Dans Le Monde du 21 décembre 2005, sous l’apparence d’un « portrait » de l’ex-commissaire européen, le journaliste Alain Frachon signait un manifeste en faveur du nouveau patron de O.M.C et de ses conceptions en matière politique économique, analysé ici-même sous le titre « Lamy du Monde ».
C’est à nouveau le cas dans Libération du 27 décembre, où, cette fois, c’est sous l’apparente analyse d’un « expert » indépendant que sont publiées les idées et les opinions de Pascal Lamy : un article d’Alain Trannoy - présenté comme directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales - sur la question de la baisse de la TVA à la restauration. Il ressort que cet article émane en fait d’un collectif ayant pignon sur le net. Un court rectificatif paru dans l’édition du lendemain, repéré par Luc Douillard [1], dévoile malgré lui la supercherie : « Le texte d’Alain Trannoy « La baisse de la TVA des restaurateurs est une erreur » paru hier en page Rebonds était en copyright : www.telos-eu.com, du nom de l’agence intellectuelle publiant des réactions à l’actualité de chercheurs et universitaires ».
Une visite sur le site en question s’impose [2].
La page d’accueil de Tellos-eu.com annonce la couleur : « Mettre la compétence au service de la réactivité. Commentaires rapides sur des sujets complexes par des personnalités et des experts capables d’appréhender l’événement, de le mettre en perspective, de le critiquer, d’avancer des propositions ». On pourrait ironiser sur l’objectif affiché de « commenter rapidement des sujets complexes », mais il faut avouer que ça sonne bien, efficace et sérieux : tout pour séduire les journalistes paresseux en mal d’arguments. Car c’est bien aux journalistes que s’adresse cette « agence » tout juste fondée en décembre 2005, mais à qui Libération offre déjà une tribune : « Regroupant universitaires et professionnels (...) Telos-eu aspire ainsi à servir de plateforme de débat entre intellectuels, de lien entre intellectuels et médias, de canal de communication entre intellectuels et public ».
Sur « Telos.eu » on trouve donc, mis en ligne le 20 décembre, le texte d’Alain Trannoy publié mot à mot par Libération sept jours plus tard. Seul le titre est différent. Sur le site, il est plus martial : « Dire non aux restaurateurs pour la baisse de la TVA à 5,5% » [3]
Une visite à la page « Qui sommes-nous ? » dévoile qui se cache derrière ces « universitaires et professionnels » soucieux de faire partager leurs « analyses ». A leur tête... Pascal Lamy, président d’un Comité de Parrainage œcuménique qui réunie sous une même bannière professeurs d’économie, banquier d’affaires, membre du conseil exécutif du MEDEF et vice P.D.G. de multinationale [4].
La gamme des sujets sur lesquels cette « agence intellectuelle » promet son expertise est vaste : Commerce mondial - Discriminations - Économie européenne - Éducation - Émergents - Énergie - Entreprise et société - Environnement - Europe politique - Finance mondiale - Fiscalité - Marché du travail - Politique internationale - Propriété intellectuelle - Protection sociale. De quoi alimenter régulièrement les pages « Rebonds » de Libération.
Ses objectifs sont clairement revendiqués : « (...) elle aspire à répercuter sans esprit partisan (sic) les grands débats mondiaux dans un espace français livré aux passions hexagonales. L’écart qui sépare la France du reste des autres grands pays est devenu trop préoccupant pour que nous ne nous interrogions pas sur le narcissisme de nos petites différences et sur les moyens de s’en défaire. »
Une profession de foi qui sonne comme l’amer constat de la défaite au référendum français sur le Traité Constitutionnel Européen et comme un appel à inverser la tendance en fournissant aux médias les arguments nécessaires pour faire comprendre aux Français les bonnes manières de l’Europe libérale [5].
On comprend bien quels bénéfices Pascal Lamy - qui signe la première contribution - et ses amis entendent toucher en offrant aux médias gracieusement et « à chaud », sur des questions « d’actualités », l’avis « d’experts » dûment labellisés. On comprend mal (ou trop bien...) pourquoi le journal Libération abuse ses lecteurs en ne signifiant pas clairement l’origine des articles qu’il publie autrement qu’après coup et seulement pour se mettre en accord avec la loi du copyright.
Yannick Kergoat