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Européennes : Macron envahit la presse régionale, avec la bénédiction des rédactions

par Pauline Perrenot,

Hormis quelques récalcitrants comme La Voix du Nord et Le Télégramme, une grande majorité de la presse quotidienne régionale (PQR) s’est pliée, dans les règles de l’art, aux exigences d’une énième opération de communication orchestrée par Emmanuel Macron à quelques jours du scrutin des européennes : publier le même jour un entretien relu et validé par la présidence. Si seuls neuf journalistes ont été reçus à l’Élysée pour cet échange le 20 mai, les joies de la concentration ont fait le reste… Tant et si bien que le lendemain, le paysage des « unes » était d’une harmonie à couper le souffle : des photos de Macron en pleine page aux encadrés annonçant l’interview, en passant par des titres louangeurs (généralement une citation du Président), la presse a fait la démonstration de son indépendance aux yeux de ses lecteurs. Quant au pluralisme, il est une nouvelle fois piétiné dans ses plus grandes largeurs. Que reste-t-il ? La différence entre information et communication ? Sans commentaire…

En ce mardi 21 mai, les principales « unes » de la PQR avaient comme un air de famille.


Que ce soit à l’Est :



… au Sud :



… au Nord :



… ou à l’Ouest :



À croire que Macron aurait organisé un huis-clos en compagnie des plus hauts dignitaires de la PQR !

Et de fait : le 20 mai, soit la veille de la publication de ces « unes » historiques, une poignée de journalistes issus des principaux titres de la presse régionale étaient en effet conviés à l’Élysée pour réaliser un entretien avec le Président. Un dispositif particulièrement contraint que résume le rédacteur en chef de La Voix du Nord :

Une interview d’une heure trente, encadrée de façon inédite puisque les participants devaient s’engager à coécrire sur place une version unique des réponses présidentielles, puis à la soumettre à la relecture de l’Élysée avant toute publication du texte validé.

Le quotidien ne s’est pas présenté [1], pas plus que Le Télégramme, dont le directeur de l’information s’est exprimé sur Twitter :



Mais comme on l’a vu, ils ne furent qu’une minorité de récalcitrants [2], dont l’effronterie n’eut d’égal que la servilité du Parisien qui, une fois de plus, remporte la palme :



Avec un nouveau prix pour la mise en scène photographique et le sens aigu de la titraille (ceci est un montage) :



À moins que le grand vainqueur ne soit cette fois-ci le groupe La Montagne Centre France, propriété de la fondation Varenne, qui n’a pas lésiné sur les moyens (privilège de la concentration) :



Vous avez dit misère du journalisme ?


Il faut dire que le Président aurait tort de se priver : au vu du nombre de relais journalistiques disposés à répondre favorablement à sa proposition, cette opération de communication, comme toutes celles qui ont précédé, s’est avérée parfaitement rentable. Selon Le Monde, Emmanuel Macron a ainsi « négocié cet entretien consacré à l’Europe avec le Syndicat de la presse quotidienne régionale », regroupant les principaux groupes de presse entre les mains desquels se concentre l’immense majorité des titres régionaux [3]. Un syndicat présidé depuis 2018 par Jean-Michel Baylet [4], qui apporta son soutien à Emmanuel Macron lors de la dernière présidentielle [5] et qui demeure PDG du groupe La Dépêche dirigé… en famille :



Elle est pas belle la vie ?


***


Le pluralisme sous Macron, ce fut d’abord le quadrillage des « unes » de la presse écrite généraliste et people, des mois avant la présidentielle de 2017 [6]. Le pluralisme sous Macron, ce fut ensuite la circulation circulaire permanente de la communication entre politiques et journalistes, où les plus serviles parmi les seconds ont rabâché la « pédagogie » des premiers, martelé la nécessité de leurs « réformes », relayé la primeur de leur « cap » politique. Le pluralisme sous Macron, c’est évidemment les quatre chaînes d’information en continu nationales, branchées des heures entières sur les épisodes successifs du « grand débat ». Ou le traitement médiatique des gilets jaunes. Le pluralisme sous Macron, c’est enfin un temps d’antenne démesurément supérieur accordé à LREM au regard de la plupart des autres partis dans la campagne pour les élections européennes. Ceci à la faveur de critères pour le moins alambiqués, entérinés dans une loi de juin 2018 qui fait suite à une proposition formulée par le parti En Marche ! lui-même dès les législatives de 2017 [7]. Le pluralisme sous Macron, c’est en définitive la mascarade incarnée par ce nouvel entretien, dont on raconte qu’il fut « accordé » à la presse quotidienne régionale, quand tout porte à croire que l’opération de communication fut allègrement co-fabriquée.

Mais on viendra nous dire que le suivisme des médias français ne pose aucun problème à la « démocratie ».


Pauline Perrenot

 
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Notes

[1Le rédacteur en chef Patrick Jankielewicz s’en explique en effet dans l’article « Élections européennes Cette interview que vous ne lirez pas dans nos colonnes » (21/05/17), affirmant, d’une part, que le quotidien n’acceptait plus de faire relire les entretiens, et que, d’autre part, une telle ingérence de la part d’Emmanuel Macron « rompait [l’]équilibre essentiel au débat démocratique » à cinq jours du scrutin.

[2On pourra lire les justifications hautes en couleurs des rédactions dans l’article d’Arrêt sur images, « Interview Macron à la PQR : les rebelles... et les autres ».

[3À ce sujet, voir « Main basse sur la presse quotidienne régionale », une carte tirée du Manuel d’histoire critique édité par Le Monde diplomatique en septembre 2014, ou la carte « Médias français : qui possède quoi ».

[4Selon Wikipédia. Jean-Michel Baylet préside L’Union de la presse en région, regroupement de deux organisations professionnelles, le Syndicat de la Presse Quotidienne Régionale (SPQR) et le Syndicat de la Presse Quotidienne Départementale (SPQD). Ancien ministre de Hollande, ancien président du Parti radical de gauche (PRG), Jean-Michel Baylet fut condamné en 2003 pour « abus de biens sociaux et recel d’abus de bien sociaux, faux et usage de faux ».

[5Voir cette interview du Parisien (19/04/17).

[7Sur ce sujet, lire l’article d’Arrêt sur images « Médias et élections européennes : l’usine à gaz des temps de parole ».

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