C’est bien connu : pour ce qui est de chanter les louanges du gouvernement, Christophe Barbier n’est jamais en reste. Et dans la période du confinement, il ne s’en est pas privé.
Dans son éditorial du 27 mars, il prenait la défense d’Édouard Philippe, Agnès Buzyn, et Olivier Véran, visés par six plaintes déposées devant la Cour de justice pour leur gestion de l’épidémie. D’un revers de main, il en balayait les fondements : « Honnêtement, à l’heure où nous parlons, il n’y a aucune raison de penser [qu’ils] puissent être soupçonnés d’homicide involontaire ou de mise en danger d’autrui puisque c’est l’objet de ces plaintes ». Et de citer Alain Finkielkraut, interviewé dans Le Figaro le même jour, pour qui le gouvernement serait devenu le « bouc-émissaire de nos peurs primaires […] traduit devant le tribunal de la bêtise surinformée ». Autant dire qu’en matière de « bêtise surinformée », Barbier est un expert…
Le lendemain, l’éditorialiste à l’écharpe rouge applaudissait la pédagogie d’Édouard Philippe. Et se réjouissait que le Premier ministre ait « fait le sort des polémiques rétrospectives […], c’était important de mettre un coup d’arrêt à ces polémiques-là ». Bref : circulez, il n’y a rien à voir. Mais mieux vaut le dire mille fois qu’une. Dimanche 29 mars, face à l’urgentiste Christophe Prudhomme qui dénonçait l’incurie du gouvernement, l’éditorialiste appelait à ne surtout pas « chercher des coupables » et à ne pas aller « devant la justice où là, on risque des psychodrames inutiles » [1]. D’autant que le verdict de Barbier a déjà blanchi le gouvernement… et mis hors de cause les politiques libérales appliquées depuis des années au secteur public :
On sait ce que c’est que le coût d’un hôpital avec des lits vides, au cas où. C’est un coût énorme. […] Des choix ont été faits par des gouvernements de droite et des gouvernements de gauche qui correspondaient à des choix de gestion publique au mieux-disant.
Un « mieux-disant » qui a conduit, pendant la crise, à une pénurie de matériel et de moyens aux conséquences parfois dramatiques. Un détail, sans doute, pour l’éditorialiste.
Mais Christophe Barbier est loin d’avoir été le seul à faire le service après-vente de la gestion de crise du gouvernement sur les plateaux de BFM-TV. Dès le 16 mars, Bruno Jeudy approuvait l’intervention d’Emmanuel Macron « positionné en père de famille, [...] en première ligne de cette guerre sanitaire ». Le 31 mars, il applaudissait à nouveau l’intervention « d’un président à l’offensive » ciblant « les leaders populistes, qu’ils soient d’extrême-droite ou de la gauche de l’échiquier, qui s’en prennent régulièrement à Macron et sa gestion de la crise ». Oubliant au passage, léger détail, que les principales critiques émanaient en réalité des personnels hospitaliers.
Ce jour-là sur le plateau de BFM-TV, on commentait l’intervention d’Emmanuel Macron dans une usine de masques à Angers :
Emmanuel Macron : Quand on mène une bataille, on doit être unis pour la gagner. Et je pense que toutes celles et ceux qui cherchent déjà à faire des procès alors que nous n’avons pas gagné la guerre sont irresponsables.
Inspiré, l’inoxydable Alain Duhamel reprenait mot pour mot… les éléments de langage présidentiels :
Alain Duhamel : Ce n’est pas quand on est dans la bataille, une bataille qui est difficile pour tout le monde et pour laquelle tellement de gens se donnent tellement de mal, ce n’est pas le moment de vouloir commencer des procès […] On n’a pas besoin de discorde en ce moment, on a besoin d’unité.
Une imitation – il faut le reconnaître – très réussie !
BFM-TV n’est pas un cas à part ; sur les plateaux des autres chaînes d’information, les éditocrates se sont également appliqués à accompagner, voire à devancer la communication officielle. Déjà le 9 mars, avant la mise en place du confinement, Philippe Val adressait sur LCI un satisfecit à l’action gouvernementale :
Moi, je pense que c’est plutôt bien fait. Le gouvernement a hérité d’un système de santé avec beaucoup de problèmes, ça vient de loin, mais ils font ce qu’ils peuvent avec, on a un sens des responsabilités, c’est pas mal !
Le 28 mars, sur un plateau de LCI, Thierry Amouroux, secrétaire général du syndicat des infirmiers, répondait vertement à Marie-Eve Malouines, ancienne présidente de LCP, en évoquant notamment la pénurie de masques de protection et l’impréparation du gouvernement :
- Marie-Eve Malouines : C’est la stratégie du gouvernement, qui préfère dire les choses par étapes, progressivement, y compris le confinement qui a été annoncé progressivement, plutôt que de le faire tout d’un coup. On pourra en reparler longtemps, et savoir s’il aurait fallu faire comme ça, c’est le choix qui a été fait, et on doit tous l’assumer en réalité.
- Thierry Amouroux : Non, non, non, ils ont fait leurs choix, ils l’assumeront devant la justice pénale parce qu’il y aura quantité de plaintes, de médecins et de soignants dès que l’épidémie sera passée […] ! Il faut bien comprendre que nous, on est tous dans la mouise, les gens qui ont les mains dans le cambouis, comme vous dites.
