Les 5 minutes du « Rendez-vous de la médiatrice » sont quasiment le seul moment où les critiques des auditeurs sur le travail journalistique de France Info peuvent être entendues à l’antenne de la radio publique. Autant dire qu’il est très encadré. En règle générale, c’est la médiatrice qui se charge de les transmettre et de les neutraliser tout en même temps, selon différentes techniques sur lesquelles nous essaierons de revenir un jour. Ce samedi 21 septembre, tout n’avait pourtant pas si mal commencé. Pour une fois, la médiatrice se contente de lire, sans l’assortir de commentaires, un courrier d’auditeur qui pose clairement le débat :
Le Proche-Orient suscite un abondant courrier depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas et cette semaine en particulier, avec ce qui s’est produit au Liban. Des auditeurs s’interrogent et une thématique revient très souvent dans leur courrier. Je vous lis l’un d’entre eux. « Après les attaques via bipeurs et talkies walkies, causant des milliers de blessés et plusieurs dizaines de morts, comment se fait-il que les journaux de France Info ne parlent pas de terrorisme, mais seulement d’attaques ? »
Et en effet, on ne peut que s’étonner, après avoir vu l’ensemble des grands médias, après le 7 octobre, exiger de tous leurs interlocuteurs, comme préalable (et souvent comme substitut) à toute « discussion », de condamner l’attaque « terroriste » du Hamas, de ne voir ce terme jamais employé pour qualifier une attaque ayant causé des explosions aux dégâts par nature incontrôlables et indiscriminés, ayant touché, inévitablement et donc sciemment, des hommes, femmes et enfants n’ayant d’autre tort que de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Dans un cas, la dénonciation du terrorisme est indispensable, dans l’autre, loin d’être exigée, elle n’est même pas envisagée : rarement le double standard dont bénéficie Israël n’aura paru plus flagrant.
Mais en réalité, n’y voyez aucun déséquilibre. Écoutez les explications limpides de Franck Mathevon, qui commence très fort :
Alors c’est une excellente question que pose cet auditeur. En fait, c’est lié évidemment à la définition du terrorisme. Les experts sont très divisés sur cette question, sur ce sujet. Pour beaucoup d’entre eux, un État ne peut pas être l’auteur d’une attaque terroriste. C’est uniquement le fait d’une organisation telle que le Hamas, par exemple, pour les massacres du 7 octobre l’an dernier, mais ça ne peut pas être le fait d’un État.
À une « excellente question », Mathevon répond donc par un argument d’autorité mal ficelé qui ferait sourire sous la plume d’un lycéen, mais qui est un peu gênant venant d’un directeur de l’information. Lui-même doit le sentir, puisqu’il se sent contraint à quelque concession :
Évidemment ce sujet est discutable. Un débat peut tout à fait s’instaurer. À ce propos, il ne fait pas de doute qu’Israël a voulu semer la terreur au sein de la population libanaise et en particulier au sein de la population du Hezbollah, ce groupe chiite qui lui est hostile. Maintenant, on peut aussi estimer – et ce serait sans doute le point de vue israélien – que Israël, par cette attaque – qui n’est pas encore officiellement attribuée par ailleurs, mais on peut supposer qu’elle l’est – qu’Israël, par cette attaque, a visé des combattants du Hezbollah, des militants, des hommes possiblement armés, a minima des réservistes et que, par conséquent, il ne s’agit pas d’une attaque terroriste. Mais je suis tout à fait conscient qu’il peut y avoir un débat à ce sujet.
Admirons l’honnêteté intellectuelle de notre journaliste, qui a conscience de l’existence d’un « débat » – entre deux positions qui sont, au passage, non exclusives l’une de l’autre : qu’Israël ait « visé des combattants » n’exclut nullement qu’il ait voulu « semer la terreur ». Mais passons : l’essentiel, c’est que si Mathevon reconnaît généreusement que la question de qualifier ou non Israël de « terroriste » se pose, parmi les « experts » mystérieux qu’il convoque et même à ses propres yeux, cela ne lui pose manifestement aucun problème d’avoir tranché ce débat (en faveur, donc, du « point de vue israélien »), sans même l’avoir porté à la connaissance du public – puisque précisément, ce que l’auditeur pointait, c’est que les journaux n’ont jamais parlé de « terrorisme » israélien. Ce débat n’aura jamais eu lieu à l’antenne, et pas davantage avec la « médiatrice ». Face à tant de « conscience », rassurée, elle se contentera de changer de sujet avec l’une de ces questions dont elle a le secret :
Franck Mathevon, comment continuez-vous à respecter le principe d’équilibre auquel sont très attachés les auditeurs pour évoquer cette guerre ?
Un tel sens de l’équilibre avec autant d’auto-aveuglement forcerait presque le respect.
Olivier Poche