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France 2 « fait bouger la France »… et la crise du logement : les dessous d’une émission d’inservice public

par Manuel Domergue,

Mardi soir 14 octobre, France 2 diffuse l’émission « Ils font bouger la France », animée par Béatrice Schönberg. Son titre ce soir-là ? « Se loger mieux et moins cher ». Son contenu ? Une juxtaposition de reportages hétéroclites, entrecoupés de quelques échanges en plateau.

Un chef d’œuvre dans l’art de faire de la crise du logement (et des solutions globales qu’elle appelle) un patchwork d’aperçus et de témoignages donnés pour exemplaires. Des aperçus qui nivellent tout, à commencer par les inégalités sociales face au logement. Il suffit presque de mentionner (provisoirement) les titres des deux premiers reportages : « Premier logement : la galère », suivi de … « Promoteurs : la grande braderie ».

Un chef d’œuvre également dans l’art de dissoudre une question sociale et politique, en dépit (ou à cause…) de la présence de Christine Boutin, dans un pot-pourri de recettes plus ou moins cyniques et de bonnes œuvres, très inégalement généreuses. Un échange final (du moins au montage) entre Augustin Legrand, des Enfants de Don Quichotte et Christine Boutin briser pendant quelques répliques un consensus de bon ton. Quant au collectif Jeudi Noir, on l’entendit pendant 1 minute en début d’émission demander le blocage des loyers. Et c’est tout.

Or un membre de ce collectif nous avait adressé dès le 12 octobre un article que nous reproduisons ici sous forme de « tribune ». Nous reviendrons sur le contenu de l’émission diffusée. Voici ses dessous avant le montage. (Acrimed)

« Je l’ai dit à votre mari »


- A propos de l’émission « Ils font bouger la France »


Mardi 14 octobre, vous pourrez voir en prime time sur France 2 une émission entière consacrée à la crise du logement, intitulée Ils font bouger la France [lien périmé, mars 2010]. A priori, on ne peut que se féliciter que le débat politique, sur un thème aussi crucial, s’ouvre pendant deux heures à une heure de grande écoute. C’est d’ailleurs pour cela que dès que les journalistes de cette émission ont contacté Jeudi Noir, en juin dernier, nous avons tout fait pour les aider : des réunions avec eux, des conseils pour rencontrer des mal-logés donnés à la pelle, des reportages sur nos réquisitions, l’explication de nos revendications, etc. Et quand il nous a été proposé d’intervenir sur le plateau de l’émission face à Christine Boutin, nous avons accepté, pour porter le débat sur sa loi qui arrive ce même jour au Parlement, ses défauts et ses insuffisances. Vous comprendrez en regardant l’émission pourquoi nous avons déchanté… Pourtant, notre collectif a désormais une assez grande expérience des médias [1]. Et même si nous ne nous faisons pas de grandes illusions sur leur capacité à mettre en scène des débats sur le fond, nous arrivons presque tout le temps à glisser des éléments de compréhension sur les causes politiques de la crise du logement, et à faire entendre la voix des mal-logés.

C’est en arrivant sur le plateau que nous comprenons que nous serons cantonnés aux canapés derrière le plateau lui-même, et que nous parlerons d’en bas, en interpellant la ministre une minute, mais jamais sur un pied d’égalité avec elle ou Jean Perrin, le représentant des propriétaires de l’UNPI. Nous serons aussi les seuls sans micro « HF », mais avec un micro à la main, c’est-à-dire que nous ne pourrons parler que quand on en donnera la permission, sans aucun droit de suite. Sur tous ces points, encore un quart d’heure avant l’émission, on nous promettait l’inverse, c’est-à-dire que, dans une émission où tout était minuté (au point que la journaliste nous demandait de nous limiter à telle ou telle revendication), on nous avait menti d’un bout à l’autre. De même, le reportage tourné sur Jeudi Noir et ses étudiants contraints de réquisitionner les bâtiments vides est finalement passé à la trappe.

