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« Etats généraux de la femme » : Yves Calvi assure le service après-vente

par Marie-Anne Boutoleau, Un collectif d’Acrimed,

Le 10 mai 2010, l’émission « Mots Croisés », présentée par Yves Calvi, se saisit d’un sujet dont on peut difficilement contester l’importance et la pertinence : « Où en sont les femmes ? » - ou plutôt, comme le précise le présentateur : « Où en sont-elles quarante ans seulement après la pilule et le premier chéquier ? ».

Mais pourquoi un tel débat, à cette date ? Légitime intérêt pour la question posée, ou accompagnement promotionnel de « l’événement » que le magazine Elle venait d’organiser : les « États généraux de la femme » ?

Principal prétexte de ces « États généraux » : la célébration des États généraux que le magazine avait déjà organisés en 1970. Le 7 mai, à Sciences-Po lors de la journée de clôture des Etats généraux, un Livre blanc a été remis à François Fillon, qui, relève Valérie Toranian, « s’est engagé à nous répondre sur le fond ». Coïncidence, trois jours plus tard, le 10 mai, « Mots croisés » s’empare du « dossier »… et lui consacre une heure de « débats ». Le temps imparti (une heure) paraît bien court. Mais, à en juger par le contenu, c’était peut être trop long...

La composition du plateau fait craindre le pire. Autour d’Yves Calvi, donc, quatre grandes analystes de la condition des femmes : Elisabeth Badinter (dont le féminisme controversé n’est pas ici en cause) [1], Françoise Gri, présidente de Manpower France (qui a tant fait pour l’émancipation des femmes au travail), Rachida Dati (dont on ne tardera pas à savoir ce qui justifie sa présence), et Valérie Toranian, incontournable directrice de Elle. Le tout complété par David Abiker, chroniqueur à France Info et Marie-Claire, peu connu pour son féminisme exacerbé, venu défendre l’Homme opprimé, et à l’occasion vendre son dernier livre, Zizi the kid, sorte d’autobiographie érotique.

Un « mini-phénomène de société »

Pour commencer, Yves Calvi propose un vrai sujet de société sur lequel il était urgent de se pencher et qui occupera les onze premières minutes de l’émission : le « congé maternité éclair » de Rachida Dati.

Yves Calvi (à Rachida Dati) : « Est-ce que vous avez été surprise par le débat sur votre retour au boulot ? » Et quelques instants plus tard, le même interrompt la réponse de Rachida Dati : « Vous avez trouvé ça malsain, vous avez compris qu’on en débatte ? Parce que je vais vous dire franchement que c’était un sujet de conversation quasiment familial, et aussi de machine à café, quoi. »

L’ex-Garde des sceaux tente – en vain – de relativiser l’importance du « sujet » pour machine à café, en soulignant que son cas ne pouvait et ne devait pas être généralisé : « Il y a un vrai droit aujourd’hui pour les femmes qui est le droit à une liberté de choix. […] J’étais Garde des sceaux et je me devais vis-à-vis des Français de revenir à mon activité professionnelle. [...] c’est peut-être plus simple pour des femmes comme nous, c’est moins simple pour des femmes qui sont dans des activités où elles n’ont ni le choix de leurs horaires, ni le choix de leur cadre de travail, et encore moins le choix de leur maternité. »

Cette mise au point n’arrête pas le client de la machine à café…

Yves Calvi (à Valérie Toranian) : « Vous avez rencontré des centaines des femmes [Plus exactement : des centaines de lectrices de Elle] pendant les mois qui ont précédé les Etats généraux , est-ce qu’elles vous ont parlé de ce congé maternité éclair , est-ce que ça a éveillé un débat, une curiosité, voire une polémique d’ailleurs ? »

Valérie Toranian répond qu’il a bien sûr été question « de la maternité et du travail et de cette impossible articulation entre le fait d’être une mère et le fait d’être une femme qui veut travailler, c’était le sujet à 80 % des états généraux », que parfois était parfois mentionné l’exemple de Rachida Dati (qu’Yves Calvi baptise aussitôt, comme une loi quasi scientifique, « l’effet Rachida ») ; mais elle précise qu’elle n’a « pas aimé ce débat », ajoutant qu’ « à un moment donné il faut arrêter de mettre en scène des choses qui sont quand même anecdotiques et qu’on revienne aux choses fondamentales ».

