Au risque de mutiler l’argumentation d’Aude Lancelin (et de se priver d’une discussion nécessaire), on se bornera ici à un résumé destiné à donner un simple aperçu : un sommaire illustré par quelques citations, en quelque sorte.
L’auteure passe en revue sept idées fausses qui, écrit-elle, « empêchent le public de prendre conscience de la nécessité de s’emparer de la question des médias, et d’en faire une question politique prioritaire ».
- « Première idée fausse : les actionnaires de médias “n’interviennent” pas ». À quoi il est aisé de répliquer, comme le fait l’auteure, en multipliant les exemples d’intervention directe des actionnaires ainsi que d’anticipation de leurs désirs et d’autocensure préventive.
- « Deuxième idée fausse : on ne peut pas se passer de ces grands capitaux privés. » Cet argument qui se prévaut d’un grand réalisme économique, sert surtout à « justifier l’injustifiable, à savoir la prise de contrôle intégrale de l’espace public par de grands conglomérats ». Une prise de contrôle à laquelle il ne suffit pas de répondre, souligne l’auteure, par l’existence de médias alternatifs, au risque de « rester cantonnés à un public de niche », alors que « le but est la reconquête de l’espace public ».
- « Troisième idée fausse : critiquer les médias, c’est attaquer les personnes. » S’en prendre aux médias ce serait s’en prendre directement à ceux qui travaillent en leur sein (et qui font de leur mieux), au risque même de compromettre leur sécurité. Une « forme de chantage grossier » qui vise à désamorcer toute critique du système médiatique.
- « Quatrième idée fausse : il y a de la diversité, “les médias” ça n’existe pas ». Couramment invoquée dans « les rangs journalistiques cramponnés aux petites différences qui permettent de se regarder encore dans une glace », cette diversité est très largement illusoire, comme le montre, par exemple, le « macronisme » ambiant. Cette illusion est renforcée par une autre : l’illusion de profusion que donnent les réseaux sociaux qui pourtant, « n’offrent pas une alternative » au système de production de l’information réellement existant.
- « Cinquième idée fausse : les journalistes doivent être neutres. » Et s’en tenir à la vérification des faits ? « Ce dont il faut se persuader, au contraire, c’est que l’on peut à la fois respecter scrupuleusement les faits et avoir des combats véritables. On met dans la tête du public et des journalistes que c’est incompatible, mais c’est ce verrou mental là qu’il faut faire sauter justement. »
- « Sixième idée fausse : les journaux sont par définition des forces démocratiques, à défendre quoi qu’il arrive. » « Par définition » et « quoi qu’il arrive ». Or pris en tenaille entre la puissance publique et les entreprises privées, les médias ne jouent pas pleinement et toujours le rôle démocratique auquel ils prétendent. Et pour le dire, comme le dit et le montre Aude Lancelin, « on peut éteindre peu à peu le caractère authentiquement démocratique d’un système médiatique sans toucher aux apparences ».
- « Septième et dernière idée fausse : les médias ne peuvent pas grand-chose. » Cet argument, souligne l’auteure, est « la dernière cartouche » que tirent les journalistes qui plaident pour l’innocuité des médias en invoquant le « libre arbitre » des usagers. Mais il en est au moins un pouvoir qui mérite qu’on s’y arrête : « Les médias peuvent beaucoup, et même tout en réalité quand il s’agit de décourager les gens ».
Bien des points soulevés par Aude Lancelin méritent discussion. Mais on ne cèdera pas ici aux facilités qui consistent à discuter un ouvrage en dressant la liste des questions qu’il n’aborde pas ou à déplorer l’absence de ces nuances que, précisément, les gardiens de l’ordre médiatique invoquent à profusion pour masquer l’essentiel. On se réjouira plutôt de lire une critique qui converge avec celle que nous pratiquons depuis longtemps.
Henri Maler