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Daniel Schneidermann chez Serge July

par Jérôme Martineau,

En entamant sa collaboration à Libération, le nouveau pigiste rejoint un patron de presse dont la trajectoire ne lui est pas inconnue.

Annoncé le 13 octobre 2003, le repêchage de Daniel Schneidermann par Libération s’est manifesté vendredi 24 octobre par une première contribution du licencié du Monde. Voilà une embauche qui a dû avoir un goût de revanche pour Serge July, éreinté en 1989 par son futur pigiste dans un livre intitulé « Où sont les caméras ? Traité de la gloire médiatique » [1].

Retournements de veste

Le chapitre « Du retournement de veste » mettait en parallèle les itinéraires de Franz-Olivier Giesbert, passé du Nouvel Observateur au Figaro (aujourd’hui au Point), et du patron de Libération :

« Disons-le tout net, nos préférences vont à la méthode brutale. Certes, la technique July présente bien des attraits. La conversion, sur une période de cinq à dix ans, au profit, à la publicité, à la rigueur économique et à la force de frappe, d’un ancien militant révolutionnaire, est un spectacle qui tient fort bien la route sur une longue distance, tout comme les justifications embrouillées du héros sur le thème de la ’modernité’. Mais la durée même du spectacle en banalise l’effet de surprise. »

Ce petit chapitre conseillait ironiquement :

« Ne jamais manquer de souligner que vous n’avez pas changé d’un iota, et que rien au monde ne pourrait d’ailleurs vous faire renier vos fidélités passées. (…) Procédez franchement. C’est parce qu’il avait préparé le terrain quelques années auparavant en qualifiant son futur patron de ’pétainiste et fier de l’être’ que le même Giesbert peut s’exclamer : ’Ce que je sais, c’est que c’est un véritable démocrate’, avec de bonnes chances d’être entendu. D’ailleurs, ne jamais oublier de mentionner que vos nouveaux amis politiques ou employeurs sont ’de véritables démocrates’, ou mieux encore ’de grands professionnels formés à l’anglo-saxonne’. »

Un tableau comparatif des méthodes Barre, Giesbert, Jamet (journaliste passé du très droitier Quotidien de Paris à Mitterrand) et July du retournement de veste mentionnait, pour ce dernier :

- Gestion de l’avant : Prôner « la guerre civile », la « révolution prolétarienne », conseiller aux masses de « prendre les fusils ». 17/20

- Choix du moment : Étiré sur dix ans, avec un apogée dans la défense de la rigueur à la Delors. 12/20

- Effet de surprise : Trop dilué. 08/20

- Gestion de l’après : Parfaite. Sans scrupules. Nombreuses autojustifications, bonne occupation du terrain médiatique, éloges publics de Chirac et Barre. 18/20

En avril 1989, Daniel Schneidermann avait été invité à l’émission Apostrophes de Bernard Pivot ; il avait maintenu son analyse impertinente - « Non seulement vous avez retourné votre veste, mais vous l’avez retournée magistralement » - devant un Serge July visiblement agacé. Ce dernier avait refusé de répondre, feignant de n’y voir qu’une caricature.

Ce moment rare fut reproduit dans le film « Enfin pris ? » de Pierre Carles en 2002. Las, le même film montre ensuite un extrait d’une émission plus récente, où Daniel Schneidermann fait acte de contrition, déplorant d’avoir agressé autrefois « de manière stupide » le malheureux July. Une repentance, application de la méthode Giesbert, qui n’aura pas été vaine, puisque l’ex-chroniqueur du Monde annonçait à l’AFP que c’est après sa rencontre avec Serge July sur le plateau de l’émission Campus (de Guillaume Durand) le 2 octobre que le patron de Libération lui a proposé cette collaboration.