« Ca ne sert à rien de prendre la parole, vous n’avez pas le micro »

Bien qu’invités, nous n’avons pas le droit de prendre la parole, même quand Christine Boutin sort des énormités. Sans bien sûr être reprise à aucun moment par Mme Schönberg-Borloo. Premier exemple : Boutin, révoltée par la crise du logement, menace le représentant des propriétaires d’une vague de réquisition d’appartements vacants. Mme Schönberg-Borloo aurait pu lui rappeler qu’elle avait fait la même promesse il y a un an à l’approche de l’hiver 2007, « si nécessaire ». Nécessité fut. Mais de réquisition point. Second exemple : pour se dédouaner des échecs répétés de son gouvernement, Mme Boutin tente d’expliquer que « la crise du logement est une conséquence de la crise financière ». Ah bon ? Pourtant, la crise du logement existe depuis près de dix ans. Pourtant c’est plutôt la crise du logement, la bulle immobilière, les subprimes et l’idéologie du « Tous propriétaires », qui sont à l’origine de la crise mondiale. Face à cela, Béatrice Schönberg-Borloo s’en prend… au militant de Jeudi Noir : « Non, mais ça ne sert à rien de prendre la parole, vous n’avez pas le micro ». L’émission est en différé, inutile de faire un esclandre…

Inutile non plus de dire qu’à aucun moment Mme Schönberg-Borloo ne demandera à Mme Boutin si ces maisons à 15 euros, qui ressemblent fortement aux maisons à 100 000 euros dites aussi « maisons Borloo », vont connaître le même échec. Christine Boutin et Jean Perrin, le représentant des propriétaires de l’UNPI, peuvent deviser tranquillement côte à côte. La ministre passe même pour une grande humaniste comparée à Jean Perrin, qui, confronté aux difficultés d’une jeune mère célibataire, déclare tranquillement que « à mon époque, il y avait un papa et une maman. Alors si on veut faire un bébé toute seule, hein… ».

De Pascal Légitimus à Fort Boyard

Sont venus ensuite les prises de parole d’incontestables experts sur des sujets graves : la discrimination raciste dans l’accès au logement et la conversion écologique de l’habitat. Pour le premier sujet est arrivé, au dernier moment, Pascal Légitimus, célèbre membre du trio Les Inconnus qui a fait les belles heures de France 2 il y a vingt ans. « Quelle est sa légitim(us)ité ? » pensions-nous. En effet, hormis des blagues tombant totalement à plat, le comique a déclaré tout de go qu’il était « SDF, c’est-à-dire sans difficulté financière ». Il était antillais, il était connu, il était (censé être) drôle, il était de France 2, trois raisons suffisantes pour être un expert des discriminations dans l’accès au logement ?

Pour le second sujet, nous avons vu surgir une autre surprenante spécialiste : Cendrine Dominguez, l’ex-animatrice de Fort Boyard de France 2 et inoubliable auteur de Les Terrines de Cendrine, présentée comme spécialiste de décoration d’intérieur. Elle était invitée pour parler de maisons écologiques, mais surtout sans politiser la question, pour dire que chacun pouvait faire son petit geste pour la planète, grâce aux mesures prises par le gouvernement.

Chaque reportage est ponctué d’applaudissements du public enregistrés à l’avance, comme si cette actualité heureuse des mille et unes initiatives individuelles (rentes viagères, colocation intergénérationnelle...) était censée répondre à la crise du logement. A la fin, Mme Schönberg-Borloo nous demande de tous nous réunir au centre de ce plateau sur lequel nous n’avions pu poser le début d’un orteil, pour montrer à la caméra que tous ensemble, nous faisions bouger la France, en nous battant tous pour le logement. Oui, nous tous, y compris la ministre qui démantèle la loi SRU et prend un milliard d’euros au 1 % logement pour compenser les coupes claires dans son budget. Y compris aussi le chef des propriétaires qui pense que les mères célibataires mal-logées l’ont quand même bien cherché.

