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« C médiatique » : critique des médias ou « moment de détente » ?

par Maxime Friot, Sophie Suel,

Fallait-il espérer quelque chose du « magazine consacré aux médias et à la fabrique de l’information » lancé par France 5 en cette rentrée ? Probablement pas… On a quand même regardé les quatre premières émissions, diffusées les 11/09, 18/09, 25/09 et 02/10.

« C médiatique » est en rodage, et n’a, semble-t-il, pas encore tranché une question pourtant importante : quelle est la ligne directrice de l’émission ? Expliquer le fonctionnement des médias ? Faire la promo des programmes médiatiques ? Commenter ce qui « fait l’actu » dans le petit monde des médias ? L’approche intégrera-t-elle une critique de l’univers médiatique, ou sera-t-elle plus classiquement superficielle et confraternelle, offrant simplement un espace médiatique aux élites de la profession pour justifier leurs choix et vanter leurs productions ?

Dès le générique de la première émission, qui s’ouvre sur une (embarrassante) mise en scène avec l’inoxydable Michel Drucker, qui, tel le Parrain, décide de la création d’un programme sur « la télé, les réseaux, les médias », on sent poindre la réponse : le divertissement l’emportera sur l’information ! La courte chronique inaugurale, « Les feux de l’écran », qui nous plonge dans le « monde merveilleux des médias : de l’amour, du pouvoir et des coups bas », le confirme – on se croirait presque chez « Quotidien », et ce n’est pas un compliment.

Les émissions seront à chaque fois entrecoupées de chroniques et de « pastilles », censées – on imagine – donner du rythme et du dynamisme. Cependant, alors que chaque émission dure 50 minutes, le découpage en séquences et un montage maladroit donnent un résultat assez laborieux, et les discussions en plateau sont en général assez superficielles. Le ton jovial et enthousiaste adopté par la présentatrice et les chroniqueurs achevant de créer une atmosphère de légèreté, d’entre-soi consensuel… même lorsque les invités ne sont pas d’accord. Si des sujets pertinents, touchant à des enjeux essentiels, sont parfois abordés, et que des paroles (relativement) critiques sont alors invitées à s’exprimer, la forme et le dispositif l’emportent toujours sur le fond, tandis que le manque d’ambition critique des journalistes rend les discussions lénifiantes.


Service après-vente


« Au sommaire [de cette première émission] : une onde de choc planétaire. Icône parmi les icônes, la reine Élisabeth II est morte jeudi après-midi à l’âge de 96 ans. Depuis, toutes les rédactions sont en ébullition. Alors, comment traiter une telle déflagration médiatique ? » Pour traiter la question, « C médiatique » fait le choix de laisser la parole à ceux qui l’ont déjà : Nicolas Charbonneau, directeur des rédactions du Parisien et Aujourd’hui en France, et Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFM-TV. Et la première question, adressée au directeur de BFM-TV, donne le ton : « Vous avez un tout petit peu de travail en ce moment, vous avez un peu dormi depuis jeudi ? » Ça commence bien.

Interrogé sur le travail médiatique concernant le décès de la souveraine, ce dernier s’exprimera largement sur la pression ressentie « quand d’un coup on a une responsabilité importante avec une antenne très regardée, qu’on essaye d’être à la hauteur de la confiance du spectateur ». Enthousiaste, la présentatrice évoque l’enchaînement des événements de cette « folle journée » : la « bombe [qui] tombe » et l’accélération du temps. Parlant de l’intervalle entre l’annonce de la dégradation de la santé de la reine et son décès, elle interroge : « On entend Stéphane Bern chez vous, seulement 11 minutes après le premier communiqué de Buckingham Palace ; vous n’avez pas peur d’aller trop vite dans ces moments-là ? ». Elle ajoute : « C’est la course au scoop, aux infos ? » La question permet à Marc-Olivier Fogiel de dérouler son service après-vente : « Ça nous arrive évidemment de vouloir courir derrière un scoop, heureusement c’est notre boulot, mais pas derrière l’annonce de la mort de la reine ». L’éthique est bien là, qu’on se rassure ! [1]


Discussion ou promotion ?


Pour traiter le deuxième sujet de cette première émission, consacré à Miss France, sont invitées en plateau Alexia Laroche-Joubert, productrice de télévision et présidente de la société Miss France, et Cindy Fabre, nouvelle directrice du concours. On ne repère toujours pas le concept de l’émission. « Fabrique de l’information » ou anecdotes et confidences sur le monde des stars de la télé ? Ainsi la présentatrice attaque fort, s’adressant à Cindy Fabre qui succède à Sylvie Tellier : « Qu’est-ce qui vous distingue ? Elle faisait pas le job ? » Plus loin : « Ah bon, c’est elle qui en avait marre, c’est elle qui a décidé de partir ? » On passe ensuite au sujet du présentateur-vedette Jean-Pierre Foucault : va-t-il quitter le concours lui aussi comme annoncé par le journal Voici ? Même pas un petit scoop pour lancer l’émission de France 5 ? Si le caractère « ringard » et discriminant du programme est évoqué, les éléments de langage convenus de Cindy Fabre et les esquives d’Alexia Laroche-Joubert (« par principe, Miss France a toujours déclenché des polémiques ») permettent une nouvelle fois aux invitées de faire leur autopromotion, sans qu’une véritable contradiction ne leur soit opposée.


