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Jean-Michel Aphatie, la démocratie et les « candidats inutiles »

par Julien Salingue,

Jean-Michel Aphatie n’aime pas ceux que les grands médias ont coutume d’appeler les « petits candidats ». Le 31 janvier, il a de nouveau donné à voir aux téléspectateurs du « Grand journal » avec quel mépris il pouvait considérer ceux qu’il n’estime pas dignes de se présenter à l’élection présidentielle, en s’en prenant à Jacques Cheminade. Inutile de préciser qu’Acrimed, bien que ne soutenant aucun candidat, se situe aux antipodes des points de vue de certains, dont Cheminade. Mais le traitement qu’il a subi est exemplaire de la condescendance avec laquelle les éditocrates n’hésitent pas à traiter ceux qu’ils considèrent comme « petits » et comment, abusant de leur rôle de journalistes, ils s’arrogent le droit de décider qui mérite, ou pas, de pouvoir exprimer ses idées.

L’allergie de Jean-Michel Aphatie aux « petits candidats » n’est pas nouvelle. C’est ainsi, par exemple, que, le 22 juin dernier, dans sa chronique quotidienne du « Grand journal », il s’emportait au sujet de la candidature de Christine Boutin [1] :

« Très fort ! Quelles sont les chances de Christine Boutin d’être élue présidente de la République ? Nulles ! Zéro ! En 2002, elle a fait 1,9 % des voix ! Zéro chance d’être élue présidente de la République ! Mais elle s’en moque ! Parce que Christine Boutin, elle ne veut pas être présidente de la République, elle veut être candidate à la présidence de la République ».

Et d’aligner, un à un, les « petits candidats », entre autres Philippe Poutou (« Je connais son score, lui : 0,0005 %, peut-être ! »), Nathalie Arthaud (« Ça va pas peser lourd, ça non plus, mais on s’en fout ! ») ou Frédéric Nihous (« Il s’en fout lui, d’être président de la République, c’est pas son problème ! »). Et de conclure : « C’est n’importe quoi. […] Ne devraient être candidats que ceux qui ont envie d’être président […], qui ont la possibilité de l’être ». Au moins c’est dit. Le pluralisme, c’est mieux à deux. Ou éventuellement à trois. Mais au-delà, c’est la gabegie. Heureusement, Aphatie veille.

Il a donc remis ça le 31 janvier dernier, toujours sur le plateau du « Grand journal », en s’en prenant cette fois au candidat Jacques Cheminade. Ce dernier vient annoncer qu’il a en sa possession les cinq cents parrainages nécessaires pour déposer sa candidature. C’en est trop pour Aphatie :

« C’est incroyable que vous ayez les signatures. C’est incroyable… Vous devez être le prototype du candidat inutile dans cette campagne. Totalement inutile. Et que des maires, que des gens élus vous donnent une signature, c’est incroyable. Je sais pas comment vous les avez. Je sais pas comment vous faites, si vous avez un numéro de fakir, mais c’est incroyable. Incroyable ».

Ce qui est incroyable, c’est surtout le mépris affiché par Aphatie. Qui ne s’arrête pas là, comme en témoigne ce court extrait vidéo :

« On se marre » ? Pas vraiment. Et surtout pas autant que lorsque le fougueux Aphatie s’en est pris, le 20 janvier dernier sur LCI, à la règle de l’égalité du temps de parole sur les médias audiovisuels entre les candidats lors de la campagne officielle, « une bêtise française incroyable » selon lui. Et, pour ne pas être obligé d’interviewer des « candidats inutiles », il est prêt à tout :

« Je voudrais qu’il y ait une révolte, des manifestations de journalistes, qu’on aille devant le siège du Conseil constitutionnel ». Aphatie favorable à la « révolte » et aux « manifestations » ? Oui, mais de journalistes, bien sûr ! Et de poursuivre avec la même verve : «  [Je voudrais] que deux ou trois confrères courageux fassent la grève de la faim ». Carrément ! Et de préciser aussitôt : « Pas moi, hein… Mais je voudrais tout ça ». Nous voilà rassurés… Et de défier Christine Kelly, du Conseil supérieur de l’audiovisuel, présente sur le plateau de LCI : « Je pense que je vais violer la loi pendant un mois ». C’est beau.