Ainsi renvoyé dans ses pénates, notre vaillant présentateur ne renonce pas, persuadé sans doute qu’il tient là un sujet capital. Se tournant vers Elisabeth Badinter, il répète sa question :

Yves Calvi : « Est-ce que l’exemple de Rachida Dati incarne le meilleur rempart contre la tyrannie de la mère parfaite que vous dénoncez dans votre livre ? »

Elisabeth Badinter estime elle aussi qu’il est « détestable » de « mettre sur la table publique » ce qui « est vraiment de l’ordre de l’intime », comme la façon d’accoucher… Ce qui ne l’empêche pas de saluer- ironiquement ?- la « performance » de Rachida Dati. [2]

Du coup, ça y est, Yves Calvi peut poursuivre en filant la métaphore sportive …

Yves Calvi (à Françoise Gri) : « Est-ce que vous pensez que certains patrons ont pu utiliser l’exemple Rachida dans le style : "si Rachida peut le faire, il n’y a pas de raison que les employées ne le fassent pas" ? »

La patronne de Manpower répond que non, mais explique notamment que « la performance était exceptionnelle », que les femmes publiques sont des modèles et que le « modèle » mettait ici « la barre très haut en matière de performance ». Une occasion de conclure qu’il est possible de tout concilier, notamment vie familiale et « poste à responsabilité », ce qui est le lot du « commun des mortels ». Les employées précaires de Manpower apprécieront....

Rachida Dati insiste alors à nouveau sur le fait qu’elle était une privilégiée en la matière. Pour Yves Calvi, cette exception n’en est pas une…

Yves Calvi : « En même temps, on n’est pas là pour vous demander de vous justifier. En revanche, je pense que ça a été un mini-phénomène de société , et vous ne pouvez pas l’ignorer. »

Rachida Dati n’a donc pas été invitée parce qu’elle aurait des choses intéressantes à dire, en tant qu’ex-Garde des Sceaux, sur la condition des femmes, , mais parce que, mère et femme avant d’être ministre, elle a suscité un « phénomène de société » ! Qu’importe alors les difficultés rencontrées par la majorité des femmes lorsqu’elles choisissent de devenir mère tout en travaillant : des difficultés que devait rappeler à plusieurs reprises ... Rachida Dati, justement.

Pour conclure ce premier chapitre du « débat », Yves Calvi laisse la parole à Abiker pour une « analyse » de cette « histoire moderne »  :

Yves Calvi : « Avant cette émission, David Abiker, la première personne dont vous nous avez parlé c’était Rachida Dati, pourquoi ? »

Oui, pourquoi ? Peu importe la réponse. On sait au moins que David Abiker se pose de bonnes questions puisque ce sont les mêmes que celles que soulève Yves Calvi.

Inégalités

Après cette introduction, particulièrement riche et pertinente, Yves Calvi enchaîne sur les « choses » qui l’ont « frappé » :

Yves Calvi : « Les salaires, les violences et, on pourrait dire, le rapport à la maternité et au travail, moi ce sont les trois choses qui m’ont vraiment beaucoup frappé dans ce que vous publiez cette semaine dans Elle, qui est en kiosque je le rappelle avec Sophie Marceau en couverture… »

Ce rappel promotionnel était en effet indispensable… Et Yves Calvi de poursuivre par l’une des « choses » qui l’ont « frappé » :

Yves Calvi : « Euh, Françoise Gri j’ai une première question à vous poser sur, peut-être, l’égalité homme/femme : pourquoi n’arrive-t-on toujours pas à ce qu’à poste égal, une femme gagne autant qu’un homme ? Vous êtes chef d’entreprise, vous voyez vivre la société française…  »

C’est indiscutable : une chef d’entreprise « voit » particulièrement bien « vivre la société française ».

Après une discussion de quelques minutes, suffisamment brèves pour effleurer le problème des inégalités salariales, Elisabeth Badinter soulève la question qui fâche … Yves Calvi :

