I. Hauts faits…
de médias en (début de) campagne
Avec, le 11 novembre 2011, la publication d’un sondage scandaleux et, le 3 janvier 2012 sur France Inter, une attaque en piqué de Patrick Cohen contre le CSA, suivie d’une autocritique de Thomas Legrand.
Le sondage le plus pertinent
Le 25 novembre 2011, 20Minutes et l’AFP (reprise par lemonde.fr, etc.) publiaient les résultats d’un sondage de BVA.
Demander à des sondés dont une grande majorité est plus ou moins hostile à Eva Joly et ne voteront pas pour elle si elle doit maintenir sa candidature, il fallait le faire !
« Nouveau coup de sonde contre la démocratie » titrait l’Observatoire des sondages qui dénonçait notamment « des biais qui en font une opération frauduleuse ». Ceux-ci, en l’occurrence :
- « La réponse est dans l’échantillon : présenté comme représentatif de la population française, il est donc constitué en majorité d’adversaires politiques d’Eva Joly. »
- « Il s’agit d’un sondage en ligne, l’échantillon est spontané c’est-à-dire non-représentatif. Par ailleurs les sondés sont rémunérés. Est-il honnête de payer des gens pour leur faire dire quelque chose de prédéterminé par l’échantillon ? »
- « Pour corser enfin les résultats, l’échantillon contient des mineurs de 15 ans et plus. »
La révolte la mieux ajustée
Le 3 janvier 2012, le petit « billet » de Patrick Cohen, présentateur de la matinale de France Inter, commence par un « son » : celui d’un chronomètre. Car le décompte des temps de parole pour la campagne présidentielle a commencé, et c’est le début du calvaire pour nos preux journalistes, obligés de donner la parole à des « petits candidats » qui ne représentent rien, n’ont rien à dire, et dont ils se demandent avec angoisse quelles questions leur poser :
« Hommage ce matin et allégeance à notre nouveau maître, vous l’entendez, c’est le chronomètre du CSA, celui qui nous dira comment traiter cette campagne présidentielle et qui seront nos invités chaque matin. » Un maître, ou plutôt un tyran, qui va nous imposer « cinq longues semaines de non-campagne avec des heures de Gérard Schivardi, de Frédéric Nihous, vous savez, Chasse, Pêche, Nature et jambon de pays, il est toujours là, qu’est-ce qu’on va lui demander ce coup-ci ?... Bref un interminable brouhaha démocratique. »
Sans les oukases du chronomaître, la symphonie médiatique serait tellement plus harmonieuse… Et Patrick Cohen de lancer un appel – ou plutôt un défi : « si quelqu’un au CSA peut venir […] ’expliquer aux auditeurs d’Inter pourquoi […] chaque minute, chaque minute de Sarkozy, Hollande, Bayrou ou Le Pen devra être compensée par une minute chacun des 10, 12 ou 15 autres candidats, il est le bienvenu à ce micro ».
Qu’on ne compte pas sur Patrick Cohen pour s’en prendre à l’anémie du pluralisme en dehors de la campagne présidentielle : les règles en vigueur qui marginalisent les minorités, surtout si elles ne sont pas représentées au Parlement, ne le gênent guère. Et s’il s’en prend au CSA, ce n’est pas pour protester contre sa composition antidémocratique et ses missions rabougries, c’est pour faire valoir qu’il n’existe à ses yeux que quatre candidats « sérieux » : Sarkozy, Hollande, Bayrou et Le Pen. Autrement dit que la présence des autres – de tous les autres – dérange, non pas la vie démocratique, mais l’orchestration médiatique de la campagne.
Le commentaire le plus avisé
Quelques minutes, plus tard, c’est au tour de Thomas Legrand de faire son autocritique. Et ça décoiffe : dans sa chronique intitulée ce matin-là « Sarkozy/Hollande : en attendant leur programme... », il compare les éditorialistes politiques à des commentateurs sportifs : « Nous avons une fâcheuse tendance, nous les commentateurs politiques, à commenter le débat naissant de la présidentielle comme si c’était une course de chevaux ou un match de foot. » À croire que Thomas Legrand a lu l’ouvrage que nous avons consacré à l’élection de 2007 [1], et qu’il consulte régulièrement le site d’Acrimed, mais ne s’est pas remis de ces saines lectures.
Comment lui donner tort quand on lit ceci sur le site du Figaro (22 novembre 2012) ?
