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Bilan de l’an 2002

Le Monde contre Attac et Le Monde Diplomatique

par Philippe Monti,

Dans son « Bilan du Monde » et sa recension de l’ « Atlas du Monde diplomatique », Le Monde règle ses comptes. Deux extraits pour le montrer et une lettre au médiateur pour s’expliquer.

Extraits du Monde-qui-débat

 Le Monde tire le « Bilan du Monde »

Le Monde a confié la préface de l’édition 2003 de son "Bilan du Monde" à Michel Wieviorka et à Pascal Bruckner : un choix qui ne laissait rien présager de bon pour la critique de la mondialisation libérale. Et, effectivement, on n’est pas déçu par ce qu’on peut lire en page 7 sous la plume de Pascal Bruckner :
A cet égard, l’organisation Attac, en reprenant la distinction maurassienne du pays légal et du pays légitime, en vouant aux gémonies les partis traditionnels et la construction européenne, travaille quoiqu’elle en ait à délégitimer toute forme d’action politique au profit d’une conception blanquiste ou léniniste d’une minorité éclairée. Ce n’est pas être insultant que de souligner la grande faiblesse théorique de la mouvance altermondialiste qui peine à dépasser le stade de la simple invective au moment où le système a plus besoin que jamais pour se régénérer d’un adversaire à sa mesure. "

Le Monde a ainsi trouvé un courageux « éditorialiste associé » pour vitupérer haut et fort ce que l’ « éditorialiste anonyme » (qui engage chaque jour la rédaction) ne parvient pas à affirmer avec autant de délicatesse.

 Le Monde jauge l’ « Atlas du Monde Diplomatique »

... qui, dès le titre de l’article publié le 24 janvier 2003 sous la signature de Sylvain Cypel, se transforme en « un bréviaire contre la "mondialisation libérale" ».

Suit un éloge apparent, immédiatement miné par le sous-entendu, jusqu’au moment où tombent les sentences :

1. « Le lecteur adhérant à la vision systématiquement réaffirmée de l’Atlas y trouvera une argumentation dense ; le lecteur plus critique y recensera quelques erreurs factuelles et, surtout, les absences - celles, en clair, des effets bénéfiques de la mondialisation - qui entachent la démonstration, faisant de l’ouvrage un outil plus "antimondialiste" qu’ "altermondialiste". »

Et sous le sous-titre « Nostalgie d’une époque » :

2. « Quelques passages, enfin, susciteront un malaise. On retiendra, entre autres, ceux consacrés à la disparition du bloc communiste, empreints d’une note nostalgique pour une époque où les enjeux mondiaux étaient plus facilement identifiables. Le texte étudiant la "sanglante partition de la Yougoslavie" est particulièrement étonnant. (...) Hormis l’explication de sa "désintégration" par les pressions du FMI et des puissances occidentales, imposant, là comme dans les pays libérés de la tutelle soviétique, un "tournant libéral" perçu comme instigateur de tous les maux, les "pouvoirs nationalistes" à Belgrade, Zagreb et Sarajevo y apparaissent également responsables du déclenchement des hostilités. L’article parvient à ignorer le terme emblématique des dernières guerres balkaniques, celui d’ "épuration ethnique", véritable stratégie mise en œuvre par Slobodan Milosevic et les Bosno-Serbes, et, en partie aussi, par la Croatie de Franjo Tudjman, dont seront très majoritairement victimes les musulmans bosniaques. »

Cette double introduction aux débats que Le Monde affectionne n’étonnera pourtant que ceux qui tentent de cultiver le maigre carré réservé à la contestation.

Lettre au médiateur-qui-arbitre

"Monsieur le Médiateur,

J’ai apprécié à sa juste valeur la façon dont Le Monde démolit l’Atlas du Monde diplomatique dans son édition datée du 24/01/03. Cet atlas ne serait qu’un "bréviaire" : le titre suggère donc d’emblée qu’il s’agit d’un document rédigé par des intégristes et destiné à être répété stupidement par des benêts ignorants qui réciteront ainsi leur messe en latin.

Ce serait aussi un ensemble "nostalgique" (sic) du communisme soviétique : il suffit sans doute que le quotidien vespéral des marchés l’affirme pour que cela devienne une vérité établie ! Cet atlas chanterait les louanges de Milosevic ; pourtant, un lecteur honnête n’y lira rien de tel. Mais, pour Sylvain Cypel, la preuve est aveuglante et tient dans un non-dit : la notion d’épuration ethnique ne figure pas explicitement ! Comment résister à un procès si totalitaire qu’il retient à la charge de l’auteur non ce qu’il a écrit mais ce qu’il n’a pas écrit ?

On y recenserait des "erreurs factuelles" - mais pas une seule n’est indiquée - et des "absences", "celles, en clair, des effets bénéfiques de la mondialisation"... Bien entendu, Sylvain Cypel ne nous dit absolument rien de clair quant à ce que seraient précisément ces "effets bénéfiques" si lamentablement oubliés par les fanatiques "antimondialistes plus qu’altermondialistes" du Monde Diplomatique.
Un bon tiers de ce brillant compte rendu est exclusivement consacré à la Yougoslavie : Le Monde ne parvient peut-être plus à percevoir le monde qu’au travers de situations très localisées et surmédiatisées ; avec des jumelles idéologiquement très orientées ; et pour régler des comptes. C’est sans doute cette hauteur de vue qui avait autorisé Jean-Marie Colombani, il y a quelques mois, à reprocher à la rédaction du Monde diplomatique d’être trop engagée et trop partisane... Dieu merci, avec Le Monde, de toute évidence, nous sommes à l’abri d’un tel aveuglement !

L’atmosphère de franche camaraderie qui semble unir Le Monde et Le Monde diplomatique est assez distrayante, vue de l’extérieur !

En m’inscrivant dans le droit fil de ce journalisme qui se revendique sans parti pris, je me permets de m’étonner du ton violemment injurieux pour Attac de la page 7 du Bilan 2003 du Monde : Attac serait une organisation "maurassienne" (?!?) dotée d’une conception "blanquiste ou léniniste" (?!?). Avec un tout petit effort d’imagination, Pascal Bruckner aurait pu enrichir cet inventaire hétéroclite : vychiste, antisémite, gauchiste et terroriste ! Cela aurait contribué à renforcer la précision nuancée de son tract (pardon : de son "analyse").
Les lignes qui suivent sont encore plus subtiles : la "grande faiblesse théorique" du mouvement altermondialiste est sommairement stigmatisée ; en effet, ce mouvement ne saurait pas "dépasser le stade de la simple invective". Et, comme chacun peut en faire le constat, Pascal Bruckner, lui, le dépasse sans aucune difficulté...

Il est vrai que Pascal Bruckner est universellement connu pour être un grand économiste, un expert respecté de l’analyse des flux de capitaux et un esprit exclusivement préoccupé de rigueur scientifique ! Lui, au moins, n’écrit pas un "bréviaire". Il est donc bien normal que Le Monde lui réserve une place de choix pour exprimer la pensée nuancée et informée qui fait la qualité du vrai journalisme incarné par le quotidien vespéral des marchés.

Il reste cependant que le lecteur attentif peut aisément mesurer l’écart entre le style d’Ignacio Ramonet et celui de Pascal Bruckner : d’un côté le souci de mettre des faits en perspective, de l’autre un imprécateur aveuglé par l’arrogance, l’ignorance et la passion.

Je m’interroge quand même : ce climat hystérique de chasse aux sorcières n’a-t-il pas pour première fonction d’assurer la promotion du dernier livre du "plagiaire servile", Alain Minc ?

Philippe Monti"

 
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