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Emmanuelle Ducros en croisade contre les activistes écologistes

par Pauline Perrenot,

« Cuistres idéologisés », « débiles », « nantis égoïstes », « miliciens »... Empruntant au registre fleuri d’une Sophia Aram ou d’un Brice Couturier, la journaliste Emmanuelle Ducros est (une nouvelle fois) partie en campagne contre des paysans et des militants écologistes, à l’origine d’une action, « Le convoi du sable », menée notamment sur le site d’expérimentation de la Fédération des Maraichers Nantais le 11 juin. Coorganisée par les Soulèvements de la Terre et La tête dans le sable, cette action a consisté à « remplacer et réensemencer symboliquement avec du sarrasin bio le muguet industriel et les serres de la Fédération », à arracher des tuyaux d’irrigation, etc. pour lutter contre le maraîchage industriel, entre autres enjeux revendiqués.

« Ramassis de cuistres idéologisés jusqu’au fond des yeux, drogués de leur propre bêtise. Ils ne comprennent rien à rien, ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur nez. » Décoché à 14h20 le 11 juin, ce tweet préfigurait les tirs de barrage que la journaliste Emmanuelle Ducros allait dégainer, sans discontinuer, contre les paysans et militants écologistes : insulter, oui ; argumenter, non ; informer, encore moins.

« On n’en peut plus de ces débiles », s’exclame-t-elle à 14h29 avant de céder à un élan humaniste : « C’est quoi le but de ces débiles exactement ? Se rendre parfaitement puants à un moment où nos concitoyens peinent à acheter fruits et légumes ? Quel crachat de nantis égoïstes au visage des plus modestes. » De la part d’une journaliste critiquée pour ses liens avec l’industrie agro-alimentaire [1] et travaillant depuis dix ans pour un quotidien faisant office de porte-voix de la bourgeoisie d’affaires (L’Opinion), la remarque ne manque pas de sel ! À 14h57, la croisade est loin d’être terminée : « Allô l’Etat de droit ? On laisse une poignée de miliciens se faire justice eux-mêmes ? Ça n’est pas possible ! Ça doit cesser ! » Après une petite pause, Emmanuelle Ducros se reconnecte au monde... de Twitter. Mais elle n’est toujours pas passée à autre chose : « La réalité de l’action des soulèvements de la Terre. C’est ça. Détruire de la culture expérimentale sans pesticides. Ah, ils sont glorieux, les chevaliers blancs de l’écologie de choc. » Dégainant l’outrance plus vite que son ombre, il ne lui faut que deux minutes pour éructer de nouveau contre « le fascisme en birkenstocks », avant de poster un énième message rageur : « En tous cas, réussir à se faire détester autant en une seule journée, en ayant montré son visage sinistre, c’est un exploit pour les hérauts du bien et du bon. » Fini ? C’était sans compter son portrait de groupe des militants écologistes, livré à 20h53 : « On vous voit tels que vous êtes. Sectaires, ignorants, obscurantistes, violents et dictatoriaux ».

Toute à la mode du commentaire et de l’insulte instantanés que permet (et favorise) Twitter, la journaliste se dispense évidemment d’étayer quoi que ce soit : rien du contexte de cette action de désobéissance civile ne sera exposé, ni non plus aucune des (nombreuses) revendications portées par les collectifs organisateurs. Sur ce point, il faudra se reporter au travail d’information réalisé par les militants écologistes eux-mêmes [2] ou regarder du côté des médias indépendants, Reporterre par exemple : « artificialisation des sols », accaparement des terres et de l’eau, « pratiques agricoles toxiques pour tous les êtres vivants », extraction du sable utilisé pour une « une forme industrielle et intensive de "maraîchage" », exploitation des ouvriers agricoles... À ces enjeux de fond, Emmanuelle Ducros préfèrera donc l’éditorialisation acharnée et les insultes en continu, sous protection de la carte de presse.