Messages antisémites

Daniel Schneidermann a choisi, pour son premier article, de commenter l’invitation par Thierry Ardisson des sœurs Alma et Lila Lévy, jeunes filles dont le voile a beaucoup fait parler ces derniers temps, et du théologien musulman Tariq Ramadan. L’occasion pour le nouveau pigiste iconoclaste de Libération de donner un coup de griffe aux altermondialistes, en affirmant que la récente et très contestée tribune de Tariq Ramadan, « une goutte d’antisémitisme dans le chaudron bouillonnant de l’altermondialisme », c’est « l’antisémite infiltré dans les irréprochables causes de l’ultragauche ».

Plus que le persiflage sur les « irréprochables causes », on entend surtout que altermondialisme = ultragauche. Après son service à Libération - dirigé par un ancien gauchiste -, le chroniqueur pourra sans difficulté prendre la succession d’Alain-Gérard Slama au Figaro.

Accessoirement, il estime que le théologien aurait, comme les jeunes filles, « soigneusement manié la provocation pour obtenir son ticket d’entrée chez Ardisson ».

Faut-il entendre par là que la provocation ne serait qu’une posture à des fins de visibilité médiatique ? Est-ce pour cela que sont laissés, sans grand danger de visibilité médiatique, des propos antisémites sur le site web d’Arrêt sur Images, l’émission dont Daniel Schneidermann est l’animateur ?

Les forums y sont maculés de longue date de contributions antisémites sans aucune ambiguïté, dont il faut supposer que c’est au nom de la liberté d’expression qu’ils n’ont pas été retirés : inoculateurs de « poisons mortels » [2] au corps chrétien, les juifs sont suspects d’être fauteurs des deux guerres mondiales [3]. Quant à la prétendue Shoah, c’est « la plus grande supercherie de tous les temps » [4], orchestrée par le « pouvoir occulte » de la « puissante juiverie » [5]. D’ailleurs, le Protocole des Sages de Sion [6] avait prédit le pouvoir juif dénoncé par le dirigeant de la Malaisie.

Mais les auteurs anonymes de ces propos paisiblement laissés en ligne ne sont, certes, guère susceptibles d’être rattachés à une quelconque « ultragauche », ni d’obtenir leur « ticket d’entrée chez Ardisson »…

L’antisémitisme est ignoble. La lutte contre l’antisémitisme est une nécessité absolue. Et, pour cette raison, l’instrumentalisation des accusations d’antisémitisme aux fins les plus sordides doit être dénoncée.

C’est pourquoi il faut rappeler, à la décharge de Daniel Schneidermann, que lors de la controverse autour de « La Face cachée du Monde », il s’est clairement opposé aux imputations d’antisémitisme contre Péan et Cohen par la direction du Monde, imputations d’ailleurs également utilisées par cette direction contre PLPL et Serge Halimi.

De même, parmi les arguments utilisés par le quotidien pour licencier le chroniqueur, a été citée la reproduction de conversations internes. Lorsque Daniel Schneidermann a proposé de réunir dans son émission en débat contradictoire les auteurs et les cibles de la Face cachée, Edwy Plenel a refusé en décrétant « La consigne, pour l’instant, c’est qu’on ne parle pas à l’extérieur, et surtout pas avec Péan, qui est antisémite ». Sur quoi s’appuyait cette accusation, a répondu le responsable d’Arrêt sur Images ? Pour toute réponse, Edwy Plenel lui répondit alors par le désormais fameux « Il faut savoir si tu es dedans ou dehors ».

Jérôme Martineau

 
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Notes

[1Où sont les caméras ? Traité de la gloire médiatique, éditions Belfond, collection « Documents », 1989

[2Le lien est désormais « mort » ou « introuvable » (Acrimed, 2009).

[3Le lien est désormais « mort » ou « introuvable » (Acrimed, 2009).

[4Le lien est désormais « mort » ou « introuvable » (Acrimed, 2009).

[5Le lien est désormais « mort » ou « introuvable » (Acrimed, 2009).

[6Le lien est désormais « mort » ou « introuvable » (Acrimed, 2009).

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