Comment un mouvement transnational peut-il émerger ?
Il y faut trois conditions. Une menace objective dont la force est telle qu’elle ne peut plus être niée. Que les conséquences de cette menace dépassent les frontières nationales. Que le groupe d’origine conscient de cette menace parvienne à communiquer bien au delà de ceux qui sont directement affectés par elle.
En ce qui concerne les medias et la communication, je soutiens que ces trois conditions sont réunies pour que naisse un mouvement transnational, capable d’identifier les menaces, de communiquer à un niveau régional, national et global, de proposer des alternatives.
Pour parvenir à organiser une campagne internationale sur les médias et la communication, il faut :
1. Créer une vue d’ensemble et définir précisément les enjeux et les motifs de cette campagne.
2. Présenter les problèmes d’une manière qui concerne un public beaucoup plus large que le groupe de militants de base.
3. Fédérer les problèmes qui sont déjà traités isolément soit par nous, soit par d’autres groupes à travers le monde, démontrer en quoi ils sont liés .
5. Concevoir et développer des projets d’alternatives.
6. Organiser des campagnes nationales et internationales pour lutter contre les causes de ce que l’on dénonce et mettre concrètement en œuvres des solutions alternatives.
Dans le cadre de cet article, je me concentrerai sur les deux premiers points.
Définition des enjeux
En matière de média et de communication, les problèmes abondent. On peut les regrouper dans des catégories cohérentes et définir en quoi chacune de ces catégorie peut avoir des conséquences graves à moyen et à court terme sur la vie des gens, et ce , à l’échelle internationale.
1. La privatisation et la concentration de la propriété des medias corrompt inexorablement la qualité de l’information destinée au public.
2. La marchandisation des médias et leur soumission aux annonceurs aboutissent à l’homogénéisation des contenus et à la diffusion d’une idéologie strictement consumériste.
3. La disparition des droits d’auteurs au profit d’un système de copyright imposé par l’OMC aboutit à une privatisation des savoirs.
4. Le creusement de la " fracture " digitale entre le monde développé et le monde pauvre.
5. L’érosion des droits civiques dans le domaine d’internet : cyber-surveillance, censure des contenus imposée par les multinationales.
Une campagne transnationale sera-t-elle plus efficace si l’on traite chacun de ces enjeux séparément ou si on les regroupe ?
Nous pensons qu’il vaut mieux les traiter tous ensemble, en faisant valoir leur cohérence.
1. Tous ces problèmes ont une origine commune : la dérégulation néo-libérale du capitalisme, la disparition du bien public au profit du mercantilisme.
2. La frontière entre média, télécommunications et internet est de plus en plus floue. Ces trois domaines sont le plus souvent regroupés au sein de corporations qui entretiennent des rapports d’influence et de complicité avec le pouvoir politique.
3. Les enjeux mentionnés plus haut sont déjà presque entièrement dépendant de l’OMC dont l’influence dépasse souvent celle des Nations-Unies.
Tous ces éléments affectent les mécanismes de la communication sociale dans leur ensemble.
La communication sociale peut être vue comme un cycle d’interactivité, où chacun des élément de la société est relié aux autres, dans un processus d’échange mutuel qui va augmenter le bénéfice social de tous.
Ce cycle comprend la création du savoir, la communication, l’accès à celle-ci, l’interaction, la compréhension mutuelle, la création de nouveaux savoir etc.
Il ne commence pas nécessairement à l’étape de la création du savoir mais fonctionne d’une manière circulaire, comme l’indique le schéma ci-dessous.
Chacun des moments de ce cycle est actuellement menacé par la logique néo-libérale.
- La création de savoir est soumise au copyright.
- La dissémination/distribution est soumise aux multinationales, à la censure, à la contamination publicitaire.
- L’accès/utilisation est limité par les inégalités en matière d’équipement.
- Le flux de savoir est interrompu, les fruits de la créativité n’atteignent plus la sphère publique et culturelle. Ils sont détournés au profit d’un secteur privé qu’ils contribuent à renforcer.
Conséquences : le cycle de la communication sociale est brisé.
L’apprentissage social et l’enrichissement collectif sont appauvris.
Ne se focaliser que sur l’un des maillons de la chaîne ne parviendrait pas à restaurer l’intégralité du cycle, et par conséquent, n’aurait que peu de résultats.