De la critique des médias... mais pas trop


Les trois émissions suivantes brassent d’autres thèmes : changement climatique (voir plus bas) puis focus sur les influenceurs avec Tristan Waleckx et Louise Aubery (18/09) ; propriété des médias (voir plus bas) puis coupe du monde au Qatar avec une chargée de plaidoyer d’Amnesty International et l’ex-footballeur et désormais animateur sur RMC Jérôme Rothen (25/09) ; la quatrième émission (02/10), avant un débat sur les fake news (avec Étienne Klein et Théo Drieu), s’intéresse quant à elle, ô originalité !, à la communication politique d’Emmanuel Macron, en compagnie de deux journalistes politiques (LCI et Politico) et d’une « experte » (ex-conseillère de Jean Castex, coprésidente d’Havas Paris). En résumé : un pot-pourri désordonné et sans cohérence, qui ne hiérarchise ni ne met en perspective aucun des multiples sujets survolés.

Ceci étant, les deuxième et troisième émissions esquissent la possibilité d’une critique des contenus médiatiques et de l’économie des médias. « Esquissent » seulement, car le temps consacré à ces deux questions particulièrement complexes, polémiques, et maltraitées médiatiquement, est trop court pour qu’une discussion approfondie s’engage sur le plateau.

Le 18/09, c’est le traitement médiatique du dérèglement climatique qui est au programme, dans la foulée de la publication de la « Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique », publiée quelques jours plus tôt. Un choix bienvenu, d’autant que les deux invités (Cyril Dion et Thomas Wagner) tiennent un discours critique sur les pratiques journalistiques dominantes dans ce domaine. « Est-ce qu’on est nul en climat, nous les journalistes ? » demande Mélanie Taravant à Cyril Dion, qui lui répond : « Ouais. La plupart du temps oui […]. Quand on voit des interviews politiques par exemple […], il y a très peu de journalistes qui sont capables de relancer leurs invités. […] » Il faudra peu ou prou se contenter de ce bref échange. Et à entendre la réplique de la présentatrice, on n’est pas tout à fait sûr qu’elle ait tout à fait pris la mesure des défaillances et lacunes des grands médias en la matière : « Alors peut-être pour changer les choses, vous allez proposer un prime, bientôt, sur France 2, autour justement du changement climatique. Ce sera avec Léa Salamé, avec Hugo Clément […] ».

Le 25/09, c’est la question de la propriété des médias qui est abordée – cette fois sous le forme d’un débat contradictoire : sont en plateau le journaliste de Télérama Richard Sénéjoux, l’avocat Benoît Huet [2] et l’inévitable Denis Olivennes, invité permanent des plateaux pour expliquer que l’indépendance des médias est tout à fait compatible avec leur concentration et leur financiarisation – lesquelles ont fait sa fortune, rappelons-le en passant [3]... L’occasion d’échanger brièvement quelques arguments, sous l’œil vigilant de la présentatrice : quelques minutes après avoir salué l’apport de capital par Daniel Kretinsky comme « une bonne nouvelle » pour Libération, Mélanie Taravant demande à Benoît Huet :

Mélanie Taravant : Est-ce que c’est si grave que ça que [la] fusion [TF1/M6] ne se fasse pas ?

Benoît Huet : Je pense même que c’est une excellente nouvelle !

M. T. : Ah bon !?

B. H. : Je pense que c’est une excellente nouvelle pour la démocratie, c’est une excellente nouvelle pour l’ensemble des Français…

M. T. : Tout le monde ne pense pas comme vous !

L’art de cadrer un débat.


***


« C médiatique » n’est pas une émission de critique des médias (on s’y attendait), ni d’éducation aux médias et à l’information (pourtant nécessaire), mais simplement une émission de télévision comme tant d’autres : on y papote de choses et d’autres, en toute superficialité, dans la joie et la bonne humeur, des chroniques divertissantes viennent égayer la discussion, une pincée de fact-checking sans conséquence et un peu (beaucoup) de promo complètent l’ensemble. « On peut tout à fait faire des émissions apaisées sur le traitement de l’information, même en débattant. Les rires et les sourires n’empêchent pas l’analyse, d’autant que c’est ce que les gens ont envie de voir un dimanche midi : un moment de détente » expliquait d’ailleurs Mélanie Taravant début septembre. Tout est dit.


Maxime Friot et Sophie Suel

 
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Notes

[1Et pour s’en rendre compte, lire « BFMTV plus royaliste que le roi Charles III », Télérama, 16/09, ou encore « BFMTV et la reine : veillée funèbre pour l’info », Arrêt sur images, 18/09.

[2Co-auteur, avec Julia Cagé, de L’Information est un bien public.

[3Directeur du Nouvel Observateur, puis PDG d’Europe 1, puis président de Lagardère Active, puis président du groupe CMI, puis directeur de Libération. Voir sa fiche Wikipédia.

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