Un coup de gueule étayé, parmi tant d’autres, qui n’est semble-t-il pas parvenu aux oreilles de Jean-Michel Aphatie. Dans ses éditos quotidiens sur LCI, l’éditocrate interprète également la partition de la communication officielle. Le 26 mars, il revient sur l’intervention d’Emmanuel Macron à Mulhouse. Et conclut : « Tout le monde doit être derrière les pouvoirs publics aujourd’hui dans cette crise, et ce qu’a annoncé Emmanuel Macron est peut-être de nature à restaurer une confiance nécessaire pour gagner la bataille contre le virus ».
Deux jours plus tard, estimant sans doute ne pas avoir obtenu satisfaction, il s’en plaint sur le plateau de « C l’hebdo » : « [Je suis] étonné des critiques qu’on adresse au gouvernement ». Et en profite pour adresser un encouragement sur son compte Twitter, accompagné d’une illustration qui témoigne de toute la finesse de l’analyse :
Les personnels soignants portant ces critiques apprécieront, à sa juste valeur, « l’humanité » d’une telle saillie.
Et dans les autres médias ? L’éditorialiste macronolâtre du Parisien Nicolas Charbonneau s’élevait, le 29 mars, contre toute « désunion nationale » : « l’heure des procureurs n’est pas venue […] ne soyons pas le seul pays au monde à s’entredéchirer avant même d’avoir emporté la bataille contre la maladie ». Dans sa chronique quotidienne sur France Inter du 30 mars, Thomas Legrand se félicitait quant à lui du « langage de vérité » du Premier ministre et appelait à mettre la pédale douce sur les critiques dans la période actuelle : « Il sera toujours temps de se retourner sur le sujet après la crise, pour en tirer des leçons… Pour l’instant, c’est la course contre la montre, la bataille. »
Même son de cloche dans la matinale de RTL. Lorsque Jérôme Martin, président de l’Union française pour une médecine libre, regrette le manque de matériel (respirateurs, masques), Yves Calvi tempère des propos qu’il juge « accusatoires » : « en ce moment j’ai envie de vous dire, on a besoin d’union nationale, et on a besoin d’informer les Français aussi, c’est un équilibre qui est délicat ». Il ne faudrait pas y aller trop fort sur l’information…
En termes de propos « accusatoires », il faut dire qu’Yves Calvi n’est pas en reste. Le 12 mars, dans « L’info du vrai » sur Canal +, il se livrait à une attaque en règle… contre les revendications des personnels de santé : « Je vais choquer tout le monde en disant ça mais la pleurniche permanente hospitalière fait qu’on est en permanence au chevet de notre hôpital ». « Pleurniche permanente » : encore une fois, les hospitaliers aujourd’hui en première ligne et subissant manque de moyens et pénuries apprécieront… Surtout venant d’un animateur dont les revenus annuels bruts cumulés approchaient, en 2016, le million d’euros. Des propos qui n’empêcheront pas Yves Calvi, toute honte bue, de figurer dans un clip publié par RTL début avril pour remercier les personnels de santé :
Jean Quatremer balayait quant à lui d’un revers de main la responsabilité du gouvernement dans l’impréparation face à la crise :
Lorsqu’il évoque les « avis scientifiques contradictoires », l’éditorialiste a peut-être en tête celui exprimé fin février par un éminent épidémiologiste, un certain Quatremer Jean :
Sur France 5, dans « C à vous » (30 mars), on se payait carrément le porte-parole de l’association des médecins urgentistes de France, Christophe Prudhomme (au plus grand bonheur de Raphaël Enthoven). Alors qu’Anne-Élisabeth Lemoine invite Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé désormais chroniqueuse, plusieurs extraits sont diffusés : dans le premier, daté du 29 mars, on voit l’urgentiste dénoncer « l’incurie du gouvernement », et pointer le fait que les personnels de santé sont contraints de choisir les patients à mettre en réanimation. Dans le second, Édouard Philippe annonce « qu’il ne laissera personne dire qu’il y a eu du retard sur la prise de décision s’agissant du confinement ». Le troisième extrait est introduit par l’ancienne ministre de la santé elle-même, qui prend un ton matois. On y voit Christophe Prudhomme, le 6 mars sur le plateau de LCI, dénoncer la surréaction des politiques face à un virus jugé « peu mortel ».
Et Roselyne Bachelot de dérouler en brocardant « monsieur Prudhomme, le représentant de la CGT », et en faisant mine de s’indigner : « Ça me met en colère, l’instrumentalisation politicienne à ce point, c’est absolument incroyable ! Il n’avait qu’un droit, c’est de dire je me suis trompé. » Nul doute qu’à l’avenir, cette émission réalisera des montages similaires pour s’indigner, avec la même virulence, des changements de cap et mensonges à répétition dont nous ont gratifié les membres du gouvernement depuis trois mois. Mais il est permis d’en douter. Car à travers l’épinglage opportuniste de Christophe Prudhomme, le message est clair : les critiques de la réponse du gouvernement, y compris celle des personnels de santé, n’ont pas lieu d’être, et ne relèvent que de la pure instrumentalisation politicienne... et plus si affinités quand elles sont fomentées par la CGT. En bref et en mille : circulez, il n’y a rien à voir.
Les réactions des commentateurs vedettes sont exemplaires de la manière dont « l’union sacrée », appelée des vœux du gouvernement, se traduit dans les grands médias par une mise en veilleuse – voire une remise en cause – de toute critique. Elles témoignent tout particulièrement de l’incurie des éditocrates, et de leur rôle de chiens de garde de l’ordre social, particulièrement évident en période de crise.
Frédéric Lemaire