Chez « Quotidien », on aime cajoler les puissants et ceux qui les ont côtoyés. Yann Barthès est maître en la matière et se félicite, à ce titre, de recevoir « une institution » : « Journaliste, écrivain, patron de presse, mémoire de la politique française, il publie le deuxième tome de son Histoire intime de la Ve République. » Bref, un accueil en grande pompe.
Pour un instant nostalgie, l’éditorialiste revient sur ses débuts en tant que journaliste politique dans les années 1970 :
J’étais un peu le petit con, j’étais pas du tout comme les autres. D’ailleurs, ils étaient parfois un peu gênés, mais en même temps j’amusais, parce que mon truc… très vite, j’ai compris qu’il faut leur plaire. Parce que toutes les personnalités politiques, ils [sic] considèrent les journalistes comme des emmerdeurs, pas du tout parce qu’ils cherchent la petite bête, [mais] parce que leur conversation est insipide, toujours des questions sur ceci, sur cela. Donc j’essayais de les amuser, je racontais des histoires drôles, y’en a plein, je leur racontais les derniers potins – qui couche avec qui par exemple – et très vite vous avez un sourire.
Le journalisme d’élite à son paroxysme.
Après ce retour historique, Yann Barthès nous plonge dans l’ouvrage de Franz-Olivier Giesbert. L’occasion pour ce dernier de développer sa vision du journalisme politique :
Yann Barthès : Alors comme toujours chez Giesbert, des portraits fantastiques, quelques lignes et hop le résumé génial d’un personnage important. Un exemple, je vais vous le lire et c’est à vous de me dire qui c’est : « Haut perché, les narines à l’affût, prêt à avaler la mer, les poissons, les bigorneaux, il haletait comme un chien, galopait… »
Julien Bellver : Chirac ?
Y. B. : Oui.
Franz-Olivier Giesbert : Vous continuez.
Y. B. : Oui : « Galopait comme un cheval, copulait comme un lapin et s’empiffrait comme un cochon. Tout en lui faisait ventre. »
Paul Gasnier : Ouais Chirac…
Y. B. : Oui vous avez bien trouvé. On a une photo de lui et vous, regardez. Qu’est-ce que vous faites là ?
F.-O. G. : On était allé déjeuner ensemble au Mas du Langoustier [1], et à mon avis pour qu’on dorme avec le moteur qui marche…
Y. B. : Alors la connivence avec les politiques, ça vous dérangeait pas hein !
F.-O. G. : Bah non mais je faisais mon métier moi. Je veux dire, le journaliste sportif, il passe son temps avec les joueurs de foot ou les cyclistes. Moi, c’est vrai que je voyais beaucoup les politiques, ça m’empêchait pas après de balancer des vannes à tire-larigot. Mais j’étais… c’est vrai ce jour-là on était allé déjeuner, au Mas du Langoustier, à l’île de…
Y. B. : Ça avait l’air bon en tout cas, là vous digérez on est d’accord ?
F.-O. G. : Non, on avait bien bu… Je pense qu’on avait beaucoup bu, si vous voyez ce que je veux dire.
Y. B. : Y’a autant de connivence maintenant ?
F.-O. G. : Moi je me suis un peu rangé… mais ça peut exister encore.
Y. B. : C’est mal vu ? C’est plus caché ?
F.-O. G. : Oui c’est pas caché parce que… non il y a des catégories de journalistes qui continuent à faire son boulot [sic]. Il y a ceux qui veulent être propres alors ils attendent que le juge, ou le magistrat donne ses photocopies, et ils sont dans leur bureau loin de tout. Et puis il y ceux qui vont au boulot.
Y. B. : « Propres » ?
F.-O. G. : Oui parce qu’ils veulent avoir soi-disant les mains propres, mais ils n’ont pas de mains. Et ils reprennent… tous ces sites qu’une partie de la profession adore. J’ai remarqué, moi, la nouvelle génération, parce que j’ai travaillé sur un long terme et j’ai vu que ça changeait régulièrement, et il y a une génération effectivement qui disait « nan, les politiques ça risque de nous influencer ». Aujourd’hui, une nouvelle génération arrive et elle veut faire son boulot, c’est-à-dire aller voir… Vous savez, vous êtes journaliste cinéma, vous allez voir des cinéastes, vous faites de la télé, vous allez… enfin c’est notre boulot. C’est la même chose avec les politiques, y’a pas à en avoir peur. En quoi les voir risque de nous pourrir, de nous influencer, de nous corrompre ? Moi j’en ai rien à foutre.
Une vraie leçon d’indépendance, par un véritable héraut du journalisme.
Et pour couronner l’émission, l’ancien directeur du Point théorise son positionnement politique. Frissons : il est donc… de « drauche » ! Mais attention, « ça n’a rien à voir [avec le macronisme, NDLR], parce que macroniste, il fait ça, il fait ça, il sait pas trop, il revient. Moi, drauche, c’est très carré, sur des sujets je suis à droite, par exemple sur l’économie, je suis à droite, c’est clair, c’est-à-dire, faut aider les entreprises, faut diminuer les charges, faut que ça avance, il faut créer de la croissance. Et sur le social, je suis à gauche, faut pas laisser les gens en panne, faut les aider etc. » Défense de rire.
Et de poursuivre : « Sur le sociétal, je suis très souvent à gauche, mais en même temps ça m’arrive aussi d’être à droite. » Et plutôt deux fois qu’une, tant la banalisation des idées d’extrême droite, dont l’éditorialiste « partage la rhétorique et les obsessions », est une seconde nature. Bref, qu’il entretienne une proximité avec la classe dirigeante et défende mordicus ses ténors ou qu’il déblatère contre le mouvement social jusqu’à mettre sur le même plan Daech et la CGT – deux « menaces » contre « l’intégrité » de la France – (entre autres prouesses), Franz-Olivier Giesbert est avant tout un réactionnaire. Et chez « Quotidien » comme ailleurs, les têtes d’affiche lui servent la soupe.
Sophie Eustache