Mais on retiendra surtout les explications données à cette tendance médiatique : d’abord « pour l’instant nous n’avons pas le programme du candidat Hollande ». Quant à Sarkozy, « il n’est officiellement toujours pas candidat ». Mais de toute façon, le relance Cohen, « le contexte économique réduit leur marge de manœuvre et la comparaison des solutions qu’ils pourraient proposer est très technique, pas forcément passionnante ». C’est bien le problème, approuve Legrand : « Oui, ce qui fait que l’on se concentre sur le caractère et la façon de faire campagne des deux favoris. […] Puisque ce ne sont pas deux modèles de société qui s’affrontent, puisque nous avons à faire un comparatif assez technocratique entre les vertus et les inconvénients de la CSG sociale, nous voilà donc réduit à commenter la course elle-même. »
Deux candidats – et deux seulement ! –, dont les projets ne seraient pas clairement connus, mais dont on sait que leurs différences seraient minimes, et voilà comment s’expliquent des commentaires focalisés sur la course de chevaux : une course à deux chevaux seulement.
C’est pas not’ faute, confirme Thomas Legrand : « le pire c’est que les candidats eux-mêmes commentent en permanence la campagne ; ils parlent de leur rythme […] ». Mais c’est un peu notre faute quand même, ajoute-t-il : « nous qui devrions combattre la communication politique nous nous contentons bien souvent de commenter les performances de cette communication ». Avant de répartir les responsabilités : « Il faut dire que c’est un feuilleton assez haletant et romanesque… même si cette façon de faire, liée autant à la réduction des marges de manœuvre des politique qu’aux exigences de l’industrie médiatique ne constitue pas vraiment une bonne chose pour le débat démocratique. » Et de conclure : « Voilà, c’était ma petite dose d’autocritique de début d’année… à prendre comme une bonne résolution. »
En clair, si on ne parle pas des idées des deux candidats que nous avons sélectionnés – et de ces deux-là seulement –, c’est 1/ qu’ils ont à peu près les mêmes, 2/ qu’on n’y comprend pas grand-chose, 3/ qu’ils font de la communication et qu’on les y aide sans le vouloir mais tout en le sachant.
Nous n’avons pas vérifié si la demie « autocritique » et la « bonne résolution » de Thomas Legrand avaient été suivies d’effets en ce qui le concerne. Mais la plupart des éditorialistes et chroniqueurs ne semblent pas l’avoir entendu…
II. Faits divers
… D’ici et d’ailleurs
Naufrage
Le journalisme d’investigation n’est pas mort. Il s’est échoué au large des côtes italiennes, à la mi-janvier 2012 :
Accident
Le 14 mars 2012, un accident de la route dans un tunnel suisse causait la mort de 28 personnes dont 22 enfants qui rentraient de sports d’hiver. Un drame, que les médias français ont couvert avec leur savoir-faire habituel : mesure, discrétion, pudeur… Pendant trois jours, les JT, en particulier, ont vécu au rythme de la Belgique endeuillée :
TF1, 13h
- 14 mars : 16’50, sur 47’30, soit 35 % du JT
- 15 mars : 11’15, sur 41’40 (27 %) sur « ce terrible drame qui touche tout le monde » (Jean-Pierre Pernaut)
- 16 mars : 12’50, sur 41’30 (31 %)
Une mention spéciale à ce dernier JT de JPP, qui commence avec une minute de silence, sur des images du « chagrin de tout un pays, un jour de deuil national en Belgique, une immense tristesse qui nous touche tous », et se clôt avec une « dernière image », l’arrivée des cercueils en Belgique, et le rappel de cette « minute de silence à jamais gravée dans nos mémoires ».
TF1, 20h
- 14 mars : 18’10, sur 38’05 (48 %)
- 15 mars : 16’15, sur 37’40 (43 %)
- 16 mars : 12’25, sur 36’50 (34 %)
France 2, 13h
- 14 mars : 14’50, sur 48’30 (31 %)
- 15 mars : 18’00, sur 47’ (38 %)
- 16 mars : 8’40, sur 46’20 (19 %)
France 2, 20h
- 14 mars : 18’30, sur 40’35 (46 %)
- 15 mars : 13’40, sur 43’20 (32 %)
- 16 mars : 8’15, sur 40’ (21 %)
La valeur critique de ce décompte serait évidemment multipliée par une analyse même rapide du contenu des sujets, qui en soulignerait la putasserie compassionnelle, voire le voyeurisme nauséabond, et plus généralement l’alliance désespérante, eu égard aux moyens déployés, de l’inventivité et de la vacuité : reconstitution de l’accident, avis d’experts, duplex pour offrir en direct les « derniers éléments », images plus ou moins volées des familles, reportages et interviews en Belgique, en Suisse, en France, de toute personne susceptible d’avoir été « touchée », à un titre ou un autre, retours dans le passé sur des accidents similaires, synthèse sur les risques comparés des moyens de transports, enquête sur les règles de sécurité et leur évolution… On en passe et des pires.
