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« Dette Covid » : faites ce que vous voulez, mais remboursez !

par Pauline Perrenot, Philippe Merlant,

« Économistes égarés » pour François Lenglet (LCI, 8 fév.), « dépensiers ataviques » selon Agnès Verdier-Molinié [1] (Les Échos, 15 fév.), « bisounours de la dette perpétuelle » d’après Franz-Olivier Giesbert (Le Point, 4 mars) : voilà quelques-uns des sobriquets dont nos experts médiatiques affublent les partisans d’un non-remboursement de la dette publique contractée pendant la crise sanitaire.

Note : cet article est tiré du dernier numéro de notre revue Médiacritiques, à commander sur boutique en ligne, ou à retrouver en librairie.

Et notamment les 150 économistes qui, dans une tribune au Monde (5 fév.), ont demandé l’annulation des 2 500 milliards d’euros empruntés à la Banque centrale européenne, avant d’être contredits quatre jours plus tard dans l’édito... du Monde (9 fév.) : « C’est à se demander pourquoi personne n’y avait pensé avant. Mais, comme toutes les évidences, l’idée risque de se heurter à la réalité. Sa mise en œuvre pourrait créer plus de désordre qu’elle ne résoudrait de problèmes. »

Si le débat existe donc parmi les économistes, les grands médias en donnent un reflet déformé. En commençant par surexposer les chantres de l’orthodoxie. Le 7 février, la présidente de la BCE Christine Lagarde part en campagne : le matin en Une du JDD, le soir en « invitée exclusive » de BFM-TV. Entre-temps, l’AFP recycle son entretien à l’hebdomadaire : « L’annulation de la dette Covid est “inenvisageable” », placarde-t-on de RTL au Figaro en passant par Ouest-France.

Hébergée en continu par les médias, Agnès Verdier-Molinié est elle aussi sur le pied de guerre. « Annuler la dette Covid ? Cela semble si simple ! Sauf que c’est interdit par les traités européens », sermonne- t-elle dans L’Obs (28 janv.). C’est même une proposition « scandaleuse et mensongère », attaque-t-elle dans Les Échos (15 fév.) « Cet argent n’est ni gratuit ni magique : il faudra payer », tonne-t-elle encore dans FigaroVox (21 fév.). « Qui peut croire que, tous les ans, la BCE va racheter toutes les dettes de la France ? Cela n’a aucun sens ! », insiste-t- elle dans Ouest-France (12 fév.), avant de préconiser son régime habituel : « Passer la vitesse supérieure en matière de réformes structurelles : réforme des retraites, de l’assurance-chômage, des minima sociaux [...] et surtout, surtout, remettre le plus rapidement la France au travail. »



Les journalistes « éco » sont également au diapason. Sur LCI (15 fév.), le chef du service économique de TF1 François- Xavier Pietri s’emporte : « En 2021, la dette, ça va représenter 122 % du PIB [...]. J’ai fait le calcul, ça fait 39 000 euros pratiquement par Français, y compris les bébés ! » Autant dire que l’annulation est vite balayée : « Pas très sérieux. » Même jour, même chaîne, le duo Pujadas-Lenglet se donne la réplique : l’annulation de la dette, une question « incongrue » demande le premier ? Le second dirait même plus : « bébête » et « saugrenue ». Avant d’ironiser : « On appelle la patronne de la BCE et on lui dit : “Chère amie, vous pouvez vous asseoir sur 2 500 milliards d’euros” ? »

Tonalité identique sur France Inter (5 fév.) où Dominique Seux, raillant un « débat très français », sonne l’alarme : « [L’annulation] ira probablement de pair avec une crise politique tellement énorme que l’euro a peu de chances d’y survivre. » Sur BFM-TV (23 mars), Nicolas Doze s’étonne même d’un débat « lunaire » à l’Assemblée : « Le titre du débat m’a fasciné ! C’était “Dette publique : la payer ou l’annuler” ! [...] Aucun parlement au monde ne s’est posé la question dans ces termes-là. »

On le voit, une manière insidieuse d’enterrer le débat consiste simplement à ne jamais inviter aucun partisan de l’annulation. Ainsi d’un sujet au 20h de France 2 (« Que faire pour le remboursement de la dette Covid ? », 10 fév.), dans lequel le non-remboursement, partiel ou total, n’est même pas une option. Tout juste apprend-on, dans les dernières secondes, que « certains plaident même pour la suppression d’une partie de la dette Covid ». Mais on ne les entendra pas... À défaut, Alexandra Bensaïd signe le rappel à l’ordre en plateau : « Laisser filer la dette indéfiniment, ça nuit aux jeunes, ça contrarie nos voisins allemands, et ça nous fragilise, peut-être pas aujourd’hui, ni demain, mais après-demain. » Et c’est pourquoi les médias dominants prêchent sans trêve ni repos leur catéchisme économique, aujourd’hui comme hier, demain, et sans doute après-demain.


Pauline Perrenot et Philippe Merlant

 
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Notes

[1Présidente du think tank ultralibéral Ifrap. Lire, sur le site d’Acrimed, « Agnès Verdier-Molinié, ou la “pédagogie” à coups de marteau : “sus à l’hôpital public !” », 15 avr. 2020.

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