sait de quoi elle parle depuis qu’elle a censuré Acrimed, PLPL et Pierre Carle dans une émission qu’elle leur a consacrée sur France Culture [1]. La différence ? Elisabeth Lévy peut continuer à parler et écrire sur France Culture, dans l’émission « Culture et dépendances », dans Marianne, dans Le Figaro Magazine. Il reste que ce n’est pas bien de l’avoir privée de l’un de ses micros...

 Ich bin ein ignorant (1). Dans le célèbre éditorial de Jean-Marie Colombani [2] " Nous sommes tous Américains " (13 septembre 2001), le directeur du Monde situait en 1962 la déclaration de Kennedy à Berlin " Ich bin ein Berliner ", phrase prononcée en réalité le 26 juin 1963. Le Monde n’a jamais publié de rectificatif (lire "Nous sommes tous Américains" (1) : le célèbre éditorial et Colombani et Le Monde brouillés avec les dates), le fameux édito étant même repris tel quel début 2002 dans le livre de Colombani Tous Américains ? (Fayard).

La phrase de Kennedy ne porte pas bonheur aux tycoons de la presse parisienne, puisque le 6 décembre 2004, c’est le patron de L’Express Denis Jeambar qui commet la même bourde dans son édito (lien périmé), clamant avec grandiloquence à propos de Chypre : " Y aura-t-il un homme politique européen pour oser déclarer, à la manière de Kennedy devant le mur de Berlin en 1961, devant cette construction de la honte : "Ich bin ein Nicosier" ? "

 Ich bin ein ignorant (2). Dans la rubrique "on a beau être (incommensurablement) riche, les journalistes ne sont toujours pas fichus d’écrire votre nom", on peut s’étonner de lire année après année des articles sur Warren Buffett, deuxième fortune des Etats-Unis après Bill Gates, dont des papiers commis par un paquet de journalistes éco (y compris dans Les Echos ou le Figaro Economie, a priori spécialisés), qui persistent à l’écrire avec un seul T. (Le Figaro, 16 décembre 2004 : « Bill Gates : un peu plus près de Warren Buffet »).

  Un reportage hors du temps. Didier Robert, de Bruxelles nous écrit :

« [...] j’ai été révulsé par une intervention sur TF1, au cours du JT de 20 heures du dimanche 26 décembre, présentée par Mme Claire Chazal, que l’on ne présente plus.
Il s’agissait d’un petit reportage sur la fabrication des jouets en Chine, comme on le sait, premier producteur mondial de ce qui est censé ravir nos chères têtes blondes et brunes [ au cours duquel], on ne manque pas de souligner « que la Chine produit des jouets en masse, mais pas toujours en respectant les travailleurs, en majorité des femmes, jeunes, qui s’échinent jusqu’à 14 heures par jour à fabriquer les millions de jouets qui seront ensuite vendus aux 4 coins du monde ». Et les images de comparer « une bonne usine » et ses travailleuses souriantes et appliquées, puis « une mauvaise usine », où l’on voit des femmes affalées sur l’étal, tout simplement épuisées par les cadences imposées.

C’est donc le 26 décembre et non le 31 novembre ou le 4 décembre, que la rédaction de TF1 (je cite pour exemple, les autres ne valent guère mieux, sans doute) que [exemple significatif : réaménagement opportuniste où l’on esquisse une situation sociale pointée comme « dérangeante », alors qu’elle est tout simplement monstrueuse à en croire les rapports plus exhaustifs de différentes ONG. [...] »

Une petite leçon sociale, mais a posteriori. Y a un temps pour tout : un temps pour la consommation (et la publicité), un temps pour l’information (et la morale) !

 Flagorneries et enflures. Véronique Goussard poétise dans Challenges, 7 janvier 2004 : « Patrick Le Lay tient de ces guerriers qui, sitôt qu’une monture s’écroulait sous eux, en enfourchaient une nouvelle.  ». Le titre de l’article ? « La vérité (sic) sur...le lobbying anti-TNT de TF1 ».

II. Les joies simples de la consommation

 Suppléments cadeaux. Parmi la collection de catalogues dont nous ont « gratifiés » nos médias, ce slogan au hasard « la fête est un art ». De vendre ? (Supplément Nouvel Observateur, 9 décembre).

