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En Bref

Les mots médiatiques sont importants

par Thibault Roques,

Que dire et que faire lorsque refleurissent, dans de grands médias, en gros titres ou en « unes », certaines associations de mots particulièrement incongrues sur les sujets les plus divers ?

(Le Monde, 04/09/18)

(Le Parisien, 13/10/15)

(La Dépêche, 16/12/17)

(L’Express, août 2018)

Qu’on ne s’y trompe pas : ces titres là sont légion et notre sélection ne constitue malheureusement qu’un échantillon représentatif de ce que l’on peut trouver, chaque jour ou presque, dans la presse française. Outre le fait qu’ils reconduisent des idées reçues qui banalisent, voire encouragent, sciemment ou non, la xénophobie, les violences conjugales, la tartufferie écologique ou l’essayisme le plus inconséquent, ils ont au moins un point commun : l’abus de langage.

Que les journalistes manient l’euphémisme ou la litote avec plus ou moins de bonheur, passe encore. Mais qu’ils véhiculent et s’accommodent si facilement de telles contradictions dans les termes, voilà qui est préoccupant. Car le journaliste est responsable des mots, et le moins que l’on puisse attendre est qu’il en use avec précaution sinon discernement. La recherche systématique du bon mot ou de la formule qui fera mouche en « une » pour grapiller quelques clics, quelques lecteurs ou quelques points d’audimat, ne saurait rien excuser, bien au contraire.

Disons-le tout net : il ne s’agit nullement de renforcer un quelconque pouvoir de police du langage mais simplement de rappeler les journalistes à l’exigence première du métier : être attentif aux mots employés car les mots sont importants, notamment ceux qui sont voués à circuler dans le champ médiatique et, partant, dans l’espace public. À ce titre, l’emploi – ou l’oubli – des guillemets n’est pas sans conséquence.

Il s’agirait, au fond, de promouvoir une certaine forme de déontologie, non pas celle, abstraite et à géométrie variable que le CSA tente désespérément de définir autant que de faire respecter, mais celle, plus réaliste et primordiale à la fois, consistant à veiller à un usage un peu mieux contrôlé du langage et, par là, à une pratique plus réflexive.

Défendre une telle pratique, ce n’est ni manquer de respect aux journalistes, ni leur donner des leçons de bonne conduite ; c’est simplement rappeler qu’il faut être suffisamment outillé, rigoureux et vigilant, à chaque instant, pour accomplir cette tâche difficile qui consiste à informer.

Car les professionnels du discours oublient parfois que les mots sont de la dynamite symbolique (qu’il suffise de songer au glissement islam/ islamisation ou islamique/ islamiste plus présent et prégnant que jamais dans le champ journalistique, comme en témoigne le dernier « brûlot » en date qui brille plus par sa candeur méthodologique et sa course au buzz effrénée que par la rigueur de l’investigation) ; ainsi, il n’y a souvent qu’un pas entre déformation et désinformation. Au gré d’approximations scandaleuses et d’associations hasardeuses comme celles qui figurent ci-dessus, cette novlangue journalistique « chic et choc » mais vide de sens risque fort de déformer la réalité voire, à terme, de la transformer.

On le sait depuis longtemps, travestir le langage, c’est altérer la pensée. En pervertissant la langue et en laissant prospérer les fables médiatiques, le journalisme risque fort de trahir sa mission première – informer – et de s’éloigner de son but ultime – dire le vrai sur le monde qui l’entoure.

Comment ne pas souscrire, dès lors, à la mise en garde de George Orwell lorsqu’il écrivait, non sans une ironie amère, que « c’est une belle chose que de détruire les mots » ? [1]

Thibault Roques

 
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Notes

[1“It’s a beautiful thing, the destruction of words.” George Orwell, 1984.

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