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Larzac 2003

L’ altermondialisme expliqué par les Dernières Nouvelles d’Alsace

par Stanislas,

A l’occasion du rassemblement du Larzac, dans son éditorial du 9 août 2003 titré « Mondialisation », Dominique Jung a décidé de veiller à ce que les lecteurs des DNA comprennent le mouvement altermondialiste comme il doit être compris.

Autant le dire tout de suite : Dominique Jung est plus habile, moins frontal que certains de ses confrères du quotidien strasbourgeois (pensons en particulier à Alain Howiller) dans sa manière de faire passer son message...

Cela commence ainsi : « L’écologie politique a fait du chemin depuis les premiers rassemblements au Larzac il y a trente ans. Du chemin dans les têtes plus que dans les urnes. En nombre d’élus, les Verts titulaires d’une case [sic] sur l’échiquier politique français restent marginaux. Mais en nombre de sympathisants, la plate-forme politique s’est élargie. Autour d’ATTAC et de ses émules, ce sont les nouveaux acteurs de la vie politique. ».

La neutralité apparente du propos mérite que l’on y regard de plus près. Le choix des mots éveille l’attention. Ainsi les Verts sont « titulaires d’une case », mais restent « marginaux ». Ainsi, Attac a des « émules », comme si cette association s’était posée en leader » d’un mouvement multi-thématique (qui ne se limite pas à l’écologie), qu’on se dispense ainsi d’analyser et dont on laisse entendre qu’il est constitué d’un ensemble d’imitateurs. L’expression présente, pour notre éditorialiste, au moins un avantage : désigner une cible…

Le donneur de leçons taille ensuite à sa (petite) mesure le (grand) rassemblement du Larzac : « Ce week-end au Larzac, le dénominateur commun est la marche de la planète, avec ce que cela suppose d’effervescence vite brouillonne dans les débats. Réflexions pertinentes et déluge verbal vont de donner la main. Cela fait partie du jeu. »

Passons sur la cohérence logique. Quelle est le rapport entre le « dénominateur commun » et l’effervescence brouillonne », que tante d’établir ce bout de phrase : « le dénominateur commun est la marche de la planète, avec ce que cela suppose d’effervescence vite brouillonne dans les débats. » ? Passons sur l’élégance de l’expression qui prophétise que des réflexions et un déluge verbal « vont se donner la main » ! Sans doute des effets d’une effervescence un tantinet brouillonne.

Restent les affirmations péremptoires qui laissent entendre que les débats seront plutôt stériles et que le rassemblement du Larzac est un « jeu » pour grands enfants. Il est vrai que pour un détenteur de la parole légitime, éditorialiste de surcroît, se libérer, ne serait-ce que par la parole, de l’étau néolibéral relève du « déluge verbal » sans intérêt !

L’essentiel est déjà sous-entendu, il ne reste plus qu’à l’expliciter : « Le Larzac est un rassemblement par nature hétérogène. Impossible de faire la synthèse entre les anti-OGM, les pacifistes, les défenseurs des sans-papier, les avocats des Indiens du Chiapas, les protecteurs de la forêt amazonienne, les militants du commerce équitable. Impossible sauf à désigner un ennemi commun. C’est le rôle dévolu à l’OMC, cette fameuse « Organisation Mondiale du Commerce ». »

Tout est fait dans ce passage pour disqualifier la lutte contre le néolibéralisme. D’abord un inventaire volontairement bigarré, donc rebutant, des participants, permet de souligner qu’un tel rassemblement ne saurait avoir la légitimité naturelle d’organisations bien identifiables et aisément « décodables ». Ensuite, une affirmation péremptoire préliminaire (« impossible de faire la synthèse... »), suffit à réfuter d’emblée l’idée que lutter contre l’OMC est justement la synthèse en question ! Du grand art !

Cette OMC injustement attaquée doit à présent être défendue. Dominique Jung s’y emploie séance tenante : « Quand on la connaissait sous sa forme antérieure de GATT [...] elle avait un côté technocratique qui la préservait des férocités militantes. » Affligeant : pour vivre heureux à l’abri des sauvages militants, vivons cachés !

« Seuls les économistes osaient s’y frotter.  » Ils sont compétents, eux au moins, dans la mesure où ils approuvent ce système !

« Depuis que l’OMC a succédé au GATT en 1994, depuis qu’elle se pose en instance supranationale susceptible de parler d’égal à égal avec les Etats, elle est perçu comme un danger direct. » L’OMC ne « se pose » pas en instance supranationale, elle en est une ; elle n’est pas « susceptible » de parler d’égal à égal avec les Etats, les Etats lui sont subordonnés (instance « supranationale » !). Qu’elle soit un danger direct est alors une évidence, et non pas simplement une perception subjective.

Après une telle charge, Dominique Jung adopte à nouveau un ton d’apparence plus conciliante : « C’est sa légitimité qui est en cause.  » poursuit-il, parlant toujours de l’OMC.

« Un gouvernement contesté peut être renversé par une élection. Si l’OMC régule les flux marchands des cinq continents, il faut l’empêcher d’exercer de façon masquée un rôle politique majeur. C’est à cela que s’essaient les altermondialistes en faisant valoir des critères non juridiques comme la dimension culturelle ou le principe de précaution.  » Bon, pourquoi pas ? Mais point trop n’en faut : « Le combat pour la rentabilité à outrance, pour la compression des coûts de production garde sa pertinence financière, mais n’a pas vocation à être le critère unique de décision. L’éthique devient un paramètre encore modeste dans la conduite des affaires, mais il prend de l’ampleur. » Comment peut-on encore accorder une « pertinence » à quelque chose qui se fait « à outrance » ? Absurde... Et puis, l’éthique, c’est si pratique : tout le monde y met ce qu’il veut ; les néolibéraux ont aussi une éthique à eux !

Mais que le lecteur des DNA se rassure : tout ça ne va pas remettre en cause sa précieuse tranquillité, car « à vrai dire ce [qui précède] n’est pas aussi neuf que le disent certains altermondialistes. C’est juste une extension planétaire des premières préoccupations syndicales. Ceux qui se battaient au XIXème siècle contre le travail des enfants dans les mines de charbon sont les ancêtres directs de ceux qui luttent aujourd’hui contre la main d’oeuvre enfantine dans les usines d’allumettes chinoises ou les fabriques de tapis pakistanaises. » Pas grave, par conséquent : on a bien fini par les mater, les syndicats ! « La mondialisation est irréversible. Donc autant l’aiguiller sur des rails qui ne soient pas les plus oppressant pour l’homme. »

On se disait bien ! LA mondialisation, car il n’y a pas d’alternative, est « irréversible » et inéluctable !

Admettons alors tout au plus qu’on tente de lui donner un genre de « visage humain », selon la formule consacrée, autrement dit qu’elle se fasse selon des termes « qui ne soient pas les plus oppressant pour l’homme.  » Mais bon, n’en demandons pas trop : il faudra tout de même bien que ce soit un peu oppressant...

Stanislas

 
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