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En bref

Les étranges fluctuations éditoriales des « Unes » de Libération

par Thibault Roques,

Parmi les principaux titres de la presse quotidienne nationale, Libération est l’un des rares journaux traditionnellement classés « à gauche ». À chacun de contester s’il le veut ce parti-pris : personne ne lui contestera le droit de prendre parti. Or, qu’en est-il vraiment de la ligne éditoriale ? De quelle « gauche » parle-t-on ? Et de quelle « gauche » parlent-ils ? Plus exactement : de quelle « gauche » parle la chefferie éditoriale du quotidien, tant il est vrai que tous les journalistes de Libération ne partagent pas le positionnement dont les « Unes » du quotidien sont le révélateur.

La victoire de François Hollande lors de la dernière élection présidentielle et ses premiers mois au pouvoir ont été à cet égard assez révélateurs, notamment si l’on s’attarde sur quelques « Unes » marquantes. Ainsi, le 23 janvier 2012, au lendemain du discours du Bourget de celui qui n’était alors que le candidat du PS, le verdict est sans appel :

Mais immédiatement après cette titraille catégorique, le jugement définitif semble, en plus petits caractères, sujet à caution : « François Hollande assume clairement une ligne sociale-démocrate » nous dit Libé.

Sans doute la gauche de ces trente dernières années a-t-elle beaucoup pâli. Au point de se réduire à quelques « nuances de roses » ? C’est en tout cas ce que suggère le quotidien de Rothschild le 5 décembre 2012 :

Libé, qui avait cru déceler une cohérence et un programme « de gauche » à la veille de l’élection présidentielle de 2012, déplore désormais la navigation politique à vue, « faute de doctrine propre ». Quant à la « Une » du 10 septembre dernier, plus stupéfiante encore, elle accable le représentant « de gauche » d’hier :

Et pour que la révolution soit totale – et totalement dialectique –, ne manquait plus que la « Une » complémentaire du 12 novembre dernier :

Si ces quelques (gros) titres traduisent (peut-être ?) une lucidité croissante sur l’état de la gauche aux affaires et sur la politique qu’elle mène, ils n’en restent pas moins symptomatiques d’un titre de presse girouette dont la ligne éditoriale semble elle-même décidément fluctuante.

À l’instar de la gauche au pouvoir, ces quelques « Unes » de Libé sont un condensé édifiant sur deux années à peine –, d’un quart de siècle de progressisme affiché qui, de renonciation en reniement, s’est souvent traduit, sur le papier, par maints louvoiements éditoriaux, l’amnésie journalistique aidant.

Tout se passe comme si, au fil des illusions et des désillusions successives, Libé, tantôt démesurément enthousiaste, tantôt légèrement désabusé, s’adaptait, bon gré, mal gré, à l’air du temps politique et économique jusqu’à en épouser les moindres inflexions. Ou quand tergiversation politique rime avec contorsionnisme éditorial… « de gauche ».

 
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