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Deux excès de culture d’Alain Finkielkraut

« La France et ses nouveaux enfants », tel était le titre, ce samedi 6 janvier 2007, de « Répliques », l’émission que produit et anime Alain Finkielkraut sur France Culture. Le producteur-animateur recevait ce jour-là Joël Roman, pour évoquer son essai Eux et nous [1] et Thierry Jonquet pour parler de son roman Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte [2] et pour servir de comparse à... Alain Finkielkraut : une occasion, pour ce dernier, de ressasser ses thèmes favoris, agrémentés de quelques innovations de haute culture. Deux d’entre elles méritent une mention spéciale.

On eut donc droit à la critique habituelle de la sociologie-qui-ne-sait-pas-de-quoi-elle-parle, aux jérémiades sur la culture-et-l’école-qui-foutent-le-camp, aux amalgames à répétition entre Dieudonné et Les Indigènes de la République, les jeunes des quartiers populaires et des criminels, le tout au nom du combat contre l’antisémitisme. Bref, un exercice d’expression libre dont Dominique Vidal a dit l’essentiel dans un article paru sur le site du Monde Diplomatique sous le titre « Alain Finkielkraut, bouffon du roi ».

Il reste, et c’est ce qui nous importe particulièrement ici, que cette « tribune libre permanente » n’a aucune contrepartie ni équivalent sur France Culture, et qu’elle se prévaut de la défense de la culture. Voici donc ce que l’on pu entendre, entre autres merveilles, venant d’un grand pédagogue qui s’apitoie sur le déclin de l’école et d’un grand philosophe qu’anime le souci de la vérité.

Un simple excès de langage ?

- Alain Finkielkraut : - Alors discriminations systémiques dites-vous, et il est vrai que l’on trouve des ghettos en France, donc qui dit ghetto dit ségrégations, zones d’éducation prioritaire, etc., etc., mais d’où vient cette ségrégation ? Alors on peut imputer la responsabilité au système, à la société, aux gens des classes moyennes qui ne veulent pas avoir quoi que ce soit à faire avec les populations immigrées mais ce n’est pas toujours le cas, et dans le rapport Aubin il est dit que souvent le départ des anciens habitants des cités a été accéléré par quelques violences bien ciblées où les menaces et les agressions ont par exemple eu raison des derniers responsables des anciennes associations qui militaient pour la mixité et l’intégration. Il y a aussi dans certaines cités, dans certains quartiers une espèce de nettoyage ethnique que d’ailleurs les rapports des renseignements généraux ont constaté...
- Joël Roman : - Non, non, non, non, ne dites pas n’importe quoi s’il vous plaît. Le mot de « nettoyage ethnique », et vous le savez mieux que moi, a été employé dans un contexte très précis...
- Alain Finkielkraut (parlant en même temps) : - On vire des gens, on vire des gens, on vire des gens...
- Joël Roman : ...pour qualifier des choses qui étaient des crimes et des crimes contre l’humanité.
- Alain Finkielkraut (interrompant) : - On vire des gens, on vire des gens pour rester entre soi.
- Joël Roman : - Non mais c’est pas sérieux, c’est pas sérieux d’employer ce terme-là...
- Alain Finkielkraut (interrompant de nouveau) : - Est-ce qu’on vire des gens pour rester entre soi ou non, ou est-ce qu’on va continuer à dire voilà tout ça c’est le système qui ne veut pas, qui ceci qui cela ?
- Joël Roman  : - Qu’il y ait des comportements scandaleux, moi je l’accepte, je le reconnais et je dis qu’il faut qu’ils soient punis, maintenant si on dit n’importe quoi à ce moment-là , effectivement on peut dire n’importe quoi, n’utilisons pas ce mot. Le nettoyage ethnique, c’est une entreprise concertée pour rendre des territoires et des territoires entiers ethniquement purs (tentative d’interruption d’Alain Finkielkraut ... confusion) on sait très bien que ça a été ce que nous avons dénoncé ensemble en ex-Yougoslavie je ne crois pas ça que ce soit ça qui se passe en France, vous n’avez pas à le dire.
- Alain Finkielkraut : - Je n’ai pas à le dire, mais je crois moi en France et je vais aggraver mon cas. Il y a un certain nombre de gens qui plaident pour le métissage et pour la mixité et qui, car ils ont la possibilité, mettent leurs enfants dans des collèges, des lycées, et le plus souvent maintenant dans des collèges et des lycées privés ethniquement purs. Ça existe, ça existe de tous les côtés.

Comme s’il suffisait d’imputer les effets de ségrégation à « tous les côtés », pour procéder au « nettoyage » d’un amalgame scandaleux...

On peut écouter ça :

Heureusement, ce jour-là, Joël Roman - dans le rôle de l’interlocuteur chargé de servir de point d’appui à l’imprécateur - refusa de céder sur l’essentiel.

Un simple excès d’ignorance ?

