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Grève à Radio France : entretien avec Lionel Thompson (SNJ-CGT)

par Lionel Thompson, Maxime Friot,

Les salariés des médias sont aussi concernés par la réforme des retraites. Et dans les rédactions, ils sont parfois nombreux à participer à la mobilisation sociale. C’est le cas à Radio France : entretien avec Lionel Thompson (CGT Radio France).

Acrimed : Le 7 mars, la CGT Radio France a déposé un préavis de grève illimitée. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Lionel Thompson : Jusque début mars, on avait uniquement déposé, avec l’ensemble des autres syndicats, des préavis de 24 heures sur les journées de grève et de manifestations nationales à l’appel des confédérations. À partir de mars, on a décidé qu’il fallait aller plus loin. Les autres syndicats n’ont pas suivi, malheureusement. Ils continuent de déposer des préavis de 24 heures. Nous, dans notre esprit, ça permettait symboliquement de passer un cran au-dessus : sur les manifestations localement, le week-end, ça permet à des gens de faire grève et d’aller manifester. On est soumis à cinq jours de préavis normalement, donc notre préavis permet de couvrir les gens même quand une journée de grève est déposée trop tardivement : ce fut le cas pour la journée de grève du mardi 28 mars. Dans un autre registre, on peut signaler, parmi les perturbations ponctuelles couvertes par ce préavis illimité, que le concert France Inter à la Maison de la Radio jeudi 30 mars (La Femme et Georgio) a été impacté : certains techniciens étant en grève, le concert a dû se dérouler sans public, ce qui a dû être mentionné à l’antenne. La direction commence d’ailleurs à s’agacer de ces perturbations et à faire pression sur les grévistes. Il a toutes ces raisons d’être ce préavis illimité, et heureusement qu’on l’a fait !


Comment la mobilisation se déroule-t-elle ?

La grève est suivie, il y a des hauts et des bas, des journées mieux suivies que d’autres. C’est difficile pour nous de savoir, on est dans l’incapacité matérielle de calculer nous-mêmes les taux de grévistes avec une entreprise qui est éclatée sur 44 stations locales et des dizaines de directions différentes à Paris. On a eu un décompte de la direction générale pour une des premières journées, où la participation était assez forte. En tout cas, on a toujours la capacité, jusque-là, sur les grosses journées, de faire en sorte que la grève s’entende. Sur France Inter, souvent, ça se traduit par des matinales où il n’y a que des flashs de trois minutes, des émissions qui sautent. Pareil sur France Culture. Sur France Info, c’est plus compliqué, mais ça fait belle lurette que France Info s’est organisé de façon à ce que les grèves s’entendent moins, malheureusement.

Comme habituellement, ce ne sont pas les journalistes qui sont les plus mobilisés. C’est plutôt au niveau des techniciens et de la production, un petit peu les administratifs, chez les agents d’accueil et de sécurité… Mais ce qui fait qu’on l’entend, c’est quand les gens d’antenne font grève, et en particulier les techniciens. La réforme des retraites nous concerne tous ici. Particulièrement pour toute la production, où il y a beaucoup d’intermittents, beaucoup de carrières hachées. On a déjà été touché par les précédentes réformes… Chez les journalistes, il y a peut-être aussi plus de résignation ou de défaitisme, les carrières commençant souvent au-delà de 25 ans, les gens ont presque intégré qu’ils vont devoir bosser jusqu’à 65 ou 67 ans. Et donc ce n’est malheureusement pas mobilisateur.

On a fait quelques assemblées générales, mais on n’est pas très suivis par les autres organisations syndicales là-dessus. Depuis qu’on a déposé le préavis illimité, on a pu en faire trois. Il y avait à chaque fois une petite centaine de personnes, au plus fort, ce qui n’est pas énorme – on a fait des AG avec beaucoup plus de personnes que ça. C’est un mouvement assez atypique. On fait le maximum, on communique à chaque grosse journée pour rappeler que le préavis court toujours, qu’ils peuvent faire grève tant que le préavis court.

Nous, dans les manifestations, on est toujours avec la banderole CGT Radio France, qui nous permet d’être visibles. Mais il y a d’autres salariés de Radio France qui défilent par ailleurs.