- Elisabeth Badinter : « […] S’il y avait vraiment égalité de salaires, je ne suis pas sûre moi que les pères, les compagnons se comporteraient de cette façon-là. Parce qu’enfin, que depuis vingt ans, leur participation aux tâches familiales et ménagères n’ait pas augmenté d’un iota signifie que les hommes continuent à considérer, les sociétés aussi... »
- Yves Calvi (fait la moue) : «  C’est un peu mieux Elisabeth Badinter, si, si…  »
- Elisabeth Badinter : « Non, non, non, je vous arrête tout de suite ! Alors là je vous arrête, l’INED [Institut National d’Etudes Démographiques] a rendu des études européennes absolument formidables en novembre qui montrent très strictement que ça n’a pas bougé depuis vingt ans [3]. Alors simplement : oui, les pères s’occupent plus de leurs enfants et peut-être un peu moins de leurs bagnoles ou du bricolage, donc le temps qu’ils donnent à la famille est peut-être plus centré sur l’enfant, on peut s’en féliciter, mais quand on fait ses comptes comme le font l’INED et c’est vrai pour tous les pays d’Europe, la différence est accablante, vous comprenez, et c’est tout le problème ! »
- Yves Calvi, l’interrompant : « Vous savez que si un homme était aussi caricatural que vous sur les activités des femmes, il se ferait lyncher , hein… »
- Elisabeth Badinter  : « Juste une seconde Monsieur, attendez. Non, mais moi ce n’est pas caricatural, je prends les études de l’INED, Arrêtons de dire que… Ce que je dis n’est pas militant, ce sont les faits. Ce que je veux dire, c’est que si une femme... »
- Yves Calvi : « Dire que nous ne nous occupons de nos bagnoles et du bricolage, c’est un cliché ! »
- Elisabeth Badinter : « C’était ça il y a trente ans. J’ai dit : ils s’occupent un peu moins de leur bagnole et du bricolage, ils s’occupent plus de leur bébé, c’est exactement ce que j’ai dit. Et attendez, juste un instant : si les hommes et les femmes gagnaient la même chose, dans toutes les entreprises, et bien au moment où un enfant est malade ou au moment où il faut s’occuper plus d’enfants, il n’y aurait pas ce choix presqu’automatique de c’est la mère, puisqu’elle gagne moins, donc elle serait moins pénalisée. »

Parités

Après cet échange, Rachida Dati revient de nouveau sur la condition des travailleuses pauvres et des travailleuses précaires. Manifestement peu intéressé par cette question, Yves Calvi enchaîne sur une autre, qui ne concerne directement qu’une minorité de femmes : un projet de loi visant à instaurer des quotas de femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises et dans les postes à responsabilité. Et face à Elisabeth Badinter qui juge cette idée « ridicule et grotesque » [4], Yves Calvi tient son rôle :

Yves Calvi : « Si je vous dis que c’est le seul moyen à un certain moment d’y arriver, parce qu’il faut bien commencer à prendre une… Voilà, c’est comme un mouvement, qu’on engage, tout simplement. »

Quand Valérie Toranian aborde la question de la parité en politique – autre tarte à la crème de nos élites médiatiques et politiques –, en rappelant que les partis ne mettent pas les femmes en position éligible, Yves Calvi, en qualité de porte-parole, témoigne pour d’autres opprimés :

Yves Calvi : « Je veux pas vous faire pleurer sur le mâle blanc en politique de 40 ans, Valérie Toranian, mais enfin je peux vous affirmer que quand vous leur posez la question, ils sont de plus en plus nombreux à dire "Ben c’est de plus en plus difficile, le gars de 40 balais qui veut trouver un poste éligible aujourd’hui, en gros les places commencent à être bloquées parce qu’il va falloir à un moment qu’on pousse quelqu’un" — parfois pour de très bonnes raisons, mais je veux dire… Les garçons qui font de la politique le perçoivent comme tel. »

Et puisque Valérie Toranian rappelle qu’« il y a quand même 80% d’hommes de 50 ans et plus à l’Assemblée nationale », Yves Calvi précise « Vous avez mille fois raison ; je vous dis juste que ça bouge peut-être plus vite qu’ on [???] ne le pense ».

Retour au foyer

Vient alors le moment de commenter l’inévitable sondage, paru dans Elle. L’une des questions posées était – dans la version qu’en donne Calvi – « de savoir si elles sont tentées par un retour au foyer ». Sondage qui, nous avoue-t-il, « l’a laissé pantois ». La vraie question était : « Aujourd’hui être mère au foyer, c’est… » Réponses : « Une chose qui ne vous arrivera jamais par principe : 35% ». « Une idée qui vous tente ou qui pourrait vous tenter un jour : 35% » (mis en gras dans l’émission). « Une chose que vous ne pouvez pas vous permettre économiquement : 30% ». Valérie Toranian et Elisabeth Badinter se disent surprises par ce résultat que Valérie Toranian tente d’expliquer par la précarité de l’emploi des mères travailleuses. Mais avant de laisser Badinter parler, Yves Calvi tient à témoigner de nouveau :

Yves Calvi : « De temps à autre, je croise des femmes qui me disent "moi, j’ai envie de m’occuper de mes enfants à la maison, et j’en ai marre — et Dieu sait si je suis favorable au fait que ma mère ou ma grand-mère aient participé à des mouvements féministes — mais j’en ai marre qu’on m’infantilise et qu’on me fasse passer pour une débile mentale, parce que j’ai envie de m’occuper un peu de mes enfants à la maison." » Une façon de présenter les choses tout à fait neutre...