La campagne CRIS soutient que des résultats ne sont possibles qu’en traitant tous les maillons de la chaîne, groupés autour du concept de " droits de la communication ".
Toucher le public.
L’approche holistique de " CRIS campaign " présente des défis particuliers.
1. Le plus grand de ces défis est de rendre intelligible tous les éléments de la chaîne de la communication sociale à un public beaucoup plus large que celui qui est directement concerné par l’un ou l’autre de ses maillons.
De la même manière que les mouvements écologiques ont développé et popularisé le concept de " développement durable " pour regrouper une myriade de problèmes disparates, les mouvements concernant les medias et la communication doivent être capables de regrouper tous leurs enjeux sous une ombrelle conceptuelle cohérente et qui " parle " au plus grand nombre.
La difficulté de cette tâche réside dans les différences culturelles, les variabilités de contexte historique, politique et économique qui entourent les médias d’une nation à l’autre. Mais il est impératif de trouver un langage qui transcende ces différences.
2- Beaucoup de mouvements établissent un lien direct entre un problème et sa victime. Exemple : la campagne contre les mines anti-personnelles est intelligible pour tout le monde.
Mais personne n’est jamais mort d’une malnutrition médiatique.
Exemple : démontrer comment le régime du copyright étouffe la créativité n’est pas aussi facile que de faire comprendre qu’une mine tue.
L’un des moyens les plus efficaces de toucher le public est de faire appel à la notion de " droits de l’homme ".
Beaucoup d’articles de la " déclaration universelle des droits de l’homme " peuvent s’appliquer aux médias et à la communication : ils traitent de l’égalité d’accès au savoir, de la diversité culturelle etc...
C’est en référence aux droits de l’homme que la campagne CRIS a choisi de s’adresser à la société civile présente au Sommet Mondial sur la Société de l’Information en faisant référence aux " droits à la communication ".
Mais cette idée n’a pas la profondeur et la puissance sémantique nécessaires pour contenir la diversité des problèmes qu’elle a l’ambition de traiter. Pour le moment, aucune autre expression n’a le pouvoir de compresser en une courte formule la complexité des problèmes posés par les médias et la communication. Nous ne pouvons actuellement qu’identifier des groupes d’enjeux secondaires, les regrouper sous un terme qui reflète leur inter-dépendance, et ainsi, établir des ponts avec d’autres groupes d’enjeux. De ce travail, naîtra peut-être une expression aussi forte et fédératrice que " développement durable ".
Cette construction ne doit pas être abstraite et purement intellectuelle. Elle constitue un processus essentiel d’une campagne qui doit s’enraciner dans les réalités vécues par les peuples. Elle est une condition préalable pour fédérer des campagnes menées dans différents pays, pour construire une coalition transnationale capable de s’attaquer à des organismes tels que l’OMC.
Formuler des alternatives.
Une campagne transnationale doit proposer des alternatives, construire un modèle de communication sociale libératrice et structurée.
Elle doit établir des alliances avec des groupes qui militent sur des objectifs différents mais intrinsèquement liés. Exemple : attaquer l’OMC sur sa politique du copyright nécessite de s’allier avec les groupes de scientifiques qui luttent contre la brevetabilité du vivant, l’appropriation privée ou l’extermination des médecines traditionnelles.
Mais nous verrons cela une autre fois.
Qu’est-ce que " CRIS campaign " ?
C’est une coalition formée par des ONGs travaillant à un niveau transnational. Elle est déjà active dans des pays d’Amérique latine et d’Europe et s’apprête à lancer une campagne aux Etats-Unis. Elle a des membres actifs dans des pays d’Asie et d’Afrique.
Elle est actuellement en plein débat pour définir et cadrer la notion de " droits à la communication ", selon les priorités et les enjeux de différents pays.
En parallèle au Sommet Mondial sur la Société de l’Information et en collaboration avec d’autres ONGs, elle organise un forum mondial sur les " droits à la communication " qui proposera une série d’enjeux et de solutions accessibles à un large public, et reproductibles d’un pays à l’autre. (communicationrights.org - lein introuvable, juillet 2010).
En janvier 2004, elle a lancé un projet dans six pays, visant à construire un indes international sur " les droits à la communication ", à imaginer et à fournir des ressources au niveau local permettant de les mettre en œuvre.
CRIS cherche à collaborer avec d’autres associations poursuivant les même buts.