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Dérapage de Georges Frêche : des médias imprécis

par Jacques-Olivier Teyssier,

Plus de deux mois après les propos tenus par Georges Frêche à l’encontre d’un groupe de harkis (voir en annexe la transcription exacte), Acrimed reproduit un article du journal indépendant de Montpellier, L’Accroche, daté de mars 2006.

Les déclarations du président de l’agglo et de la région [du Languedoc Roussillon, note d’Acrimed] le 11 février ont fait couler beaucoup d’encre. Les condamnations du mot « sous-hommes » ont été unanimes et une information judiciaire a été ouverte pour « injure raciale ». Il ne restait donc plus à l’Accroche qu’à observer le traitement médiatique de l’affaire.

« Dans certains journaux, on parle des propos de Georges Frêche contre LES harkis et dans d’autres journaux, on parle des propos adressés à DES harkis. Ce qui n’a pas le même sens », affirme Jacques Monin (France Bleu, 3/3). On pourrait ajouter : ni les mêmes conséquences, notamment judiciaires. On va le voir, beaucoup de médias ne semblent pourtant pas avoir fait la différence. Le rédacteur en chef de France Bleu Hérault est d’ailleurs bien placé pour en parler puisque sur sa station, Florence Beaudet évoque « les propos de George Frêche sur les Harkis  » (22/2) ou « ses propos visant les harkis » (1/3) avant de dire après les titres : « avait traité des harkis » (1/3). France Info n’est pas en reste : « avait traité les harkis  » (28/2-23h, 1/3-9h30).

Le mobile du Monde

Côté presse écrite, ce n’est pas mieux. Les articles font parfois la différence mais dans leurs titres qui sont, faut-il le rappeler, souvent repris dans les revues de presse à la radio, c’est autre chose : pour Libération (13/2) ou Le Figaro (15/2), « Frêche insulte les Harkis ». Les agences de presse ne sont pas en reste puisque Reuters (13/2) et l’AFP (18/2) titrent aussi sur « les harkis ».

Il faut dire que les propos de Georges Frêche n’ont pas facilité le travail des journalistes. Lors de ses excuses, il déclare en effet (13/2) : « Mes propos ne s’adressaient aucunement à la communauté Harkie, mais à un homme » alors qu’il a clairement employé le pluriel le 11 février (« des sous-hommes »). Il n’assume donc pas s’être adressé à plusieurs personnes. En préparation de sa défense juridique ?

Midi Libre
et son propriétaire, Le Monde, sont à mettre à part puisqu’ils sont en conflit ouvert avec Georges Frêche. Et ce, depuis que celui-ci a décidé de couper publicités et annonces légales au quotidien régional suite à un article qui lui a déplu (voir l’Accroche n°5). Ce qui fait dire à Pierre Serre, le patron de La Gazette de Montpellier, qui ne cache pas ses sympathies frêchistes : « La direction de Midi Libre avait prévenu la frêchie. En substance : vous nous coupez la pub ? Eh bien ce sera la guerre, la guerre totale. Aussitôt dit, aussitôt fait. Après l’indignation, justifiée, des premiers jours, après la récup’ politique, voici donc l’heure des règlements... de comptes. » (3/3) Le groupe Le Monde aurait donc un mobile.

Ainsi, l’affaire Frêche se retrouve 11 fois à la Une de Midi Libre dont 7 fois en titre principal en 18 jours (14/2 au 3/3). Le quotidien régional titre même : « Frêche déchaîne les passions des lecteurs  » (2/3). Le journal peut donc se rassurer : ses lecteurs le lisent et réagissent. Cette info valait bien la Une. Le quotidien régional prend aussi sa part dans l’approximation sur « les » ou « des ». En introduction du dossier sur son site Internet, on peut lire : « traite les harkis de "sous-hommes" ». Il faut quand même noter que certains journalistes du quotidien régional auront la prudence d’employer « des harkis » (25, 26, 28/2, 1/3) même si « les harkis » sont aussi bien représentés (22/2 et 24/2). Philippe Palat, un des rédacteurs en chef, excusez du peu, de Midi Libre et correspondant du Monde, évoque dans le quotidien du soir (3/3) : « Ses commentaires sur les harkis, qualifiés de "sous-hommes" ». À noter aussi que Le Monde consacrera au moins 10 articles au sujet et un dessin de Plantu en Une.

