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Encore un « bidonnage » de TF1 au service de la qualité de l’information (avec vidéos)

par Yannick Kergoat,

Pendant plusieurs années, la hausse spectaculaire du marché de l’immobilier a été, pour les médias en général et la presse magazine en particulier, un sujet en or. Pour TF1, il est l’heure de sonner le tocsin et de transformer en spectacle le début de la baisse. À défaut d’une véritable enquête, un bon bidonnage fera l’affaire.

Celui-ci nous a été signalé par un correspondant et a fait l’objet d’un article sur le site… Cotation-Imobilière.fr, publié pendant que nous rédigions le nôtre.

Ce mercredi 1er octobre, le journal de 13 heures de TF1 s’ouvre sur une météo morose : « La Toussaint avant l’heure », annonce Jean-Pierre Pernaut. Et ça ne sera pas la seule mauvaise nouvelle de la journée. Difficile d’égayer les téléspectateurs avec la crise financière ! Et de se réjouir des drames que cache le début du retournement du marché de la vente de biens immobiliers.

En début de journal, dans un premier « sujet », la rédaction du 13 heures se penche sur la question des prêts-relais. Jean-Pierre Pernaut lance le reportage en donnant une information inquiétante et destinée à inquiéter les téléspectateurs : « Selon l’Association des Usagers des Banques, 30 000 détenteurs de crédits relais pourraient très vite se trouver en difficulté. »

Pourtant, bien que TF1 raffole des témoignages individuels, pas une seule des 30 000 personnes concernées ne bénéficiera d’une mise en images [1].

À leur place, un professionnel : Gérard, qui tient une agence immobilière à Lyon et dont « une dizaine de clients auraient de graves difficultés financières ». Interrogé dans le reportage Gérard ne confirmera pas les chiffres, mais détaillera le mécanisme par lequel le détenteur de prêt-relais pourrait être mis en difficulté financière.

On notera qu’à la fin du reportage le conditionnel utilisé au lancement par Jean-Pierre Pernaut : « Selon l’Association des Usagers des Banques, 30 000 détenteurs de crédits relais pourraient très vite se trouver en difficulté . » est devenu maintenant une quasi certitude : « Selon l’Agence française des Usagers des Banques, près de 30 000 ménages auraient [déjà, donc…] des difficultés à rembourser leurs prêts-relais  ». Cet usage désinvolte du conditionnel et des chiffres contraste, pour le moins, avec la gravité de la situation des personnes concernées [2].

Suit immédiatement un second reportage. À nouveau, le ton de Jean-Pierre Pernaut est alarmiste : « L’immobilier c’est sans doute le secteur qui subit le plus la crise actuelle, moins de crédit, moins de vente, des acheteurs très frileux et donc une sérieuse inquiétude dans les agences immobilières... »

Cette fois, le « sujet », tourné à Rennes, répond davantage aux critères des reportages de TF1 et met en scène un simple acheteur, « comme vous et moi » : Guillaume Alexandre, jeune cadre de 26 ans qui a décidé avec sa compagne de devenir propriétaire pour la première fois. Regardons le second reportage :

À première vue, rien à redire : le témoignage direct et personnel équilibre l’« enquête » proposée par le premier reportage. Le téléspectateur dispose d’un « client » auquel il peut s’identifier et qui incarne les chiffres fournis par des professionnels.

Sauf que … sauf que le prétendu « jeune cadre de 26 ans désirant avec sa compagne devenir propriétaire pour la première fois » qui, en début de reportage, visite un appartement à vendre, n’est pas exactement ce qu’il prétend être. C’est en fait un agent immobilier qui joue l’acheteur devant la caméra en compagnie d’un autre agent immobilier qui n’est autre que son chef d’agence, tous les deux mimant la visite d’un bien mis en vente par le groupe qui les emploie.

Une simple recherche sur Google nous a immédiatement permis de trouver sur le site du groupe d’agences immobilières Kermarrec (lien périmé) la véritable profession de l’apprenti comédien.

Deux liens plus loin, un article de Ouest-France annonçant l’ouverture d’une de leurs agences est illustré par une photo montrant ensemble les deux protagonistes du reportage (lien périmé).

Remarquons enfin que l’agence immobilière fermée qui, en fin de reportage, est censée illustrer la crise que traverse la profession, est vendue par le même groupe « Kermarrec » qui, lui, ne semble pas avoir de difficultés...

Ce « bidonnage » n’est-il qu’une simple petite entorse sans conséquence sur le contenu informatif du reportage ? En vérité, c’est une dérive particulièrement dangereuse, dont les télévisions, entre autres, s’accoutument fort bien. En 2003, déjà, Amaury de Rochegonde, dans Stratégies, relevait : « […] les annales ont retenu la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor en 1993, les barbus retouchés à la palette graphique en guise d’islamistes sur France 3 en 1994, un reportage avec des armes factices sur France 2 en 1995, un Reportages de TF1 sur un soi-disant flagrant délit de trafic de drogue en 1998, sans oublier le réfrigérateur jeté d’une tour HLM dans un Entrevue de 1999 [3]. »

TF1 n’est donc pas la seule concernée : quand les médias français les plus consultés s’autorisent à mettre en scène de faux témoignages pour fabriquer une information et la présenter comme authentique à des millions des téléspectateurs, c’est la crédibilité de toutes les informations qui est atteinte.

Yannick Kergoat


 Voir, a contrario (c’est gratuit...), sur le site d’Arrêts sur images « Capital (M6) démasque un bidonnage de Otis »

 
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Notes

[1Ce n’est pas le cas dans l’émission « Enquêtes et révélations », diffusée le 7 octobre 2008 à 22h25 et consacrée au surendettement : la situation et les démarches de deux couples en grande difficulté font office de fil conducteur de l’enquête.

[2Nous avons cherché en vain sur le site de l’AFUB une information ou un communiqué récents sur la question des prêts-relais, mentionnant le chiffre avancé par TF1.

[3« Haro sur le bidonnage », Stratégies du 6 juin 2003.

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