Photo Serge D’ignazio, 11/03/23


Comment voyez-vous la suite ?

On est comme tout le monde. On est dans l’expectative sur la suite du mouvement, on est un peu dépendants de ce que vont faire et dire les confédérations parce que nous, on n’est pas vraiment moteurs dans le mouvement. On aimerait bien que ça tienne, que ça se durcisse, mais là, ce n’est pas évident. Ça va être intéressant de voir si on aura la capacité de vraiment perturber les antennes jeudi prochain par exemple. Mais on sent que ça s’effiloche un peu. Et puis il y a des gens qui commencent à avoir un certain nombre de jours de grève, et avec des journées de grève un peu plus chères : la direction de Radio France a changé le mode de calcul des retenues sur salaires en cas de grève. On est en train de regarder avec notre avocat la légalité du procédé, parce qu’on est une entreprise de service public, mais de droit privé, et ils nous appliquent un peu au gré de ce qui les arrange. On est à la fois soumis au préavis de 5 jours, mais au lieu de nous soumettre aux mêmes règles que dans le public, là, ils nous appliquent comme dans le privé à l’heure et au prorata des jours ouvrés. C’est un facteur qui joue contre la mobilisation. On a mis en place une caisse de grève d’ailleurs… et on maintient le préavis.


Le 24 mars, des techniciens se sont mis en grève et une interview d’Olivier Véran, sur France Info, a dû être annulée. Est-ce qu’il y a d’autres exemples de programmes annulés ? Cela vient-il d’une démarche collective pour peser sur des émissions en particulier ?

Le préavis de grève illimitée permet de temps en temps à des gens de se mettre en grève quand ils veulent. C’est ce qu’il s’est passé à France Info. C’est le cas le plus emblématique, mais on ne peut pas l’organiser en revanche : légalement on n’a pas le droit d’organiser des grèves tournantes ou des grèves perlées. Il me semble aussi que, contrairement à ce qui se fait normalement, la vidéo de l’émission « Questions politiques » avec Olivier Dussopt (France Inter, 26/03), n’a pas été mise en ligne sur le site, parce qu’ils y avaient des grévistes parmi les gens qui doivent faire ça normalement.


Le 27 mars, la société des journalistes de France 3 a publié un communiqué critiquant le traitement médiatique du mouvement sur les antennes de France Télévisions. Semblable démarche existe-elle à Radio France ?

Malheureusement, je n’ai pas l’impression que ça ait provoqué grand débat, comme assez souvent… Sur les violences policières, et c’est bien, je trouve qu’on en a parlé beaucoup plus rapidement qu’on ne l’avait fait au moment du mouvement des Gilets jaunes par exemple, où on avait beaucoup tardé à le faire, on l’avait fait quand c’était vraiment impossible de ne plus en parler. Sinon, j’ai trouvé, globalement, qu’à chaque variation du nombre de manifestants, on disait « ah, le mouvement s’essouffle ». Mais sur un mouvement sur la longueur comme ça, c’est normal qu’il y ait des hauts, des bas et qu’il y ait certaines journées de manif où il y a un peu moins de monde qu’à la précédente, ça ne veut pas dire pour autant que le mouvement s’essouffle. Aussi, au départ, il y avait une espèce de truc… mais qui est un peu le discours ambiant et dans la ligne de la comm’ du gouvernement, de dire : « Bon, ça manifeste mais de toute façon, c’est plié quoi ». Avec aussi parfois, des questions à des invités qui défendaient le mouvement, et à qui on disait presque : « Au fond, pourquoi vous continuez à manifester, de toute façon c’est plié ». Il y avait une tonalité comme ça quand même à un moment donné. Ça ne provoque pas forcément un immense débat dans la rédaction, parce que les temps de débats sont malheureusement très réduits...


Les grévistes de Radio France ont-ils pu parler de leur lutte sur les antennes ?

Non, il y a juste le message : « En raison d’un appel à la grève illimitée de la CGT Radio France déposé dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites, nous ne sommes pas en mesure de diffuser l’intégralité de nos programmes habituels. Nous vous prions de nous en excuser.  »


Propos recueillis par Maxime Friot

 
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