Celui qui confessait, sur son blog, le 9 mars 2010, que « pour qu’une campagne électorale devienne intéressante, il faut juste attendre d’avoir les résultats du premier tour » a donc enfin trouvé son combat : empêcher de s’exprimer ceux qu’il estime ne pas avoir voix au chapitre lors de la campagne présidentielle. Une noble cause pour un intervieweur qui, comme nous le soulignons dans le portrait que nous lui avons consacré dans le numéro 2 de Médiacritique(s) (toujours en vente, ici), est aussi inflexible avec les « petits » qu’il est souple avec les puissants. Comme lorsqu’il s’est récemment inquiété des « souffrances » de Claude Guéant, le jour où Libération l’avait comparé, en « une », aux Le Pen : « Vous souffrez de l’image qui est la vôtre dans le débat public ? Vous souffrez ? » [2] Touchant.

Ne doutons pas que ce courageux combat contre le pluralisme sera mené dans l’ensemble des médias dans lesquels Aphatie s’exprime : RTL, Canal +, son blog et… Gala, dans les pages duquel le journaliste rebelle tiendra désormais une chronique hebdomadaire. Nous aurons probablement l’occasion de revenir sur cet exercice d’un genre nouveau pour celui qui se défend d’être un cumulard, et de nous interroger sur l’utilité d’un « journaliste politique » qui rejoint un hebdomadaire people dans le but d’y commenter l’actualité électorale sous la forme… d’un « roman-photo » (sic).


Julien Salingue


Post-Scriptum

Hasard ou coïncidence ? Quelques heures après la mise en ligne de cet article [3], Jean-Michel Aphatie a jugé utile de publier, sur son blog, une réponse à ceux qui lui reprochent son attitude méprisante à l’égard des « petits candidats ». Extrait :

Dans la politique tout se vaut. Parler de petits candidats est une offense à l’esprit, et surtout le signe de l’allégeance au système puisque si petit candidat il y a, c’est que grand candidat existe, et toute la connivence, la révérence, est dans ce « grand ». Les « Nouveaux chiens de garde », disaient récemment trois sociologues talentueux. L’heure ne doit pas être très éloignée où les collabos devront faire leur autocritique. On les rééduquera, on les enverra dans des champs de patates pour faire la cueillette sous le froid. On les sortira de Saint germain et des palais chauffés. On les aura. Ca ira.

Des propos qui se passent de commentaires. Ou presque. Cette réponse, d’une profondeur sans nom, confirme que Jean-Michel Aphatie a une vision singulière du débat démocratique. Celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec sa croisade contre le pluralisme ne peuvent être que des nostalgiques du stalinisme et/ou du maoïsme, des camps de travail et de rééducation politique. Il est vrai que la défense du pluralisme en politique, contre lequel Jean-Michel Aphatie s’insurge au nom de son droit à décider quelles formations politiques peuvent avoir accès aux médias, était l’une des caractéristiques principales des régimes staliniens et maoïstes...

Mais ne soyons pas trop exigeants envers Jean-Michel Aphatie qui, occupé à préparer son prochain roman-photo pour Gala, ne doit guère avoir le temps de consulter des livres d’histoire. Et qu’il soit rassuré : si une suite est donnée aux Nouveaux chiens de garde, il y aura toute sa place.

 
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Notes

[1Voir à ce propos l’article de Philippe Sage sur son blog [lien périmé, décembre 2013]-, duquel la transcription est en partie issue

[2RTL, le 29 novembre 2011.

[3Article que Jean-Michel Aphatie a lu puisqu’il l’a évoqué sur son compte Twitter.

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