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Les universités sont exsangues ? Les médias se préoccupent du sort de la ministre

par Blaise Magnin,

Le 2 avril, Le Monde publiait un article intitulé « Enseignement supérieur : l’action prudente de Geneviève Fioraso ». Un article qui accorde un satisfecit global à la ministre, même s’il ne se prive pas de pointer son supposé manque d’audace réformatrice – on n’en attendait pas moins du Monde, qui fait montre d’une cohérence certaine en la matière : en 2009, le quotidien avait soutenu sans ciller la réforme Pécresse, contre la mobilisation massive des universitaires, comme nous l’avions déploré à l’époque [1].

Cinq ans plus tard, donc, Le Monde, faisant le bilan de l’action de la ministre, souligne que « Geneviève Fioraso avait d’abord pour mission de réconcilier le gouvernement avec la communauté des universitaires et des chercheurs – traumatisée par le quinquennat de Nicolas Sarkozy – sans remettre en cause la loi Libertés et Responsabilités des université (LRU) d’août 2007 sur l’autonomie. Elle y est parvenue [...] ».

Un diagnostic rassurant, mais qui allait se révéler un peu hâtif et imprudent… À croire que l’auteure de l’article n’a plus mis les pieds dans une université ou adressé la parole à un enseignant depuis des années ! Car quelques jours après, en guise de réconciliation, des universitaires lançaient une pétition, signée à ce jour par plus de 8000 enseignants-chercheurs, faisant état de la situation catastrophique, non pas de quelques établissements, mais de l’ensemble de l’université française, noyée sous un déluge de mots d’ordre, de réformes et de contrôles technocratiques, et surtout, paupérisée comme jamais. La conclusion du texte portant un jugement sans ambiguïté sur l’action du gouvernement : « L’inquiétude sur la pérennité du modèle universitaire et scientifique français est-elle moins forte aujourd’hui ? Non. Elle n’a même certainement jamais été aussi grande. » La gravité de ce constat, la situation matérielle et budgétaire critique décrite dans le texte, le succès de la pétition, ne pouvaient laisser les médias indifférents. Et pourtant…

Dans un premier temps, le 8 avril, une seule chose semble accaparer leur attention : le sort de la ministre Fioraso ! Alors que son nom n’est mentionné nulle part dans un texte qui ne fait que pointer les affres d’une politique inconséquente, les rares médias qui traitent de la pétition en font un texte de défiance à l’égard de la personne de la ministre, afin d’obtenir qu’elle ne soit pas reconduite dans la nouvelle équipe gouvernementale. Une mésinterprétation totale, qui, à quelques heures de l’annonce par le Premier ministre du sort de Geneviève Fioraso, ne repose sur rien d’autre que sur l’obsession sourde des « commentateurs » pour le jeu politicien. Qu’on en juge à travers ces quelques articles :

- Le Figaro/Étudiant : « Enseignement supérieur : une pétition anti-Fioraso recueille plus de 6000 signatures » ;
- Les Échos : « Fronde contre la reconduction de Fioraso au gouvernement » ;
- L’Express : « Ces 6000 universitaires qui ne veulent plus de Fioraso pour ministre » ;
- Le Monde (évidemment) : « Plusieurs milliers d’universitaires critiquent le bilan de Fioraso » ;
- Elle : « Quel avenir pour Geneviève Fioraso, ex-ministre de l’enseignement supérieur ? » ;
- Europe 1 : « Ils ne veulent plus de Fioraso et le disent ».

Dans un second temps, le 9 avril, alors que la ministre s’est vu reconduire à la tête d’un secrétariat d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche, les autres médias découvrent la pétition… Et à voir les titres qui suivent, ils n’ont toujours pas compris que la personne de Geneviève Fioraso n’était pas spécifiquement en cause : « Enseignement : 7000 universitaires et chercheurs dénoncent le bilan de Fioraso » pour Le Parisien ; « Geneviève Fioraso recalée par la communauté universitaire » pour Les Inrockuptibles  ; « Recherche. 7 000 universitaires signent une tribune contre Fioraso » pour Ouest France  ; ou même « Opération Blitzkrieg contre Fioraso » pour Marianne !

Pourtant, tous ces titres ou presque sont contredits dans le corps des articles qui, cette fois, citent explicitement Marie-Laure Basilien-Gainche, coauteure du texte, qui lève toute ambiguïté sur les objectifs de la pétition : «  On ne veut pas la tête de Geneviève Fioraso, ce qu’on veut, c’est un changement de politique à l’égard de l’université et de la recherche »…

Enfin, dans un article intitulé « Geneviève Fioraso, secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur et à la Recherche », qui est aussi un bel exercice de mesquinerie journalistique, Le Monde persiste et signe : les réformes de l’ex-ministre font bien consensus, si bien qu’il ne lui reste qu’à faire aboutir le projet de « recomposition du paysage de l’enseignement supérieur » (consensuel lui aussi, on s’en doute) pour que son succès soit total ; la «  grogne des enseignants-chercheurs » dont témoignerait la pétition est très minoritaire, leurs «  angoisses  » seraient liées à des difficultés sporadiques qu’ils montent en épingle – à moins qu’elles ne soient dues à leur légendaire indifférence au sort des étudiants, puisque « Geneviève Fioraso a sans doute beaucoup plus fait pour les étudiants, [...] que pour leurs professeurs » – ; d’ailleurs, leur ingratitude est sans borne puisqu’ils « expriment, aujourd’hui, la difficulté d’exercer leur métier dans un budget contraint et malgré les 1000 postes par an, pendant cinq ans, promis et, jusqu’ici, tenus ». Enfin, s’ils se mobilisent à nouveau, après le mouvement de 2009, qui « s’ét[ait] épuis[é] dans l’indifférence du public et, pire, des étudiants qui n’étaient pas entrés dans la danse », il courront à l’échec car la ministre ne dispose « d’aucune marge budgétaire ». On appréciera l’équilibre de la démonstration, la neutralité et l’impartialité du compte-rendu, le respect de toutes les positions en présence, et en particulier la bienveillance envers les contestataires, qui, sans cela, pourraient paraître désavantagés face à la force de la machinerie administrative et politique…

Même si l’existence de cette pétition est désormais portée à l’attention du public, on ne saurait dire que cette salve d’articles au contenu standardisé et largement inspiré par l’AFP compense la médiocrité d’une information à moitié frelatée par sa présentation racoleuse, voire carrément malveillante, dans le cas du Monde, ni surtout le silence habituel et quasi général des grands médias sur la dégradation continue du service public d’enseignement et de recherche depuis de le vote de « l’autonomie des universités ».

Car la situation catastrophique dénoncée aujourd’hui, et que nombre de médias semblent découvrir subitement, ne date évidemment pas d’hier ! Mais pour anticiper cette crise, il aurait fallu que ces mêmes médias ne se contentent pas de se caler sur l’agenda de la ministre et de relayer les confidences de son cabinet ou de quelque « expert » officiel, voire de simples dépêches d’agences, mais qu’ils enquêtent sur la situation financière réelle des établissements, dans leur diversité, sur ses conséquences sur l’offre pédagogique, sur les attentes des étudiants, des enseignants et des autres personnels, ou sur les perspectives pour sortir de l’ornière actuelle… Ce qui, visiblement, n’est toujours pas à l’ordre du jour.

Blaise Magnin

 
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