- Joël Roman : - Les tracasseries policières permanentes créent un climat de peur aussi chez ces jeunes. Qu’est-ce qui s’est passé au début des émeutes, vous le savez très bien, vous savez que des jeunes qui n’avaient rien fait et qui rentraient...
- Alain Finkielkraut : - Si , si.
- Joël Roman : - Ils n’avaient rien fait...
- Alain Finkielkraut : - Si. Ils étaient entrés dans un chantier pour voler.
- Joël Roman : - Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai.
- Alain Finkielkraut : - Ça a été prouvé par l’IGS.
- Joël Roman  : - Ce n’est pas vrai, ça n’a pas été prouvé par l’IGS.
- Alain Finkielkraut : - Si, ça été prouvé par l’IGS.
- Joël Roman : - Ce n’est pas vrai, ça a été démenti par tout le monde y compris par l’IGS.
- Alain Finkielkraut : - Non, non ! (continuant de nier pendant que Joël Roman reprend)
- Joël Roman : Alain Finkielkraut, vous le savez très bien, vous mentez.
- Alain Finkielkraut : - Ils étaient entrés dans un chantier
- Joël Roman : bah vous mentez
- Alain Finkielkraut : - Bah, je mens, alors moi je prétends qu’ils étaient entrés dans un chantier, que l’IGS l’a reconnu, et que l’IGS l’a redit une fois que l’IGS a senti que son rapport avait été détourné. Ils ont subi un contrôle, ils ont refusé le contrôle, ils se sont enfuis, ensuite il y a eu toutes sortes d’inconséquences et de légèretés policières, et le fait qu’ils soient entrés dans un chantier...
- Joël Roman : - Vous pouvez prendre connaissance de tous les éléments du dossier que vous voudrez et les auditeurs pourront aussi, tout le monde sait que c’est faux ...
- Alain Finkielkraut : - Bon d’accord.
- Joël Roman : - ...et que ces enfants n’avaient rien fait, ils rentraient du football...
- Alain Finkielkraut : ...Bien sûr...
- Joël Roman : ...et ils ont été contrôlés par une patrouille de police.
- Alain Finkielkraut : - Écoutez, écoutez, je suis un menteur, mais je trouve tout à fait incroyable, si vous voulez, de nous parler des tracasseries policières, toujours les tracasseries policières ; en revanche dans les halls d’immeubles ce sont les incivilités. Or ces incivilités ne sont-elles pas des tracasseries ? Le bruit n’est-il pas une tracasserie ? C’est toujours la même chose.
- Joël Roman : - Je n’ai pas dit que c’était des comportements admissibles, mais ce ne sont pas forcément des délits.
- Alain Finkielkraut : - Oui, mais ce sont des tracasseries beaucoup plus fréquentes, beaucoup plus violentes et incessantes que subissent les habitants de ces cités et dont effectivement tout un discours ne veut pas nous parler ou que tout un discours cherche à minimiser pour nous placer dans le face à face entre eux et nous. Eux qui sont nos enfants, nous avec nos flics qui ne savons pas les recevoir. Mais je voudrais revenir à l’affaire Fofana...

Comme s’il suffisait, pour effacer un mensonge (la pire des versions policières que même la police ne soutient pas), de franchir un pas supplémentaire dans la longue série des amalgames entre les prétendus symptômes d’une même « maladie » (si l’on en croit les docteurs Diafoirus du corps social).

On écoute ça :

C’était, sur France Culture, la « tribune libre permanente », qu’Alain Finkielkraut se dédie, même (et surtout) quand ses invités ne partagent pas ses imprécations.

*Pour Acrimed. William Faugeroux, au clavier de la transcription. Ingénieur du son : Ricar.

 Post-scriptum : Mensonge ? (14 janvier 2007) - « Selon le rapport complet de l’inspection générale des services (IGS), les adolescents ont bien été "poursuivis", contrairement à ce qu’affirmaient il y a un an le ministre de l’intérieur et le procureur de la République de Bobigny. Par ailleurs, la tentative de vol à l’origine du drame continue de poser problème : tentative "constituée", selon l’IGS, totalement fausse, selon les avocats des familles. » (« Première reconstitution à Clichy-sous-Bois de la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré », Le Monde.fr avec AFP, Article publié le 14 décembre 2006). En prétendant que la police ne soutenait pas la thèse de la tentative de vol, nous nous sommes trompés. Citant cette source, Alain Finkielkraut, à la fin de l’émission du 13 janvier 2006, dément avoir menti en se référant au rapport de l’I.G.S. Il faut lui en donner acte : la référence, aussi vague soit-elle, au rapport de l’I.G.S dans la brève version donnée par Le Monde, est exacte. Mais rien n’autorisait à présenter la thèse de l’I.G.S comme une vérité indiscutable (ne serait-ce que parce qu’elle est discutée), sur ce point comme sur les circonstances exactes de la « poursuite ».

 
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Notes

[1Coll. « Tapages », Hachette Littératures, Paris, 2006.

[2Seuil, Paris, 2006.

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