Tueries
Dimanche 11 mars : tuerie à Kandahar, en Afghanistan. 16 civils afghans tués, femmes et enfants – un soldat américain accusé d’un « coup de folie ».
– Lundi 12 mars, TF1, 13h : aucune mention. Au 20h : rien non plus
– Lundi 12 mars, France 2, 13h : rien. 20h : rien non plus
Des femmes donc, des enfants (certains de 2-3 ans), des corps retrouvés à moitié calcinés, mais pas d’ « immense tristesse qui nous touche tous ». Pourquoi ?
Est-ce la distance géographique ? Pas seulement, car l’actualité internationale n’a pas été complètement oubliée. Sur TF1, on a pu entendre que « l’actualité à l’étranger c’est la Syrie qui s’enfonce dans la barbarie » : un sujet de 2’25 (auxquels on ajoutera 18 secondes consacrées aux 21 morts palestiniens du week-end). Sur France 2, service public oblige, on évoque aussi la Syrie : « L’actualité à l’étranger avec l’effroi et l’indignation à propos de la Syrie […] il s’agit de femmes et d’enfants, carbonisés, égorgés, poignardés » : 30 secondes.
Périodiquement, un grand fait divers préoccupe presque exclusivement les médias, mais il ne s’agit pas de n’importe quel fait divers. On préférera un événement « proche » (c’est-à-dire pas trop loin en voiture, et touchant de préférence des Occidentaux), « spectaculaire » (c’est-à-dire dont on peut faire des images frappantes), sans implication politique (ou si elles existent, sans qu’on aille trop les étudier), dont on peut tirer sans risque et sans « cliver » le public des heures de récit, de bavardage, d’émotion au kilomètre. Après l’échouage du Concordia, voici donc le car de Lommel. Dans certains cas, donc, des drames « qui touche[nt] tout le monde ». Dans d’autres, des drames qui ne touchent personne ? Comment ne pas voir ce que l’émotion prétendument universelle suscitée par les premiers doit à leur couverture hypertrophique par des médias qui les exploitent jusqu’à l’écœurement ? Et comment ne pas considérer que, pour ces mêmes médias, détourner scrupuleusement la tête devant d’autres faits divers aux implications politiques autrement plus lourdes, c’est porter une non moins lourde responsabilité ?
« Comparaison n’est pas raison », dit-on. Et l’Afghanistan n’est pas la France. Mais que penser de l’énorme disproportion entre le traitement médiatique de tueries (qui ne sont certes pas de « simples » faits divers…) selon qu’elles font des victimes et particulièrement des enfants, à Kandahar ou à Toulouse ?
III. Divers faits
Simplement risibles ?
Le Monde , en panne de décodage
(1) Signalé par un correspondant, dans M, le magazine du Monde du 17 décembre, un « Décodage » intitulé « Où les étrangers peuvent-ils voter ? », et qui décode à pleins tubes : dans la notule « Asie », on se penche sur des étrangers très étranges : « En Israël, le droit de vote est accordé aux résidents étrangers, notamment aux Palestiniens de Jérusalem-Est ». Les Palestiniens de Jérusalem-Est étrangers dans leur pays ? Certains en ont peut-être rêvé, M l’a fait. Dans l’édition suivante, le 24 décembre, le magazine publie une lettre de protestation d’un lecteur. Mais ni réponse, ni commentaires, ni excuses, ni rectificatif…
(2) Un correspondant nous a transmis ce courriel adressé le 26 novembre 2011 au courrier des lecteurs du Monde :
Monsieur le journaliste :
Avec perplexité je prends connaissance d’un article paru dans le supplément Télévisions du Monde daté du 27-28 novembre, p. 9, sous le titre « De Garibaldi à Mussolini », et dont je retiens ceci : parmi les épisodes qui caractérisent la vie politique italienne depuis 150 ans il y a le fascisme de Mussolini qui dura quatre ans (sic !). […] Je confirme que celui-ci resta au pouvoir plus de vingt ans.
Veuillez agréer l’expression de mes salutations distinguées.
