Une intervention au nom de Solidaires et plus particulièrement de SUD-Rail, puisque pour illustrer mes propos je prendrai l’exemple de la grève des cheminot-es de juin et son traitement « médiatique ».
La question du rapport aux médias est bien évidemment présente dans le syndicalisme. Non pas parce que les syndicalistes ont découvert la presse et la télévision ces dix dernières années, mais parce que les modes de communication se sont diversifiés… presse écrite, télévision mais aussi Internet, puisqu’un certain nombre de médias (notamment ceux dits alternatifs) fonctionnent aussi, si ce n’est uniquement par Internet.
Présente aussi, peut-être parce que chez quelques syndicalistes qui sont aussi des femmes et des hommes, les choses n’existeraient que si on en parle dans le journal et à la télévision…
Faut-il parler et parler à tous ?
Un des débats qui traverse nos organisations syndicales est « quel rapport devons-nous avoir avec les journalistes ? »
Cette question, nous nous la posons à chaque conflit, mais il n’y a pas de réponse unique.
En effet, les médias régionaux sont souvent plus « abordables », moins « dirigés », plus à l’écoute, notamment dans le cadre de luttes locales, comme celles menées dans plusieurs régions contre la suppression des contrôleurs dans les trains.
Au niveau national, en cas de conflit, si nous ne refusons pas beaucoup d’interviews de journalistes de la presse écrite, il est hors de question d’aller se « produire » n’importe où.
Les informations, les émissions de débats oui, les émissions de divertissements non, car même si c’est très minoritaire « l’attrait de la caméra qui brille » existe aussi au sein de SUD-Rail. Ce n’est pas l’orientation adoptée, mais très minoritairement ça existe.
Il ne s’agit pas de jugements de valeur sur telle ou telle émission, mais de se rappeler que ce que nous faisons c’est du syndicalisme …
Les médias et le traitement de la grève des cheminot-es de juin
Comme je l’ai dit, nous avons fait le choix de répondre aux journalistes pour expliquer ce mouvement de grève.
Nous avons fait le choix également de ne pas seulement attendre les sollicitations, mais de rédiger régulièrement pendant la grève des communiqués de presse pour expliquer ce mouvement et déconstruire le discours lénifiant du gouvernement et de la direction SNCF sur le projet de loi de Réforme ferroviaire.
Le premier constat est que le discours de la direction et du gouvernement ont été mieux relayés par les médias.
Le contexte de la grève, le projet de loi sur la réforme ferrovaire.
En 1997, la SNCF était séparée en deux avec la création de RFF qui s’est vue transférer la dette de la SNCF. SUD-Rail avait à l’époque dénoncé ce jeu de dupes…
Fin 2012, le gouvernement, via la voix du ministre des transports de l’époque annonce, la « réunification » de la SNCF.
Il ne s’agit pas là d’expliquer la réforme, donc venons-en à la période de juin 2014.
« Réunification », ce terme de la direction et du gouvernement a été repris partout… et par tous…
Comment les journalistes ont-ils pu relayer sans réfléchir cette information. Quand on passe de deux à trois entreprises, ça s’appelle « réunification » ?
Une question essentielle également sur le traitement de l’information. Sans faire le détail des évènements entre l’annonce de la réforme ferroviaire fin 2012, et la grève de juin 2014, il ne s’est pas rien passé chez les cheminot-es.
Les organisations syndicales dans la période ont organisé plusieurs actions (rassemblements, grèves de 24h) et je ferai référence à la dernière en date : le 22 mai 2014. Une manifestation nationale des cheminot-es. Et bien quasi pas de couverture de cette action. Pourquoi ?
Ce non traitement de l’information, nous l’avons encore vécu ce jeudi 29 janvier… Les organisations syndicales CGT et SUD-Rail appelaient les cheminot-es à manifester contre la mise en place de la loi sur la réforme ferroviaire et une de ses conséquences le budget 2015 de la SNCF qui prévoit la suppression de 1600 emplois, le gel des salaires et pour les usagers, l’augmentation des tarifs… quasi pas d’information sur ce mouvement. Il est vrai que l’arrêt de la ligne A du RER suite à l’agression d’un agent RATP était sans doute plus porteuse… Mais là aussi une information incomplète : on développe largement sur les conséquences mais très peu sur la cause : un salarié qui se fait agresser sur son lieu de travail…
Sur les revendications liées à la grève, à aucun moment les médias n’ont relevé qu’il n’y avait aucune revendication corporatiste dans ce mouvement… Il ne s’agissait pas de revendiquer sur les salaires, l’emploi… Ce que portaient les grévistes, c’était l’avenir du service public et de la SNCF.
Sur le reste, nous avons eu droit comme d’habitude aux termes inappropriés tels que « prises d’otage », accompagnés, comme il se doit, d’interviews de voyageurs excédés… Un grand classique.
Rapidement, on n’a plus parlé des cheminot-es que pour dire qu’ils allaient empêcher que se déroulent les épreuves du bac…
Et puis toujours ce message latent : les cheminot-es seraient des nantis. C’est aussi le message qui est passé dernièrement, lors de la grève des pilotes d’Air France, alors qu’une des revendications essentielle de leur mouvement était le refus de la création d’une filiale low-cost.
En conclusion, par rapport au traitement de la grève de juin, les cheminot-es mais aussi nombre de militant-es syndicaux se sont sentis trahis par les médias « « populaires »… et ont eu l’impression que tous étaient la voix du gouvernement et de la direction SNCF.
Des « partenaires » privilégiés par les médias ?
Les médias ont, comme à l’habitude, pendant ce mouvement, sans doute privilégié la CGT à SUD-Rail, parce qu’une grève nationale reconductible soutenue par la CGT Cheminots c’est réellement un évènement, mais aussi parce que nous avons fait le choix à SUD-Rail de ne pas polariser les médias sur un-e seul-e camarade (à la différence de la CGT), que le choix de répondre à tel ou tel média doit rester le choix du collectif syndical, pas celui d’une personne. Il semblerait que cela ne corresponde pas non plus aux codes médiatiques. Mais pourtant, ce choix de ne pas répondre aux demandes des médias d’avoir toujours le même interlocuteur est important, il est lié aux choix de fonctionnement de SUD-Rail (limitation des mandats, rotation des mandats). Sur le sujet des médias en particulier, il s’agit bien d’éviter la disparition médiatique du collectif en réalité ; et pour le syndicalisme, c’est bien l’action collective qui prime.
Nathalie Bonnet
Lire nos articles sur le traitement médiatique de la grève des cheminot-e-s en juin 2014 :
« Grève à la SNCF : les usagers des médias pris en otage par les éditocrates »
« Grève à la SNCF : déraillements médiatiques »