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Intervention de Jack Ralite au Sénat : « Pour le développement des télévisions de proximité en France »

par Jack Ralite,

Nous publions ci-dessous, avec son autorisation, une intervention de Jack Ralite, sénateur de Seine-Saint-Denis, lors de la séance du mardi 28 mars 2006 après-midi sur le rapport du sénateur Belot. Titre de cette intervention « « Pour le développement des télévisions de proximité en France ». Elle porte sur le rapport Belot, consultable sur le site du Sénat, « Pour le développement des télévisions de proximité en France » (Acrimed)

Nous avons donc aujourd’hui à examiner le rapport de notre collègue Claude Belot, intitulé « Pour le développement des télévisions de proximité en France ».

Je pense qu’il était temps, grand temps, car malgré des progrès qui doivent d’ailleurs beaucoup au mouvement associatif, la France reste comme dit Claude Belot parmi les « derniers de la classe ». Fin 2005, quatre français sur cinq n’y avaient pas accès. Qui plus est, la modestie de ces télévisions locales est investie par le tout commercial.

Sans doute est-ce conforme à la lecture dominante aujourd’hui de la loi de 1982 proclamant dans son article premier « la communication audiovisuelle est libre ». Libre est interprété par cette lecture comme « liberté d’entreprendre » ce que je ne nie pas, mais est interprétable aussi comme « liberté d’expression audiovisuelle pour les citoyens » et même comme « liberté d’être informé », ce que je soutiens.

Cette dernière approche de la liberté a été jusqu’ici systématiquement mise de côté avec pour illustration maximum le rapport du gouvernement de juillet 2003 ouvrant un véritable boulevard aux « commerciales » et aux « publicitaires » et combattant ainsi la loi du 1er août 2000 stipulant qu’une association (ou une fondation) nationale, régionale ou locale peut se déclarer candidate à une fréquence hertzienne terrestre. Je cite son article 29 : « Le conseil (CSA) accorde les autorisations en appréciant l’intérêt de chaque projet pour le public, au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels, la diversification des opérateurs et la nécessité d’éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence (.....). Le Conseil « veille sur l’ensemble du territoire à ce qu’une part suffisante des ressources en fréquence soit attribuée aux services édités par une association et accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre groupes sociaux et culturels, l’expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l’environnement ou la lutte contre l’exclusion..... ».

C’était beau, c’était bien, je me souviens du contentement des associations, mais cela n’était garanti par aucune initiative positive. C’était un salut aux non-marchands mis rapidement sous le coude par les apologistes du tout-marchand. Le chercheur Guy Pineau qui suit ce dossier avec opiniâtreté, fidélité et rigueur, a pu déclarer suite au rapport gouvernemental de 2003 qu’il y avait là un processus de « délégation-confiscation du pouvoir télévisuel ». Il ajoute - je cite - « une aussi longue attente pour un si triste rapport ». Le tiers secteur audiovisuel (l’expression a été utilisée l’une des premières fois le 5 mai 1988 aux Etats Généraux de la Culture) est sacrifié dans le rapport gouvernemental.

A grands traits,

- c’est le renforcement des grands groupes privés de télévision illustré par « TV Breizh » testant un nouveau marché régional et se préparant à la déréglementation imminente de la publicité de la distribution.
- c’est la mise à l’écart de la création d’un fonds de soutien à l’expression télévisuelle citoyenne.
- c’est la mise de côté de canaux associatifs propres au bénéfice d’un accueil par FR3.
- c’est la recommandation de créer des sociétés d’économie mixte pour des services de télévision des collectivités locales.
- c’est le conseil appuyé de mettre en place un système de syndication de la publicité à grande échelle pour vendre l’espace à des annonceurs nationaux et la déréglementation depuis le 1er janvier 2004 du secteur de la distribution.

Le poète portugais Torga disait : « L’universel c’est le local sans les murs ». Ici c’est l’emmurement du local par le global.

C’est enfin dans le circonvoisinage du rapport gouvernemental les régressions drastiques du régime des intermittents et des subventions aux associations.

Vous pensez si l’annonce de notre collègue Claude Belot était attendue. Il faut en effet sortir de cette méfiance, de cette surveillance de la foule, de cette sorte d’arrogance aristocratique qui consiste à refuser d’entendre le tout venant de la pensée des citoyens. C’est un odieux compartimentage de la société dont on ne sortira qu’en « s’entêtant affreusement », comme disait Rimbaud, à « adorer la liberté libre ».

Qu’est-ce en l’occurrence que cette liberté libre ? C’est ne pas être seulement « avec le peuple », mais « dans le peuple ». C’est ne pas être « tautiste » comme dit un jour Lucien Sfez en mêlant la tautologie (je répète donc je prouve) et l’autisme (je suis comme sourd et muet).

Dans le peuple, dans les associations militantes pour les télés associatives et dans les 120 canaux recensés sur le câble par le CSA, qu’est-ce qu’on entend faire : de la télévision « avec les gens et non sur les gens », « déconstruire en pensée et en acte le discours de la télévision dominante  », « refuser le pouvoir des grands groupes qui instrumentalisent les télévisions notamment le groupe Bouygues », récuser la vilaine pratique du CSA en faveur du groupe Hachette d’Arnaud Lagardère notamment à « TV7 Marseille », du groupe de la SOC-Presse de Dassault notamment dans l’Ouest, du groupe France Antilles - Comareg de Philippe Hersant (le fils de l’autre) notamment à « Télé Grenoble » etc. etc.