S’ensuit une série d’échanges au cours de laquelle Elisabeth Badinter met en garde contre cette tendance. Si Calvi se demande – une fois n’est pas coutume - s’il ne faut pas « lutter » contre, Badinter défend le fait que la société ne peut pas tout faire et que les femmes doivent se prendre en main. Encore, une fois, c’est Rachida Dati qui se penche sur le sort des plus démunies en rappelant qu’en cas de travail peu gratifiant, on peut aussi être à l’écart de la société. Elle explique qu’il est nécessaire d’aider les jeunes mères : « C’est facile de dire : il faut qu’elles n’oublient pas l’avenir. Mais il faut peut-être les aider aussi à prendre conscience de l’avenir. » Badinter parle des ravages de la crise et Françoise Gri s’élève contre le fait de poser les femmes en victimes et s’interroge sur la manière de leur donner envie d’entreprise (« l’entreprise ne les tente plus », même après des études, regrette-t-elle).

« Effet Dati », quotas, parité, retour au foyer : autant de thèmes manifestement centraux quand on cherche à répondre à la question « Où en sont les femmes  ?  » Alors que les inégalités sociales hommes-femmes ne semblent que très modérément intéresser Yves Calvi, malgré l’insistance de certaines de ses invitées, une chose est sûre : comme le souligne Mademoiselle, « Lafâme sera toujours Lafâme », mère de préférence. Nous voilà rassurés et rassurées !

Et les hommes dans tout ça ? « Où en sont les hommes » ? Menacés par la montée en puissance de la gent féminine, bien sûr ! Plutôt silencieux jusque là, David Abiker, au nom des hommes menacés, se déchaîne dans la deuxième partie de l’émission. Par respect pour la liberté d’opinion de ce journaliste manifestement spécialisé, nous avons renvoyé en « Annexe » ses pleurnicheries caricaturales.

Et Elle , finalement ?

Juste avant la fin de l’émission, Yves Calvi s’avise d’interroger la directrice du magazine dont « Mots croisés » est en train de faire la promotion.

- Yves Calvi (à Valérie Toranian) : « Est-ce que je peux vous faire remarquer qu’il y a un chapitre dans votre livre blanc qui s’intitule “Changer les représentations pour combattre les stéréotypes” et qu’on peut trouver ça assez savoureux dans un magazine qui vante les mérites de crèmes anti-âge, avec des photos de femmes-objets toutes les trois pages… Il se trouve que je le lis depuis que je suis petit garçon avec beaucoup de plaisir, mais il n’empêche… Cette dualité existe dans Elle, vous l’assumez ? »
- Valérie Toranian : « Absolument, je l’assume à 100 % et vous avez raison, c’est une dualité, c’est un... Enfin, certains appellent ça un paradoxe…
- Yves Calvi  : « Oui, on peut appeler ça un paradoxe. Voire une contradiction. »
- Valérie Toranian : « Oui, enfin les femmes sont aussi complexes et multiples dans leur façon d’être et d’aborder ce qu’est la question du féminin, de la féminité et de leur place dans la société, et je pense qu’un magazine féminin il réunit des choses qui sont complémentaires — vous vous dites paradoxales, elles sont complémentaires —, elles construisent quelque chose… Vous avez raison, il y a des archétypes du féminin dans un magazine féminin, dans les représentations de la femme ; il y a aussi beaucoup de choses qui sont là pour déconstruire les stéréotypes [haussement de sourcils de Badinter], et qui sont là pour pousser les femmes, les valoriser, leur donner envie de s’affirmer, et d’être dans une projection positive d’elles-mêmes. Donc bien sûr qu’on peut critiquer les magazines féminins qui perpétuent les archétypes. Je pense qu’en même temps les magazines féminins ont énormément libéré la parole des femmes… »
- Yves Calvi : « Ça c’est incontestable. »
- Valérie Toranian : « … ils ont été un lieu de l’intimité des femmes et de choses qui se sont dites de la liberté des femmes, et que les femmes en sont très conscientes et, aussi, quelque part, reconnaissantes, et que l’adhésion qu’elles ont à ça c’est aussi le fait qu’elles sont dans un univers qui les prend dans leur complexité, qui ne les culpabilise pas [Badinter a les yeux levés aux ciels, mais il serait peut-être présomptueux d’y voir une critique envers les paroles de Toranian], qui leur donne aussi de la légèreté et de l’humour et de la beauté et de la mode, et puis qui est aussi capable de faire ces états généraux de la femme comme nous venons de le faire. »
- Yves Calvi (à Elisabeth Badinter) : « Je vous ai vu un tout petit peu dubitative sur la déconstruction du stéréotype qu’évoquait... Oui ? »
_- Elisabeth Badinter : « Ce n’’est pas franchement être méchant que de dire que les magazines féminins en reconstruisent d’autres. Peut-être qu’ils en déconstruisent certains et ils en construisent d’autres. [Valérie Toranian : « Comme tous les magazines ». Dati : « Oh non, pas comme tous les magazines. »] Je veux dire que, quand même, c’est les magazines féminins qui ont mis comme modèle des femmes qui font du 34 de taille, et que personne ne peut atteindre sauf si vous êtes anorexique ; c’est quand même les magazines féminins — Elle comme d’autres d’ailleurs — qui ont créé d’autres stéréotypes de beauté, de tout ça, donc voilà… »
- David Abiker : «  Le pire , c’est qu’elle ne plaisent même pas aux hommes ces femmes-là »

