Aujourd’hui, dans la plupart des médias, les rédactions, si l’on excepte le rôle dévolu aux comités d’entreprises et aux syndicats, ne disposent d’aucun droit juridiquement garanti qui leur permette de peser collectivement sur les choix économiques et éditoriaux de l’entreprise qui les emploie. C’est pourquoi, doter les rédactions d’un statut juridique est une revendication défendue de longue date par les syndicats de journalistes ; elle figurait parmi les revendications des États généraux pour le pluralisme réunis en septembre 2006.
Deux propositions de loi
Deux propositions de loi répondent ou prétendent répondre à cette exigence :
La première – « Proposition de loi relative à l’indépendance des rédactions » – a été présentée par plusieurs députés socialistes au nom de ce qui était alors le « Groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche ». Elle a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée Nationale le 22 janvier 2010 et renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation où elle fit l’objet d’un rapport présenté par Patrick Bloche. Apparemment classée sans suite lors de la précédente législature, elle n’a pas été réactivée depuis.
La seconde proposition de loi – « Proposition de loi relative à la reconnaissance juridique du Conseil de rédaction » – a été présentée par la sénatrice Nathalie Goulet, de l’UDI (après consultation du SNJ et des Indignés du Paf). Elle a été enregistrée à la Présidence du Sénat le 27 septembre 2014 et envoyée à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
S‘il ne nous appartient pas de commenter en détail ces propositions de loi (et encore moins de les amender mot à mot) pour formuler les nôtres, on peut faire à leur propos et surtout à propos des problèmes qu’elles soulèvent et qu’elles entendent résoudre les remarques suivantes, qui laissent pendantes des questions délicates qu’il convient de poser, avant de prétendre les résoudre.
Quelques questions délicates
– Est-il légitime de réserver aux seuls journalistes des choix qui pourraient dépendre de l’ensemble des salariés ? C’est le cas de l’article 1 de la proposition Goulet.
– Quels sont les droits et les rôles respectifs des conseils de rédaction, des comités d’entreprise et des syndicats de journalistes et, plus généralement, des salariés ? C’est ce que ne fait pas la proposition Goulet dans ses articles 2 à 4 qui donnent au Conseil de rédaction des attributions qui sont, peu ou prou, déjà celles des instances représentatives du personnel.
– Quelles sont l’étendue et les modalités d’exercice des pouvoirs des Conseils de rédaction ?
– De quel financement doivent disposer les Conseils de rédaction ? Leur attribuer 2% des aides publiques à la presse comme le fait la proposition Goulet ne semble pas compatible avec la vocation de ces aides.
Quelques propositions incomplètes
(1) La situation des rédactions et leur statut juridique diffèrent grandement selon le statut juridique des entreprises médiatiques. Mais toutes les entreprises médiatiques doivent être dotées d’une instance ouverte à tous les journalistes, quel que soit le statut de ces derniers, qu’ils soient en CDI, en CDD ou simplement pigistes. L’existence d’une telle instance ne devrait pas être un simple droit accordé aux journalistes, mais une obligation légale imposée aux opérateurs et aux responsables de la rédaction.
(2) Autrement dit et plus précisément, toutes les entreprises médiatiques doivent être dotées d’un Conseil de rédaction ouvert à tous les journalistes, quelles que soient la dénomination de cette instance et certaines de ses particularités. Les formes et les dénominations de cette instance peuvent en effet varier pour tenir compte de formes préexistantes de sociétés de journalistes ou sociétés de rédacteurs, ainsi que de la variété des fonctions qu’elles s’attribuent ou qui leur sont attribuées. En particulier, il faut tenir compte de l’existence de sociétés de rédacteurs qui participent à la propriété de l’entreprise, voire même qui en sont les principaux acteurs sans les sociétés coopératives.
(3) Quelles que soient leurs dénominations et leurs particularités, les Conseils de rédaction doivent disposer de droits et de moyens qui leur soient communs.
– Les Conseils de rédaction participent à l’élaboration de la charte déontologique et de la charte éditoriale de l’entreprise et veillent à leur respect. Ils s’assurent que la charte déontologique particulière à l’entreprise est conforme à la charte déontologique qui doit être annexée à la convention collective.
– Les Conseils de rédaction sont consultés et se prononcent sur les projets d’orientation éditoriale et d’organisation de la rédaction et peuvent les refuser.
– Les Conseils de rédaction sont consultés et se prononcent sur la nomination d’un responsable de la rédaction qu’il soit directeur de l’information, directeur de la rédaction ou rédacteur en chef, et peuvent la refuser.
(4) Les Conseils de rédaction sont consultés et se prononcent sur la situation économique de l’entreprise et sur toute transformation de la composition de ses actionnaires et peuvent refuser cette transformation. Ils le font conjointement avec les comités d’entreprises qui sont, eux aussi, habilités à donner leur avis sur l’orientation éditoriale et l’organisation de la rédaction.
(5) Quand des Conseils de rédaction sont constitués des médias qui appartiennent au secteur public ou à des groupes multimédias, ils peuvent délibérer ensemble et agir de concert, avec les mêmes prérogatives ;
(6) Quand des Conseils de rédaction, quelles que soient leurs dénominations et leurs particularités, détiennent une partie des parts du capital de l’entreprise, ils sont dotés d’une personnalité juridique spécifique. Il en va de même de même pour les coopératives de presse.
(7) Les Conseils de rédaction peuvent être saisis par les syndicats de journalistes de l’entreprise ou par tout journaliste individuellement.
(8) L’existence de Conseils de rédaction ainsi définis conditionne l’attribution de droits et de moyens particuliers aux entreprises concernées. En particulier, elle conditionne l’attribution des aides à la presse (pour la presse écrite, imprimée ou numérique) et des fréquences (pour les stations et chaînes de l’audiovisuel). Toute entrave à leur existence et à l’exercice de leur rôle peut se traduire par la suspension de l’attribution de ces aides et de ces fréquences.
Henri Maler