 Aux consommateurs de journaux télévisés. La newsletter de CB news 10 décembre 2003, relaie le résultat d’une étude britannique du docteur Attila Szabo (de l’Université de Nottingham Trent), selon lequel « regarder les journaux télévisés serait mauvais pour la santé ». Ainsi «  le fait d’être exposé, dans une courte période de temps, aux événements qui se déroulent dans le monde serait générateur de dépression, de colère et d’anxiété. ». Cette étude n’indique pas, en revanche, si les publicités et leurs représentations idéales qui bordent les JT sont des antidépresseurs.

 Aux consommateurs d’informations. De nos jours, c’est la fiction qui doit enrober l’information pour piéger l’imaginaire du lecteur en grimant la réalité. C’est ce que rappelle Denis Muzet, président de l’Observatoire du débat public, qui vend son étude... dans Le Monde du 23 décembre puis Libération du 3 janvier : « Ce sont les médias qui désormais font l’Histoire avec un grand H [sic !], qui donnent du sens au monde. Et ce sur un mode curieusement peu rationnel. Que ce soit le traitement du film Amélie Poulain ou le combat Chirac-Sarkozy, les médias adoptent des formes de récit qui empruntent à la fiction. Sur une chaîne comme Planète, on voit des documentaires qui scénarisent des cataclysmes. Avec une voix off type télé-réalité en commentaire. Cette vision catastrophiste du monde finit par s’imposer ».

A titre d’exemple de la transformation de la politique en fiction, L’Express du 3 janvier qui use d’accroches que l’on croiraient tirées de bandes dessinées ou de polar : « LES MYSTERES DE 2005 / Jacques Chirac : Le mystère de la statuette ; Jean-Pierre Raffarin - Le mystère du 4 x 4 ; Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie, Jean-Louis Borloo, Jean-Louis Debré - Le mystère de l’antichambre ; Nicolas Sarkozy Le mystère du costume ; François Bayrou - Le mystère de Mitterrand, François Hollande ; Le mystère de l’incarnation - Lionel Jospin, Laurent Fabius, Le mystère de la résurrection ».

Les ventes de L’Express souffrent, y a pas de mystère ...

III. Les joies saines des idées simples

  Le Figaro et l’ultralibéralisme. Dans la série des idées saines, extrait ci-dessous d’une petite chronique signée Jean-Pierre Robin d’un essai sur l’ultralibéralisme (« Des idées en économie pour le nouveau millénaire », de Robert J. Barro), tranquillement postée en page saumon du Figaro du Lundi 3 Janvier 2005 et titré « Les idées décapantes d’un ultralibéral »

Extraits : « Voici quelqu’un qui n’a pas peur de se qualifier d’ultralibéral. », un livre « bourré d’idées » dont le « credo est de laisser agir les marchés : les acteurs privés disposent de bien plus d’informations et de jugement qu’un bureau administratif. L’action de l’État dans l’économie vise moins à favoriser l’intérêt général, comme elle le prétend, qu’à favoriser les conservatismes de tout poil ».

Dans la série, "une chose dont on ne parle pas n’existe pas" (cf. La dernière sortie de Le Pen) on peut accessoirement s’interroger sur le fait que Le Figaro choisisse de chroniquer ce livre en faisant mine de prendre ses distances.

 Haro sur les grévistes. Avant les grèves des 19 janvier 2005 et du 5 février 2005, un rappel : le 25 novembre 2004, à l’appel de huit syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC, Sud-Rail, Unsa, CGC et FGAAC), des dizaines de milliers de cheminots défilaient à Paris pour défendre l’emploi, les salaires, le service public, le droit de grève et assurer l’avenir du fret. L’occasion de saluer le retour des sempiternelles figures imposées enfumant les reportages consacrés à la manifestation tels que « l’ire (sic) des voyageurs pris au piège » (Le Parisien, 25 novembre), ou ce commentaire aux relents de « grand soir » du JT de 20.00 de TF1 : « et gare à ceux qui ne comprendraient pas leur mouvement ! ». Tremblez !

En garant de la tranquillité, les quotidiens sont venus rassurer le téléspectateur de la première chaîne terrorisé.