« Je n’ai pas eu le disque de Carla Bruni ! »

Un seul événement est venu perturber ce bel ordonnancement où ministre et femme de ministre se répondent et se congratulent sous les applaudissements : un coup de gueule mémorable d’Augustin Legrand, des Enfants de Don Quichotte, qui bouillait sur la banquette à côté de nous. D’entrée, il parle des promesses trahies de Borloo de 2007, « votre mari » souligne-t-il à Béatrice Schönberg-Borloo. Coup de froid et de vérité sur le plateau. Sans doute pour pouvoir couper au montage cet intolérable débordement, la présentatrice lui repose trois fois la même question « mais alors, Augustin, à l’approche de l’hiver, vous êtes confiants ? ». Après une tirade d’Augustin prouvant par A plus B les mensonges du gouvernement et le silence obligé des associations caritatives financées par l’Etat, Mme Boutin et sa conseillère en com’, qui lui chuchote à l’oreille entre chaque séquence, font pâle figure. Quand Augustin lui rappelle ce jour du Conseil des ministres en juillet 2008 où elle avait reçu le disque de Carla Bruni, où elle avait été félicitée par le Front national [2] pour avoir promis de loger « tous les Français », elle ne trouve à balbutier que : « Ah non… non, non, je n’ai pas eu le disque de Carla Bruni ». Touchée coulée la ministre ? Non non non, l’autre invité, le prêtre Bernard Devert, président de la fondation « Habitat et Humanisme » vole au secours de… Christine Boutin, en disant que c’est vraiment dur d’être ministre et qu’elle est vraiment de bonne volonté etc., etc. Il faut dire que ce prêtre-agent immobilier n’est pas un farouche opposant (voir sa vidéo lors de sa rencontre au ministre du logement ici (lien périmé) ou cette interview là (lien périmé), où il disait que faire du logement social une priorité nationale « tenait à cœur à madame la ministre »)… Et Béatrice Schönberg-Borloo de conclure : « C’est pas facile d’être ministre… »

Vieux militants, jeune producteur…

A la sortie, Mme Boutin fait mine de ne pas trop s’inquiéter pour sa réforme de l’article 55 de la loi SRU, critiquée de toute part. « Il y a aussi des élus socialistes qui sont pour la réforme de la loi SRU ». Intox ?

Dans les coulisses, nous croisons également Emmanuel Chain, l’ex-animateur de M6. Apprenant qu’il est producteur du programme, nous lui donnons notre avis sur cette émission biaisée. Que n’avions-nous pas dit… « Vous n’allez pas m’apprendre mon métier quand même ! Vous ne pouvez pas juger, attendez de voir le montage ». Comme si nos deux minutes de prise de parole allaient se transformer en 20 minutes par la joie du montage pro-Jeudi Noir de M. Chain. Peut-être comptait-il nous monter au ralenti ? Mais surtout, puisque M. Chain, en faisant ainsi la promotion de Mme Boutin, exerçait son « métier », notre critique, elle, ne pouvait être que « politique » n’est-ce pas, selon ses propres mots, et donc inacceptable. La sentence du toujours jeune Emmanuel Chain, amusé puis agacé, tombait rapidement : « Vous êtes des militants, vous êtes déjà vieux dans votre tête ». Vieux, vieux, peut-être… La BBC a été créée il y a plus de 80 ans, et elle n’aurait jamais toléré un spectacle ORTF de cet acabit chez elle !

Manuel Domergue (Jeudi Noir)

PS : Vous voulez une dernière preuve du sérieux de l’émission. Comme souvent, le site de France 2 conseille une bibliographie pour ceux qui veulent creuser le sujet de la crise du logement. Deux livres sont proposés : Hôtels insolites qui propose des chambres « insolites » à 150 euros la nuit, et le Guide du routard spécial Nos meilleurs campings. Le camping, solution du mal-logement ? Mais ils auraient dû inviter Franck Dubosc sur le plateau !


PS d’Acrimed : Bibliographie.

La bibliographie a été changée. mais voici grâce à un extrait d’une capture d’écran (signalée par un correspondant), la première version :

 
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Notes

[1Voir sur le site de « Jeudi noir ».

[2Comme on peut le vérifier sur le site du F. N. (lien périmé, octobre 2013).

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