Et l’on peut dire que la nuit n’a pas porté conseil. Au petit matin du 12 juin, on retrouve la militante anti-écologiste comme chaque matin en semaine dans la matinale d’Europe 1, pour un édito tout frais... ou plutôt recyclant ses tweets. « Les saccageurs de culture vont-ils enfin rendre des comptes ? » titre-t-elle sa chronique, cas d’école de désinformation. D’abord, parce qu’elle évoque (sans le documenter) le procès ayant visé les Faucheurs volontaires d’OGM le 7 juin dernier [3] : « L’important, c’est que pour la première fois, on a senti la peur de la condamnation chez les militants » écologistes, se réjouit la journaliste, décidément bien informée au moment de condamner « l’impunité la plus totale » dont jouiraient ces derniers... alors que la répression qui les cible bat son plein [4]. Ensuite, parce qu’elle réitère insultes et propos à charge contre les manifestants du « Convoi du sable » – « On a rarement fait plus bête, plus contre-productif ; on a rarement tiré une balle dans le pied de la cause qu’on prétend défendre avec autant d’imbécilité superbe ! » – sans rien documenter de leurs revendications, mais en appelant à davantage de répression les concernant :

En France, les actes de vandalisme en réunion sont punis de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende si la justice se décide à ne pas fermer les yeux comme elle l’a fait si longtemps avec nos Faucheurs volontaires. Espérons maintenant du courage de l’institution et aussi du personnel politique : il doit condamner ! Les soutiens seront comptables parce que ces raids des Soulèvements de la Terre vont finir par mal tourner. La seule chance est qu’ils aient jusqu’ici en face d’eux des victimes qui sont bien plus civilisées qu’eux...

Dimanche, sur Twitter, CQFD ironisait sur la série de « 11 tweets (oui 11 !) » d’Emmanuelle Ducros contre cette seule action, et résumait l’activité de la journaliste : « squatter les réseaux sociaux pour intoxiquer le débat public ». Ajoutons la contribution des médias qui l’emploient à cette intoxication générale. Sur Europe 1, Emmanuelle Ducros dispense ses chroniques (reproduites ensuite sur le site de L’Opinion) dans la rubrique « Voyage en Absurdie ». Ça ne s’invente pas !


Pauline Perrenot

 
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Notes

[1Voir par exemple « La journaliste Emmanuelle Ducros a-t-elle été rémunérée par des lobbys de l’industrie agro-alimentaire ? » (Libération, 27/06/2019), mais aussi « Ducros, Woessner, Sastre : figures d’un "pseudo-rationalisme" ? » (Arrêt sur images, 3/08/2020) ou « Les "gardiens de la raison" », Lobbys contre citoyens. Qui veut la peau de la Convention climat ?, L’Observatoire des multinationales, février 2021, p. 15.

[2Voir par exemple le tract co-réalisé par les deux collectifs, l’article paru sur le site des Soulèvements de la Terre, les explications de l’une des porte-parole, Léna Lazare, ainsi que leur « débunkage » intitulé « Pourquoi viser l’agro-industrie nantaise. Précisions sur les actions menées et réponse à Olivier Véran ».

[3Et pour lequel, rappelons-le au passage, le journaliste Grégoire Souchay, qui couvrait l’action écologiste pour Reporterre, a été inculpé... mais relaxé.

[4À ce sujet, voir par exemple le sujet-vidéo réalisé par Blast, « L’inquiétante escalade répressive et autoritaire de l’État contre les militants écologistes » (29/05). Mais également l’article de Reporterre (8/06) rapportant le « vaste coup de filet mené par la brigade de recherche et d’intervention (BRI) et les brigades antiterroristes » contre plusieurs militants, dont ils sont « ressortis libres et sans contrôle judiciaire », mais non savoir préalablement passé quatre jours en garde-à-vue et subi des interrogatoires très politiques...

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