À ce jour, ce courriel n’a toujours pas reçu de réponse. Ces messieurs du Monde sont trop occupés à vérifier sans doute…
Jean Quatremer n’est pas un crétin
Et il le prouve lui-même : c’est microscopique, mais c’est tellement révélateur de ce que peut un toutou qui jappe si bruyamment qu’on pourrait le prendre pour un chien de garde !
Jean-Luc Mélenchon ayant refusé de participer à l’émission de Thierry Ardisson si Jean Quatremer était sur le même plateau que lui, ce dernier s’enflamma : comment refuser, sans attenter à la Démocratie elle-même, de côtoyer un journaliste quand celui-ci n’est pas un crétin ? Et il protesta haut et fort sur son blog, sous le titre « Cœurs brisés : Jean-Luc n’aime ni Christophe, ni Jean », le 12 mars.
Il s’ensuivit une cascade de commentaires que nous laisserons de côté, jusqu’au moment où, Jean Quatremer ayant évoqué le refus de Mélenchon de participer au « Petit Journal », un internaute lui répondit.
Sur le petit journal je vous invite a lire ce lien :http://www.arretsurimages.net/contenu.php?id=4708 .Ils ont quand même de sales méthodes, et il est compréhensif que Mélenchon refuse d’y aller. Je peux aussi rajouter ce lien : http://www.acrimed.org/article3779.html,même si Acrimed ne sont pas vos grand amis. […] »
Le sang de Jean Quatremer – qui n’est pas celui d’un crétin – ne fit qu’un tour. Et il répondit :
Acrimed, c’est la gauche radicale […]. L’auteur de l’article (qui est d’une rare crétinerie) est l’un des responsables du PTB (le parti des travailleurs de Belgique), une organisation d’extrême gauche locale (une sorte de LO local). C’est sans doute ce qu’Acrimed appelle le journalisme indépendant. […]
Consternation : un expert qui n’est pas un crétin a trouvé que notre article était d’une rare crétinerie. Stupéfaction : Jean Quatremer – membre du parti des journalistes encartés – disqualifie un article par l’appartenance supposée de son auteur à un parti politique. Commisération : Jean Quatremer – qui n’est pas un crétin – a attribué à l’auteur une appartenance politique que nous ne lui connaissions pas – et que lui-même ignorait.
Mais ce n’était pas fini, car l’internaute qui avait signalé l’article « d’une rare crétinerie » répliqua :
Allons, que acrimed soit de la gauche radical ne m’empêche de lire leur article et d’en trouver certains pertinents, que monsieur Quatremer soit « l’incarnation du traitre de gauche libérale et européiste » ne m’empêche pas de lire ses articles et d’en trouver de pertinents.
Et un autre surenchérit :
Le premier devoir d’un journaliste n’est-il pas d’argumenter ses propos ? Je serais curieux de connaître ceux qui vous permettent de dire que l’article d’Acrimed au sujet du Petit Journal est d’une « rare crétinerie » ...
Pour prouver qu’il n’est pas un crétin Jean Quatremer argumenta donc ses propos, comme on lui demandait. Des arguments de haut niveau :
Lisez-le : aucun argument, c’est du niveau cour de récréation.
Fin de citation. Alors, lisez-le en effet, l’article en question (« Les gros bidouillages du « Petit Journal » de Canal + ») pour vous assurer – sait-on jamais… – que Jean Quatremer n’écrit pas des crétineries, comme nous l’avions relevé en une autre occasion (« Jean Quatremer n’est pas content », mars 2006).
On a reçu ça…
Madame, Monsieur,
En ma qualité de coach professionnel, je me permets de vous proposer mes services, au cas où vos adhérents et vous-même auriez besoin d’être accompagnés mentalement vers la réalisation de votre ou vos objectif(s). Je précise que je me déplace également à l’échelle nationale. Vous trouverez ci-dessous mes références. Je reste à votre disposition pour toute information complémentaire.
Bien à vous,
Xxx
Nous pensions jusqu’alors que notre contribution à la transformation de l’ordre médiatique existant passait d’abord par l’observation et la critique, l’action et la mobilisation. Mais si certains de « nos adhérents » ont besoin, dans cette longue marche, d’un « accompagnement mental », nous leur transmettrons. Si ces mêmes adhérents souhaitaient se priver de l’accompagnement d’un coach, pour nous accompagner davantage, dans la mesure de leurs possibilités, nous n’y verrons pas non plus d’objections...