Un grand moment de féminisme…

***

On ne reviendra pas sur le caractère bouffon des « Etats généraux de la femme » promue par un magazine qui n’a certes jamais contribué à l’entretien de l’imaginaire sexiste dans notre société, et dont l’imposture a été également démontée par le blog « Les Entrailles de Mademoiselle ». Mais on peut souligner à quel point le « débat » médiatique, savamment entretenu autour de ces États généraux, s’est contenté de parcourir, prudemment, les chemins balisés par Elle en matière de politiquement pensable concernant les femmes, que ce soit à propos du partage des femmes, des inégalités sociales hommes-femmes ou de leur sous-représentation en politique. Le problème des violences a été moins évoqué, tandis que celui de la « conciliation vie de femme-vie de mère » (comme le souligne Mademoiselle, « il n’y a que les femmes qui concilient. Les hommes eux, ils vivent ») a occupé le devant de la scène.

Que reste-t-il du débat orchestré par Yves Calvi ? Rien. Ce qui est sans doute déjà trop, puisque le verdict avait déjà été prononcé en cours d’émission : « ça bouge peut-être plus vite qu’on ne le pense. »

Marie-Anne Boutoleau et un collectif d’Acrimed


Annexe :
 Quelques fragments de l’expertise de David Abiker

David Abiker : « Moi je suis effrayé parce que notre conversation ou en tout cas la vôtre dresse le portrait en creux d’un monstre, clairement. Le grand absent, c’est-à-dire en ombre chinoise on voit se dessiner un homme qui fait barrage à la progression des femmes dans l’entreprise, qui à la maison est ni plus ni moins qu’une espèce de touriste qui passerait deux à trois fois par an et le reste du temps ne serait pas là, qui est un autiste, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de communication, c’est-à-dire que ça ne parle pas, c’est-à-dire que les femmes rentrent, elles sont seules, il leur faut des structures comme a dit Rachida Dati. Et donc, c’est tout le danger d’un discours sur la femme victime, la femme malheureuse parce que c’est un discours qui est excluant. C’est un discours qui l’exclut elle-même et qui l’oblige à tourner en rond dans des colloques féminins alors que – je pense – une des grandes victoires au moins de ces dernières années, au moins sans croissance économique, au moins avec une crise économique, c’est peut-être celle du dialogue entre les sexes ou en tout cas du dialogue entre les genres. C’est quand même un sujet, c’est-à-dire la communication dans les couples, la communication entre les sexes, la communication entre une nouvelle génération peut-être d’adolescents, peut-être sur les réseaux sociaux sur Internet qui fait qu’il y a quand même des bonshommes qui sont peut-être un peu plus concernés par ce qui arrive aux frangines qu’autrefois. »

