La confusion est grandissante entre critique et promotion dans les médias dominants. Dans ce contexte, quel est l’avenir du journalisme cinéma ? Et que dire de la situation des publications plus « pointues » ? Quel est l’impact du numérique et notamment des réseaux sociaux sur le champ de la critique de cinéma ? Pour traiter de ces questions (et d’autres), nous avons reçu Michel Ciment et Alex Masson, deux journalistes expérimentés qui ont développé une réflexion critique sur la critique.
Michel Ciment est écrivain et critique de cinéma depuis plus de cinquante ans, il dirige la revue Positif et a contribué à de nombreuses autres publications. Il a publié plusieurs livres d’entretiens avec des cinéastes (Elia Kazan, Francesco Rosi, Joseph Losey, Stanley Kubrick, John Boorman, Jane Campion...). Il produit et anime l’émission « Projection privée » sur France Culture et participe régulièrement au « Masque et la Plume » sur France Inter. En 2014, Michel Ciment revient sur sa carrière dans un livre d’entretiens avec le critique N.T. Binh (Le Cinéma en partage, Rivages). Il est président d’honneur de la Fédération internationale de la presse cinématographique (FIPRESCI) et du Syndicat français de la critique de cinéma (SFCC).
Alex Masson est journaliste cinéma depuis plus de vingt ans, il a exercé dans plusieurs médias (Radio Nova, Première, Score, Les Inrockuptibles, Notre temps, Brazil...). La précarité qui règne dans le secteur et la dégradation des conditions d’exercice de la critique l’ont contraint à se reconvertir progressivement dans la programmation de festivals. Alex Masson collabore avec les membres du SFCC à la rédaction d’un « livre blanc » consacré à la situation de la critique. Nous avions reproduit un entretien dans lequel il s’exprimait en détail sur « la crise de la critique et du cinéma ».
En guise de présentation du débat
Comme nous l’avions remarqué avec les films Avatar et Les Aventures de Tintin, la confusion est de plus en plus grande entre la critique et la promotion dans les médias dominants. La couverture critique est très souvent corrélée au budget communication des studios. Plus largement, une approche du journalisme cinéma dans laquelle dominent l’anecdotique et le peopologique tend à s’imposer, la situation étant aggravée par un système de connivences et complaisances à l’œuvre dans d’autres domaines (copinage, voyages de presse et autres avantages, etc.). Quand le journalisme sert de relai marketing ou que le suivisme critique privilégie une poignée d’œuvres au détriment de toutes les autres – 600 à 650 films sortent chaque année... –, le sérieux et l’indépendance de la critique sont mis en cause.
Quant aux publications plus exigeantes (l’érudition cinéphilique reste vivace en France), si elles échappent généralement à l’insignifiance promotionnelle, elles ne sont pas toujours protégées des effets délétères de l’entre-soi social voire idéologique des festivals, projections de presse et autres événements, compréhensible dans une certaine mesure, mais qui peut favoriser le développement d’un esprit de coterie – voire de dogme – et couper les critiques à la fois d’une grande partie du public (des publics), celui-ci se trouvant livré à l’influence des médias dominants, mais aussi de leur vocation de prescripteur honnête et impartial. Acrimed n’a pas à se prononcer sur la « bonne » façon de critiquer et d’analyser les films mais on peut regretter qu’il n’y ait pas davantage de débats sur ces questions à la fois théoriques, culturelles et politiques.
Les supports de la critique de cinéma sont très diversifiés : quotidiens et hebdomadaires généralistes, magazines culturels, radios, télévisions, sites Internet d’information, mais aussi bien sûr publications spécialisées (livres, revues, webzines, blogs, réseaux sociaux, forums, etc.). La fragilité économique est la règle plus que l’exception, la précarité est très répandue dans le secteur ; les journalistes qui gagnent leur vie en exerçant uniquement leur activité de critique sont peu nombreux. Un recours massif au bénévolat passionné permet de maintenir une pluralité de titres mais la plupart restent confidentiels. Pour des développements sur ces sujets, voir notre entretien avec Stéphane Ledien de la revue Versus.
Les pratiques et les usages de la critique de cinéma sont variés. Nous n’attendons pas tous la même chose de la critique ; les uns veulent être guidés dans leurs choix (prescription), d’autres souhaitent enrichir leur compréhension des films (analyse), d’autres encore aiment confronter leur avis à celui des critiques professionnels (débat). Les uns lisent les articles avant de voir les films, les autres, après. Néanmoins ces différentes attitudes révèlent un besoin commun d’évaluation et d’interprétation des œuvres. Il importe d’une part de pouvoir hiérarchiser, sélectionner les films, et d’autre part de les comprendre. De par son influence – au moins potentielle – sur les différents secteurs du cinéma (production, distribution, programmation, etc.) et plus largement sur la situation culturelle, la critique a une responsabilité qui lui impose des devoirs. Mais aussi des moyens.
Terminons provisoirement par une question : pourquoi n’y a-t-il pas une seule émission de critique de cinéma digne de ce nom sur France Télévisions (rappel : il s’agit d’un service public) ?