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Le bonheur d’entreprendre selon {Les Dernières Nouvelles d’Alsace}

par Stanislas,

Les DNA incluent dans les pages « Région » de chaque samedi une importante rubrique « Economie » ; on se doute qu’on risque d’y trouver quelques pépites ... La preuve en ce 7 mai 2004 : un chef d’entreprise colmarien suscite l’admiration émue du quotidien strasbourgeois.

« Philippe Bloch, un créateur "fort de café" », tel est le titre tonitruant de l’article, par ailleurs sobrement signé I.N. ; dans le chapô du papier, ce monsieur est présenté comme le « fondateur de l’enseigne Columbus Café », et il y est précisé qu’il a livré lors d’un colloque sa « vision iconoclaste de la création d’entreprise ».

Le bonheur ébouriffant d’entreprendre a donc apparemment encore besoin d’être vanté au bon peuple. Et cette promotion pulicitaire est un modèle du genre.

« A 44 ans, le Colmarien Philippe Bloch est un drôle d’oiseau dans le paysage entrepreneurial français. Il bat en brèche les grands principes qui régissent la création d’entreprise. » Rien que ça !

D’ailleurs, « aux porteurs de projets innovants, il conseille : "Ne faites jamais d’étude de marché, n’écoutez pas votre banquier ni votre environnement, ne laissez jamais tomber, si vous encore foi en votre idée après un échec. Car on peut rebondir. Acceptez de tout perdre. Ne croyez pas à la chance, mais au travail." Décoiffant ! »

Là, notre journaliste n’en peut déjà plus ... au point que le discours du "porteur de projets innovants", aux relents quasi-mystiques, ne provoque pas la moindre réserve.

D’ailleurs, à destination des sceptiques (s’il en reste), I.N. s’empresse de préciser : « Pourtant, l’homme n’a rien d’un rigolo, comme son pedigree l’atteste : diplôme de l’ESSEC, éditeur pendant trois ans du magazine l’« Expansion », auteur à succès, son ouvrage « Service compris » [...] s’est vendu à 500 000 exemplaires. ».

Le plus dur est fait, on peut passer à la biographie, forcément exemplaire, de notre « drôle d’oiseau ». Ainsi, ce Philippe Bloch « a monté en 1987 sa société de conseil et de formation, avant de s’engager dans un parcours mouvementé de créateur qu’il raconte sur le mode jubilatoire  » [souligné par moi] ; s’ensuit la narration de la création en 1994 de l’enseigne « Columbus Café », inspiré de bars américains dont le « concept » fait prodigieusement envie : « Pas de service en salle, mais la commande est passée au comptoir, pas d’alcools, un environnment non fumeur et un choix d’une trentaine de boissons à base de cafés et de thés aromatisés. ».

Cette première tentative est un bide ? Qu’à cela ne tienne : « Le créateur analyse les raisons de l’échec [...] tire les leçons du fiasco, mais ne lâche pas prise. En 1996, il reprend le concept autrement. [...] Cette fois, la greffe prend. Aujourd’hui, Columbus Café revendique 36 points de vente [...] 160 salariés et 8 millions d’euros de chiffre d’affaires. » Allélujah !

Tant d’admiration fervente mérite un grand prix de journalisme. Passons sur l’entreprise élevée au rang d’oeuvre d’art (dire « le créateur  » suffit apparemment), pour tirer, avec N.I. la morale du trajet de notre modèle : muni de sains préceptes économiques comme « Ne faites jamais d’étude de marché, n’écoutez pas votre banquier ni votre environnement, ne laissez jamais tomber [...] car on peut rebondir. Acceptez de tout perdre. »), on peut relancer une affaire qui a raté, tout en ayant « tout perdu » ... Qui veut tenter le coup avec son banquier ?

Surtout si ce dernier est sensible à cette leçon : il n’est pas contradictoire avec ce qui précède qu’un « créateur analyse les raisons de l’échec ». Splendide !

En toute logique donc, « fort de son expérience, Philippe Bloch a lâché le métier de consultant. Il se consacre aujourd’hui à l’écriture et fait des conférences pour prêcher la bonne parole aux créateurs. [sic] Avec un art consommé de la formule lorsqu’il assure : "La ténacité et le goût du risque font partie de l’ADN de l’entrepreneur." Ou que le rôle du chef d’entreprise, "c’est d’être une usine à importer de l’angoisse et à exporter de l’enthousiasme". »

Et notre journaliste, conscient de n’être que bien peu de choses face à tant de compétence, préfère conclure ainsi, sans rien ajouter ...

Stanislas

 
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