Quelques minutes plus tard, Calvi enchaîne demande : « Est-ce que vous pouvez affirmer les unes et les autres qu’être une femme est toujours, et systématiquement, un handicap ? Je vous le dis autrement : Elle s’appellerait Rachid plutôt que Rachida, est-ce que vous pensez pas que ça pourrait être plus compliqué ? C’est ce que nous a quand même suggéré Malek Boutih récemment après sa non-nomination à la Halde et je pense que ça peut être entendu, dans certaines occasions ». (David Abiker opine) On peut s’interroger sur le fait qu’aujourd’hui parfois des places soient réservées… en tout cas, que la promotion dans la diversité ait surtout profité aux femmes. »

Après avoir rappelé la compétence de la nominée, Jeannette Bougrab, Valérie Toranian s’indigne : « C’est quand même très choquant qu’il y ait quand même des siècles et des siècles d’inégalités, que tout à coup depuis trente ans on essaye de rattraper un retard qui s’est accumulé de manière évidente [...] Donc là il y a trente misérables petites années où les femmes essayent de récupérer quelque chose, à ce moment-là, tollé général : oui, vous profitez de vos positions, ça va être bien plus facile pour vous... attendez, on blague, là, on rigole. Messieurs, dormez tranquilles : tout va bien, vos positions sont stables, affirmées, assurées, on est dans une société qui est tentée par tous les conservatismes et les traditionalismes en ce moment, dormez tranquilles ! » la directrice de Elle se demande pourquoi David Abiker cherche à dresser les femmes contre les hommes, il répond que c’est elle qui fait ça.

David Abiker explose : « Jamais on n’entend des intellectuels hommes français ou très rarement prendre la plume pour défendre les hommes ! Je veux dire, c’est quand même inventer un mur comme ça qui se dresserait et qui, avec des hommes derrière les barricades qui seraient là à tirer à vue... »

Valérie Toranian trouve incroyable que le fait que les femmes demandent l’égalité provoque chez Abiker une telle réaction, comme s’il se sentait « dévirilisé et castré ».

David Abiker proteste : « C’est une attaque en dessous de la ceinture qui n’a absolument pas lieu d’être sur ce plateau. [...] Pourquoi dans un débat qui a une certaine tenue vous nous ramenez des histoires de braguette sur le plateau ? Qu’est-ce que ça veut dire ? [...] C’est très curieux ! Un homme ferait ça, moi j’aurais brandi un argument sur les talons de Rachida Dati ou (désignant Badinter) votre coiffure, mais c’était direction la porte ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Valérie Toranian, mais enfin ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »

- Elizabeth Badinter « Ce ne sont pas les femmes qui sont inégales des hommes, ce sont les mères. Une jeune femme qui n’a pas d’enfant, elle est en position d’égalité avec un homme. C’est quand elle devient mère que tout… que ça commence. Ca commence, la chute vers l’inégalité »
- David Abiker : « Mais si un homme refuse un enfant à une femme, souvent elle lui en veut. [...] Il y a parfois des hommes qui disent : "moi je n’ai pas envie d’enfant" et les compagnes se tournent vers quelqu’un d’autre. »

C’est vrai : la condition masculine n’est plus ce qu’elle devrait être…

 
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Notes

[1Et présentée comme « philosophe, essayiste » mais comme d’habitude pas publicitaire...

[2« Juste une remarque : on ne peut que dire sa stupéfaction voire son admiration parce que je ne connais pas autour de moi, ni moi-même qui ait eu trois enfants, de femme qui aurait pu, au bout de cinq ou six jours après une césarienne, reprendre sa vie professionnelle comme si rien ne s’était passé. Je n’en connais pas une. Donc il y avait aussi une sorte de stupéfaction. On s’est dit : "quelle performance" ! »

[3Nous n’avons pas retrouvé les études auxquelles Elisabeth Badinter fait allusion. En revanche, un article paru en novembre 2009, dans la revue Population et société, confirme le maintien des inégalités : « L’arrivée d’un enfant modifie-t-elle la répartition des tâches domestiques au sein du couple ? » par Arnaud Régnier-Loilier en fichier .pdf sur le site de l’INED.

[4En expliquant que « ce n’est pas parce qu’on va nommer des femmes dans des conseils d’administration symboliques que ça va changer la condition des femmes » et que « pendant qu’on nous amuse avec le 50% de femmes dans le Cac 40, dans les conseils d’administration, on ne s’occupe pas des vrais problèmes ».

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