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Les médias et les Français musulmans : ce ne sont pas des terroristes, mais...

par Dominique Pinsolle,

Concernant l’islam (comme d’autres sujets), les grands médias actuels ont la fâcheuse tendance à exprimer des opinions interchangeables tout en se faisant les champions du « pluralisme » et du « débat démocratique ». Des opinions qui a force d’être rabâchées finissent par s’imposer comme relevant du sens commun.
En ce sens, la condamnation par de nombreux Français musulmans de la prise en otage de deux journalistes français en Irak a révélé la persistance d’une pensée médiatique unique à propos de la seconde religion de France. De nombreux éditorialistes, étonnés et ravis d’une telle réaction, sont prêts à ne plus soupçonner leurs compatriotes musulmans, mais restent quand même méfiants...

Le Monde, L’Express, le Nouvel Observateur et le Point sont unanimes : si la prise d’otages reste un drame, elle aura au moins permis aux Français musulmans de retrouver la raison. Comme l’explique Le Monde (02.09.04), dans un élan de sagesse populaire, « A toute chose malheur est bon ». Bernard Guetta salue également « L’acquis d’un drame » (L’Express, 06.09.04), accompagné par Claude Askolovitch, qui contemple « la France apaisée par la vertu d’un drame. Comme si on avait frôlé le pire, et si l’on s’était arrêté juste à temps » (le Nouvel Observateur, 02.09.04).

La presse dans son ensemble pousse un cri de soulagement. Car comme chacun le sait, la France était menacée par une invasion de terroristes barbus voilant leurs filles pour saper les fondements de l’école laïque. Et elle a réussi, grâce à son intransigeance et à l’interdiction du port du voile à l’école, à remporter une grande victoire. Et quelle victoire ! : « En trois jours, les barbus de l’UOIF sont ostensiblement rentrés dans le rang républicain » (le Nouvel Observateur, 02.09.04).
Dans cette affaire, les Français musulmans ont enfin pu recevoir leur certificat de “non-dangerosité” généreusement délivré par un jury d’éditorialistes anti-terroristes. Ceux qui n’inspiraient que la méfiance « ont gagné ici avec éclat leur brevet de républicanisme, c’est-à-dire, aussi, de laïcité » estime Jean Daniel (le Nouvel Observateur, 02.09.04), appuyé par Bernard Guetta : « Devant ce chantage terroriste à la loi sur le voile, les organisations islamiques françaises ont connu leur moment de vérité. Elles l’ont superbement passé. Dans l’histoire des musulmans de France, il y aura un avant et un après-29 août » (L’Express, 06.09.04).
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La presse accorde la nationalité française aux Français musulmans...
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La date semble être historique pour de nombreux journaux : tout se passe comme si les Français musulmans, jusqu’à présent tentés par l’action armée et les attentats suicides pour faire de la France une dictature islamique, auraient décidé de tourner le dos au terrorisme. Pour nos journaux, cela suffit à ne plus les voir comme des agents d’Al-Qaida et à en faire de vrais Français.
Le « tournant » est célébré collectivement. L’« islam en France » est devenu l’« islam de France » (titre de l’éditorial du Monde, 06.09.04). « La crise des otages marquera la naissance de l’islam à la française », décrète Le Nouvel Observateur, qui célèbre « les noces d’août » entre « Islam et République » (02.09.04). L’« islam à la française » n’existait apparemment pas auparavant pour l’hebdomadaire de Jean Daniel...

« Il n’y avait, en réalité, pas de doute à avoir », avoue Bernard Guetta (L’Express, 06.09.04), qui reconnaît malgré lui l’ineptie de ses propres propos : « le fait est que la question de la loyauté nationale des musulmans français se posait - à tort, mais c’est ainsi - à beaucoup de leurs compatriotes. [...] Un tournant est pris ».

