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Le Monde ausculte l’intimité de Mme Agacinski et de M. Jospin (1)

"Le Monde" a mobilisé ses grands patrons pour sonder les états d’âme de Mme Agacinski-Jospin à l’occasion de la publication de son "journal" de campagne. Conjuguer sensationnalisme et leçon de bien-penser : mode d’emploi.

Le Monde est cet étrange quotidien qui choisit pour titre principal de son édition " en ligne " du 25-26 septembre 2002 :
" Le débat sur la guerre s’invite dans les élections "
(un article consacré au débat sur une éventuelle guerre américaine en Irak à l’approche des élections du 5 novembre qui renouvelleront partiellement la Chambre des représentants et le Sénat.)...

... Et qui titre sur cinq colonnes son édition " papier " du même jour sur :
" L’échec de Jospin vu par sa femme ".

L’importance de l’enjeu justifie que l’on mobilise le Directeur de la rédaction, un Directeur adjoint et deux Rédactrices en chef pour rendre compte de cet événement de portée mondiale : la publication du " journal intime " de Mme Agacinski. Et que l’on accorde à cet événement retentissant toute la place qu’il mérite : la " Une ", deux pages intérieures, et une chronique en dernière page.

Ce qui nous vaut en pages intérieures :

 un article d’Hervé Gattegno et Anne-Lise Rocatti (rédactrice en chef) : " Campagne et défaite de Lionel Jospin, racontées par son épouse " ;

 un entretien avec Mme Agacinski, dont les propos ont été recueillis par d’Hervé Gattegno et Anne-Lise Rocatti et ... Edwy Plenel soi-même (Directeur de la rédaction), sobrement titré : " Des gens l’interpellent : "On a besoin de vous, pourquoi n’êtes-vous pas là ?" Il répond : "Le 21 avril, j’étais là. C’est vous qui n’y étiez pas" ".

 un extrait de l’ouvrage

 une critique de livre signée Josyane Savigneau (Rédactrice en chef) : " Une intellectuelle dans la bataille politique, ou le risque de l’intime " [1]

A quoi, il faut ajouter la chronique de Pierre Georges (directeur adjoint), en dernière page : " Le nouveau pacte ".

A en juger par le contenu de ce " dossier " un tantinet " people " (mais de luxe...), Le Monde n’est pas rancunier. Car, c’est un leitmotiv, Mme Agacinski épingle les journalistes.

Ce qui, pour Le Monde devient : " aversion " et " détestation ".

Ainsi, parmi les passionnantes questions posés dans l’entretien " relu et amendé par Mme Agacinski ", celle-ci : " Vous semblez éprouver une certaine détestation de la presse. En voulez-vous aux journalistes ? "

Et Josyane Savigneau reprend en écho :

 Chapô de l’article : " Dans son "Journal interrompu", Sylviane Agacinski se confie sans pathos, affichant librement son féminisme et son aversion pour les journalistes. Le sens politique de ce récit reste à éclaircir. "

 Coeur de l’article : " Françoise Giroud fait partie, avec Jean Daniel, des rares personnes échappant à la détestation des journalistes que professe Sylviane Agacinski. "Aujourd’hui, la plupart des journaux ne semblent écrits que pour nous dégoûter de l’humanité" ; "J’aime bien les photographes (...) Ils travaillent d’une façon qui me paraît généralement moins perverse que celle des journalistes..." Pourquoi relever ces phrases ? Non par souci de corporatisme. Au contraire, parce que "les journalistes" ne signifie rien, pas plus que "les philosophes" ou "les hommes politiques". "

" Non par souci de corporatisme " ... Une jolie dénégation, à remplacer par cet aveu : " par excès de nombrilisme ".

Mais que dit exactement Mme Agacinski dans l’entretien (pour le livre, on attendra de le lire..., si on le lit). Réponse à la redoutable question : " Vous semblez éprouver une certaine détestation de la presse. En voulez-vous aux journalistes ? "

Réponse : " Je ne suis pas la seule ! Pendant toute cette période, j’ai senti dans l’opinion une certaine exaspération - tout à fait justifiée - à l’égard des médias audiovisuels et, à un moindre degré, de la presse écrite. Les médias prétendent refléter l’opinion, mais ils la font pour une large part, avec beaucoup de démagogie et peu de civisme (on redécouvre le civisme après le 21 avril). De plus, ce sont les médias qui organisent la communication des politiques avec les citoyens. C’est ce qui fait dire à Régis Debray que les politiques sont "humiliés" par les techniques ; ce qui est sûr, c’est que l’opinion ne connaît de la vie politique que ce qui apparaît sur la scène médiatique, avide de sensationnel. A la télévision, c’était la claque de Bayrou, une petite phrase par-ci par-là. Plus gravement, les journaux ont abusivement présenté une espèce de désintérêt des Français pour la vie politique comme un reflet de l’opinion. Mais ce sont eux qui ont convaincu l’opinion que tout finirait inévitablement par un duel Chirac-Jospin. Ce sont eux qui demandent aux politiques de faire du spectacle. "

Ces critiques - sommes toute banales, mais fondées - témoignent en effet d’une grande " détestation ".

... dont Josyane Savigneau dégage subtilement le sens politique : "D’où vient alors ce sentiment étrange que Sylviane Agacinski, tant à propos des médias que des jeunes notamment - "Montherlant n’avait pas tort de dire que la jeunesse est toujours un peu en retard" -, est beaucoup plus proche de Régis Debray, d’Alain Finkielkraut et des intellectuels favorables à Jean-Pierre Chevènement que de ceux qui ont soutenu Lionel Jospin ? "

Une " sympathie " qui frise le crime inexpiable quand on se souvient que c’est Jean-Pierre Chevènement que Jean-Marie Colombani avait rendu responsable de la défaite de Jospin [2]

Décidément, on a rapidement fait le tour intellectuel du microcosme et le repérage des sous-entendus vipérins qui font ses délices.
Reste une ultime question : puisque Mme Agacinski se défie du sensationnalisme, que pense-t-elle de la mise en scène médiatique de la sortie de son livre ?

La suite : "Le Monde" ausculte l’intimité de Mme Agacinski et de M. Jospin (2).

 
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Notes

[1Attention, les liens établis ici sont susceptibles d’être rompus à tout moment, les critères du Monde quant aux choix et à la durée de la mise en ligne relevant du mystère le plus opaque. Note d’Acrimed.

[2Rappelons avec quelle finesse et quelle élégance, Jean-Marie Colombani tirait le bilan du premier tour de l’élection présidentielle :
"M. Le Pen n’est donc là que parce que Jean-Pierre Chevènement l’a permis, lui qui a choisi de se séparer de celui qui, en 1997, l’avait tiré de l’oubli ; un Jean-Pierre Chevènement qui est allé au bout de son élitisme dévoyé, en proclamant : "Sortez les sortants", soit le slogan de Jean-Marie Le Pen depuis 1956".
(Editorial, paru sous le titre "La blessure" dans Le Monde daté du 23 avril 2002).

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