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Interview ou interrogatoire ? Un exemple : Pierre Weill (France Inter) face à Leïla Chahid

par Mathias Reymond,

Le 14 juin 2006, c’est Leïla Chahid qui, dans le 7/9 de France Inter, a dû comparaître devant le procureur Pierre Weill. Très orientées, ses questions insolentes ont surtout pour but de défier l’interlocuteur et pour effet d’éluder les problèmes de fond.

La première question de Pierre Weill ne porte pas sur la situation générale en Palestine, ni même sur les dernières actions armées. Elle est d’emblée une mise en accusation : « Mme Chahid est-ce que vous acceptez une part de responsabilité dans ce déchaînement de violences ? Les Israéliens tuent des militants islamistes, leurs tirs de missiles tuent aussi des civils, mais les islamistes tirent des roquettes sur Israël, une centaine ces derniers jours... ».

Leïla Chahid rétorque qu’« on ne peut pas mettre dos à dos un état responsable avec une armée occupante et une population civile dont une partie est armée et qui commet malheureusement aussi des attaques contre des civils. » Et de préciser : « Malheureusement dans une situation d’occupation qui dure depuis 39 ans il est évident qu’il va y avoir des formes de résistance militaire dont certaines que nous condamnons [...] comme parce qu’elles touchent des civils israéliens. »

Ces simples rappels ne satisfont pas Pierre Weill qui interrompt Leïla Chahid et, plutôt que de s’interroger et d’interroger sur les causes, insiste sur les responsabilités palestiniennes : « Mais pourquoi vous ne les empêchez pas ? ». Leïla Chahid répond notamment : « Il est impossible de demander à l’autorité palestinienne d’être une autorité responsable capable de contrôler un territoire où une armée israélienne sape son pouvoir, détruit ses institutions... »

Pierre Weill ne l’entend pas ainsi. Nouvelle interruption, nouvelle objection : « Mais Mme Chahid, à Gaza vous n’êtes plus occupés, les Israéliens sont partis. » Manifestement, Pierre Weill affecte de croire que la fin de l’occupation directe équivaut à la fin de présence israélienne. Et Leïla Chahid lui rappelle : « Nous sommes toujours occupés, la preuve c’est qu’aujourd’hui encore il y a des assassinats ciblés, les frontières sont contrôlés, les frontières maritimes, terrestres , aériennes sont contrôlées par l’armée israélienne. Je ne vois pas où est la souveraineté à Gaza. »

Pierre Weill a-t-il simplement revêtu l’habit de l’avocat du diable ? On peut en douter... Mais, à force d’insistance, il parvient à empêcher Leïla Chahid de répondre ou à couper ses réponses au moment où elles deviennent intéressantes. Extrait :

- Pierre Weill : « Mais alors attendez, ça veut dire que la guerre civile actuelle entre Palestiniens, Israël en est responsable ?
- Leïla Chahid : Elle est en partie, bien sûr, responsable, mais pas seulement Israël, la communauté internationale est responsable. Qu’est-ce que ça veut dire de décider qu’il y a des gens avec qui on parle, avec qui on ne parle pas ? Qu’est-ce que ça veut dire de décider qu’il faut des élections démocratiques et après de sanctionner le résultat ? C’est intervenir à l’intérieur de la situation politique palestinienne, c’est diviser au lieu d’unir...
- Pierre Weill (interrompt) : ...Mais Mme Chahid, est-ce que le Hamas peut changer ?
- Leïla Chahid : Bien-sûr que le Hamas peut changer...
- Pierre Weill (continuant en même temps que la réponse de son interlocutrice) : ...Est-ce qu’il va annoncer qu’il va renoncer à la violence et au terrorisme...
- Leïla Chahid (tentant de répondre) : ...Écoutez, moi je pense...
- Pierre Weill (ne s’arrêtant pas) : ... qu’il reconnaît Israël, qu’il reconnaît les accords signés dans le passé par l’autorité palestinienne ?
- Leïla Chahid (tentant de répondre à nouveau) : Moi je pense que toutes les forces politiques qui ont l’ambition de diriger et le Hamas a sûrement des grandes ambitions sont obligés de changer.

Et ainsi de suite jusqu’à la fin de l’interview.

Lors de la séance des questions des auditeurs (Radiocom), Pierre Weill brille, comme à son habitude, en pressant les auditeurs, en reformulant leurs questions quand elles ne conviennent pas à son goût et en posant ses propres questions. Sur les 15 minutes d’échanges, seulement 4 auditeurs ont posé des questions, mais Pierre Weill a pris 9 fois la parole en se posant en avocat du diable. Autant d’espace que les auditeurs n’auront pas. Gageons qu’avec Marc-Olivier Fogiel - dont la venue dans le 7/9 a été un temps évoquée - les invités auraient eu plus de temps pour s’exprimer...

La vivacité et l’agressivité de Pierre Weill sont coutumières. Il ne les réserve pas forcément à des interlocuteurs dont il réprouve les positions [1]. L’accuserait-on d’être de parti-pris ? Il répondrait peut-être qu’il se fait simplement « l’avocat du diable ». Mais le diable a-t-il vraiment besoin d’un avocat ? Et pourquoi, dans ce cas, les seules questions dérangeantes ressemblent-elles autant à un acte d’accusation dressé par les autorités israéliennes ? A quoi sert une interview quand elle ne permet ni d’éclairer la situation dont on parle ni les positions de celui qu’on interroge ? A faire briller l’interviewer ? A occulter la réalité ? On n’ose le croire... Pierre Weill a été envoyé spécial permanent de France Inter à Jérusalem, pendant 13 ans. On se doute qu’il s’est toujours attaché à mieux faire comprendre les enjeux du conflit et les positions en présence, sans excès d’engagement partisan....

Entre les interviewers qui se bornent à passer les plats, en risquant quelques timides objections et les apprentis procureurs qui mettent en scène leur impertinence, façon Elkabbach ou... Marc-Olivier Fogiel, où situer Pierre Weill et les autres stylistes de son genre ? Car il n’est pas le seul et la question dépasse largement son cas...

Mathias Reymond
(Avec la saisie de William)

 
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Notes

[1Il lui est ainsi arrivé d’interroger sans complaisance Roger Cukierman, président du CRIF, comme on peut le lire sur le site « Enfants de Palestine » (lien périmé, octobre 213).

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