Les ex-talibans en puissance que sont les Français musulmans ont retrouvé la raison, se félicitent les éditorialistes ; la loi interdisant le port du voile à l’école ne pose même plus problème. C’est l’« union sacrée » (Le Monde, 02.09.04), le « front du refus » (Libération, 30.08.04). Finie la contestation, finies les voix discordantes ; même dans les prises de position de Tariq Ramadan, qui « compromettent évidemment sa stratégie d’entrisme », « la règle républicaine n’en est pas moins respectée » (Jean Daniel, le Nouvel Observateur, 02.09.04).
Dans ce climat idyllique, les derniers à gesticuler pour semer le désordre sont évidemment toujours les mêmes : « Seule une petite frange gauchiste, autour du collectif Une école pour tous, persiste à dénoncer une loi “islamophobe et raciste”, poursuivant un combat qu’Alaoui a abandonné » (le Nouvel Observateur, 02.09.04). Les gauchistes, toujours les gauchistes...
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...mais un Français musulman reste quand même un musulman

La France n’est plus au bord du gouffre, nous rassure-t-on, « la rentrée scolaire ne sera pas une guerre civile » (le Nouvel Observateur, 02.09.04). Ouf ! Mais tout n’est pas réglé, car un musulman reste un islamiste en puissance, et donc un terroriste potentiel... Le « consensus reste fragile », « les ambiguïtés ne sont pas toutes levées » (Le Monde, 02.09.04).
L’« islamisme est une maladie de l’islam », alerte Claude Imbert (Le Point, 02.09.04), « et pour les recruteurs zélés, le vivier reste, chez nous, abondant. [...] Il faut que leur réaction salutaire ne soit pas un feu de paille. Qu’elle devienne un contre-feu à l’incendie. Car, en Europe, le feu couve toujours... ». Le Nouvel Observateur s’interroge donc : « Armistice tactique ou paix des braves ? » (02.09.04).

La question mérite d’être posée, puisqu’il ne faut pas oublier que l’islamisme a remplacé le communisme et le nazisme comme ennemi n°1 de la démocratie occidentale dans nos journaux. Après Staline et Hitler, Ben Laden semble reprendre le flambeau du totalitarisme. « L’Islam hésite », explique doctement Bernard Guetta, qui s’aventure dans une analyse psychologique de l’« Islam » avec un grand « I » : « Il est hypnotisé, c’est vrai, par une tentation de la violence que d’autres ont connue avant lui. A peine sortis du siècle du goulag et d’Auschwitz, nous ne savons que trop, nous autres Européens, ce que sont ces moments d’exaltation collective » (L’Express, 06.09.04).

Mais la situation est peut-être encore plus grave qu’en 1939, s’alarme Claude Imbert, car c’est à des primates fanatisés tout droit sortis des âges barbares que nous avons cette fois-ci à faire. Dans une analyse qui se démarque par sa finesse et sa subtilité, l’éditorialiste « un peu islamophobe » - comme il l’a lui-même concédé (LCI, 24.10.03) - souligne les particularités de ce nouvel ennemi venu « d’ailleurs » : « Le nazisme, le communisme appartinrent au Mal occidental, nés qu’ils étaient dans l’abîme d’un coma démocratique. L’islamisme vient d’ailleurs. D’un ailleurs géographique, et plus encore historique. C’est un bloc du passé de l’humanité, figé dans son âge théocratique, dans son refus des temps modernes, commencés chez nous, il y a quatre ou cinq siècles » (Le Point, 02.09.04).

Alors, totalement Français ces musulmans ? Nos éditorialistes semblent exiger de nouvelles preuves...

Ainsi vont les commentaires de nos chers éditorialistes : ils sont libres parce qu’ils s’affranchissent autant que possible d’un contact effectif avec les faits ; ils sont pluralistes parce qu’ils disent à plusieurs voix à peu près la même chose ; ils satisfont la liberté d’expression de quelques uns au détriment du droit à l’information du plus grand nombre et du droit d’informer de ceux dont ils parlent.

Dominique Pinsolle

 
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