Côté approximation, il y a aussi la citation qui n’a jamais été reprise en entier. Plus grave, elle a été parfois déformée. La palme en revient sans doute à Montpellier plus (groupe Les journaux du midi) qui cite (14/2) : « Les harkis ont vocation à être les cocus jusqu’à la fin des temps. Vous n’avez rien du tout. Vous êtes des sous-hommes. Vous n’avez aucun honneur. » À sa décharge, le quotidien gratuit explique ensuite que « Georges Frêche visait Abdelkader Chebaïki  », un des harkis présents. Mais qu’a retenu le lecteur ? La veille, une dépêche d’AP fournissait une citation quasiment identique. Montpellier plus aurait-il fait un copié/collé ?

« 
Un gars qui s’est débiné  »

Il y a enfin l’affaire Jack Lang qui était présent le 11 février aux côtés de Georges Frêche. « Interrogé par Libération à la fin de la cérémonie sur la violence avec laquelle Frêche avait insulté les harkis, Jack Lang a assuré qu’il n’avait « rien entendu », avant de s’éclipser », écrit Libé (13/2). Pierre Serre révélera dans La Gazette (17/2) que ça ne s’est pas passé exactement comme ça. Le journaliste de Libération, Pierre Daum, reconnaît aujourd’hui que Jack Lang après avoir dit « ah bon ? Je n’ai pas entendu », a ensuite « esquivé la question » qui était de réagir sur l’insulte de « sous-hommes ». Il aurait dévié le débat en disant : « Il n’a pas insulté les harkis en général mais certaines personnes  ». Il demeure que cette esquive n’apparaît pas dans le papier de Libé qui, pour Pierre Serre, donne « l’impression d’un gars qui s’est débiné et qui est parti en courant ». Problème, cette information va être reprise, entre autres, par Midi Libre (14/2 et 25/2) sans jamais faire état de celle de La Gazette ni avoir interrogé Jack Lang.

Jacques-Olivier Teyssier

PS : Pour la petite histoire : Pierre Daum s’était fait arracher son micro peu avant le début de la cérémonie du 11 février. Libération a donc déposé plainte. Selon le journaliste de Libé, qui collabore aussi parfois à La Gazette, Pierre Serre l’a assuré de son témoignage, immédiatement après l’incident. Le coupable présumé est l’époux d’une conseillère municipale PS.

Annexe : Verbatim de L’Accroche  : Voici ce qu’a dit Georges Frêche le 11 février lors de la cérémonie organisée à la mémoire de Jacques Roseau : « Vous, vous faites partie des harkis qui ont vocation à être cocus jusqu’à la fin des temps. Hein ? Ces gens-là vous ont laissé... mais taisez-vous une seconde et laissez-moi parler ! (Bon, vous la sortez s’il vous plaît) Allez, ça suffit ! Ça suffit ! J’ai à dire ce que j’ai à dire ! (Il s’avance...) Bon alors les harkis vous reculez. Bon taisez-vous, vous n’êtes pas harkis, vous êtes fils de harkis, vous n’avez rien à dire. Oui, oui mais moi aussi mes parents... (Une voix de femme : « [...] cocu vous-même ») Alors, vous êtes allés à Palavas avé les députés gaullistes, avé les gaullistes qui ont laissé les harkis se faire massacrer en Algérie. Faut-il vous rappeler que 90 000 harkis ont été égorgés comme des porcs parce que l’armée française les a laissés seuls là-bas ? Alors vous êtes vraiment d’une incurie incroyable (La même voix : « Cocu toi-même ! »). Vous ne connaissez pas l’histoire. Alors écoutez, moi je vous ai donné votre boulot de pompier, gardez-le et fermez votre gueule. Gardez-le et fermez votre gueule ! Hein ? Je vous ai trouvé un emploi et je suis bien remercié. (La voix : « On vous a aidé à passer aussi, ne nous oubliez pas ! »). Ah ! Vous m’avez aidé, oui, c’est ça. (La voix : « Bien sûr on vous a aidé ! ») Arrêtez-vous, arrêtez-vous. Allez avé les gaullistes. Allez avé les gaullistes vos frères à Palavas, vous y serez très bien. Ils ont massacré les vôtres en Algérie et encore vous allez leur lécher les bottes. Mais vous n’avez rien du tout, vous êtes des sous-hommes ! (La voix : « C’est vous le sous-homme !  ») Vous n’avez rien du tout, vous n’avez aucun honneur, rien du tout. (La voix : « Vous le sous-homme ! ») Il faut que quelqu’un vous le dise, vous êtes sans honneur, vous n’êtes même pas capable de défendre les vôtres. Voilà. Voilà. Alors, dégagez. »

 
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