Alors voyons comment en sortir.

D’abord et avant tout en mettant en place un solide modèle économique viable pour les télévisions associatives à l’instar des radios associatives qui malheureusement aujourd’hui sont menacées par un projet de décret modifiant à la baisse leur fonds de soutien.

Je vois quatre orientations :

1 - Réserver aux télés associatives des fréquences sur la TNT et la Haute Définition. Il ne doit pas y avoir en effet de discrimination dans l’utilisation d’un « bien public » qui devrait d’ailleurs ne plus être gratuit pour les télévisions privées.

2 - Créer un véritable fonds de soutien radios et télévisions associatives leur permettant de vivre. Ce fonds pourrait être abondé par une taxe sur la publicité grand média et hors média.

3 - Pour les télévisions associatives, mettre en place une procédure particulière dans le cadre d’un appel à candidature sur le hertzien par le CSA. Ces télévisions sont en effet défavorisées face aux grands groupes qui ont les moyens d’instruire leurs dossiers.

4 - Collaborer avec le service public comme c’est le cas actuellement pour les Radios à travers Sofia avec Radio France, tout cela devant trouver un développement dans la démarche urgente d’une refondation du service public.

J’ai bien sûr confronté ces orientations avec les propositions du rapport Belot. Elles ne s’y retrouvent pas toutes mais il y a des avancées que je soutiens en souhaitant qu’elles soient plus amples, plus nerveuses, d’autant que la télévision mobile se profile vite et qu’Internet est déjà là et que les grands groupes sont sans rivage dans ce domaine.

Pour vous donner une idée sur ce que je trouve trop modeste, voire rétréci, sans élan, dans une des propositions de notre collègue il indique vouloir permettre un soutien public et privé accru. Il écrit : « Envisager la création d’un fonds d’ amorçage des télévisions locales transitoire autofinancé grâce à l’amélioration du recouvrement des taxes sur le hors médias et la publicité télévisée. »

Amorcer et transitoire que voilà deux verbes pour l’immédiat et pas pour la suite. Pour les structures associatives, c’est la venelle de la précarité précarisée.

Cela n’est pas acceptable d’autant que s’est ouverte gouvernementalement la publicité sur la distribution en janvier 2004 avec sa généralisation à partir de janvier 2007, les télés associatives n’en étant pas bénéficiaires et d’ailleurs ne le revendiquant pas.

Vraiment la grande question c’est celle d’un véritable fonds de soutien qui garantirait cette nouvelle dimension de la liberté qu’est la télévision de proximité et dont tout un chacun peut faire l’expérience à travers cet échantillon de celles qui existent et qui ont nom 0² Zone à Marseille, Télé Millevaches qui va fêter son 20ème anniversaire, Canal Nord à Amiens, Nantes Télévision, Télé Bocal et Zaléa TV à Paris. Ces six télévisions associatives expriment une diversité, un véritable pluralisme que d’ailleurs pratiquaient aussi Cité-Télévision à Villeurbanne et Voi-Sénart qui émettaient sur le câble et qui ont été asphyxiées financièrement.

Dans le champ du non-profit, l’associatif audiovisuel travaille pour la participation, la réception active des citoyens, la rencontre et l’émergence de la parole des habitants. Son histoire reste largement à écrire mais est habitée par de nombreuses luttes à continuer, à élargir.

Pour conclure, les télévisions associatives de proximité sont entourées de quatre positions.
- la loi de 2000, marquée par l’esprit d’ouverture,
- le rapport gouvernemental de 2003, marquée par l’esprit de fermeture,
- le rapport sénatorial de 2005, marqué par l’esprit d’entrouverture,
- les réflexions, actions, espérances des télévisions associatives de proximité, marquées par l’esprit de novation, de démocratie, garanti par des moyens dont le principal est un fonds de soutien.

A l’évidence, le rapport gouvernemental est minoritaire et pour le moins le gouvernement devrait douter. A ce propos, j’ai envie de donner un conseil impératif au gouvernement : « le poète quand il doute (...) plante sa tente au cœur de la matière pour retrouver la respiration de ses semblables et renouer avec la vie. Alors il atteint l’essentiel qui assure la cohérence de l’univers (...). Je ne touche plus que le cœur des choses, ajoute-t-il, je tiens le fil tissé de mille mains  ».

Pour paradoxal que cela soit, cet éloge de la démocratie va comme un gant à ce qui serait ou sera une nouvelle conception de l’usage des libertés et, d’une certaine manière, elle illustre les pensées, les gestes, les actes des animateurs des télévisions de proximité.

Cet éloge de leur travail de liberté libre, je l’ai trouvé dans un livre intitulé « Eloge des voleurs de feu » et son auteur, c’est ... Dominique de Villepin.

Avant de rédiger une loi pour les télévisions associatives de proximité, pour le moins, il faut douter et accepter de s’enrichir avec les mille mains.

Jack Ralite

 
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