Pour Le Figaro, le 26 novembre les grévistes étaient dociles. « Les cheminots manifestent dans le calme pour le service public » car cette grève semblait sans objet : « Pourtant, la situation s’est décrispée ces derniers mois. Ainsi, après un premier accord salarial depuis 10 ans signé par les syndicats, une étape importante a été franchie fin octobre avec la signature d’un accord sur le dialogue social et la prévention des conflits, première étape dans la mise en place d’un service garanti dans les transports ».

Les Echos - même jour, y voyaient plutôt une manifestation stratégique sous fond de luttes syndicales « plusieurs observateurs estiment qu’alors que SUD-rail (non-signataire) dépose de nombreux préavis de grève, la CGT tient à continuer à jouer son rôle de syndicat revendicateur même s’il a signé l’accord fin octobre. ».

 Haro sur les fonctionnaires. Une question « qu’elle est bonne » bordée par un arsenal technique d’articles bêtes et autres artifices de remplissage (« Mon pouvoir d’achat a baissé ces dernières années ») qui n’y répondent pas (généralités oblige) : « Les fonctionnaires sont-ils encore des privilégiés ?  »
Le Parisien, le 8 décembre 2004.

 Serge Dassault n’achète pas pour perdre de l’argent - Evoquant le Football-Club de Nantes, dont il est propriétaire, Serge Dassault dément la rumeur selon laquelle il serait sur le point de le vendre, mais précise néanmoins : « j’adore le football. Mais quand j’achète quelque chose, ce n’est pas pour perdre de l’argent. » (Le Figaro, 17 décembre.2004). Dans la presse aussi...

 Dassault radote. Le Canard enchaîné, du 15 décembre 2004 rapporte : « Serge Dassault a remis ça, le 9 décembre, au sénat : diatribes contre les 35 heures, la RRT, “les contraintes syndicales paralysantes”, la lutte des classes, l’absence de “cadeaux fiscaux” aux entreprises, l’ISF... Tout ce par quoi les socialistes ont “crée la décadence de la France” en lui “donnant le cancer”, si bien qu’ “on va tous crever, point”. »
Certains plus que d’autres auront certainement droit à un enterrement de première classe.

 Publicité pour la publicité ? Le 23 décembre 2004 (aux alentours de 12h43), France Inter diffuse un enregistrement du Jeu des milles euros depuis Bourganeuf dans la Creuse. L’animateur Louis Bozon commence, comme à l’accoutumée, par une note historique. Il évoque ainsi entre autres Emile de Girardin, châtelain de la région au XIXe siècle. « Il fut le Napoléon de la presse, et l’inventeur dans ses nombreux journaux de la réclame - la publicité - sans qui aucun journal ne pourrait subsister aujourd’hui. ».
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IV. Et pour finir : les joies simples du canular

 Le Crobard piége une fois de plus une chaîne TV. Récit des protagonistes ci-dessous.

« PARIS, 30 décembre 2004 - La Crobard team, artistes-humoristes, qui édite depuis 1999 un webzine humoristique du même nom, déjà connue pour avoir monté un canular sur la location de punks à TF1 cet été, a de nouveau piégé une équipe de journalistes TV.

De nouveau, contactés via leur site web, relatant pourtant largement l’aventure avec TF1, ils ont cette fois élaboré un scénario visant à satisfaire le magazine de société " Affaire de familles" diffusé sur M6. Scénario abracadabrant à base d’orpheline de gendarme mort en défendant un champs d’OGM, orpheline catholique pratiquante se retrouvant hébergée chez un couple de punks. Une blague potache sans vice aucun qui finira par se transformer en un des pires cliché du journalisme moderne confinant le tout au vaudeville.

Ce n’est que lors du comité de rédaction pour la présentation du reportage que la supercherie sera découverte, évitant à M6 de diffuser le canular dans son émission "Affaire de familles" du 14 décembre 2004 et menaçant par avance le crobard contre tout usage des éléments soupçonnés d’avoir été obtenus lors du reportage. »

Détails canular M6 : récit, photos et vidéos sur le site du Crobard (lien corrigé)

 N’ayez plus peur. « Taper sur tout ce qui bouge c’est révolu, témoigne un ancien. Les recrues sont plus instruites, elles veulent comprendre la justification de leurs actes. Certains gars patrouillent dans les cités où ils ont grandi. » La Croix, 16 décembre : « A 60 ans, les CRS présentent de nouveaux visages ». Rectificatif : non, ces propos ne sont pas un canular...

 
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