Comme nous le rapportions dans la dernière mise à jour de notre article « La liberté d’informer selon LREM : chronique d’un pouvoir autoritaire », le contrôle judiciaire initialement imposé à Gaspard Glanz a été levé par le tribunal correctionnel de Paris le 29 avril. Pour mémoire, le journaliste est poursuivi pour « outrage à personne dépositaire de l’ordre public » lors de l’acte 23 du mouvement des gilets jaunes, le 20 avril.
Ces poursuites et ce contrôle judiciaire font suite aux événements ainsi décrits par le site Arrêt sur images : « Glanz demande à voir le commissaire, à plusieurs reprises. Il explique qu’on lui a "tiré dessus avec une grenade". Il interpelle un membre des forces de l’ordre qui le repousse brusquement d’un bras, suite à quoi Glanz fait un doigt d’honneur. Le journaliste est interpellé sous des cris de protestation : "C’est la presse !" ».
La mise en examen avec contrôle judiciaire jusqu’au procès n’étant pas (encore) la norme pénale pour un simple doigt d’honneur, la volonté d’intimider les journalistes semble difficilement contestable [1]. Le contrôle judiciaire stipulait que Gaspard Glanz était interdit de paraître à Paris le 1er mai et les samedis jusqu’à son procès fixé au 18 octobre, c’est-à-dire interdit de faire son travail de documentation du mouvement social en cours.
Or donc, cette tentative d’empêcher un journaliste de travailler a été retoquée le 29 avril par le tribunal correctionnel, qui a jugé l’ordonnance instituant ce contrôle judiciaire insuffisamment motivée. Et c’est cette audience que le journal Le Monde a choisi de raconter dans un article mis en ligne le jour même et publié dans l’édition papier datée du 2 mai, sous la plume de Pascale Robert-Diard, spécialiste des affaires de justice.
Les quatre premiers paragraphes de cet article détaillent les enjeux de l’audience et les arguments avancés par le procureur et par les avocats de Gaspard Glanz. Mais le dernier paragraphe établit un parallèle douteux entre le cas du journaliste et celui d’un « autre justiciable », poursuivi pour violences sur sa compagne. Un parallèle qui semble n’exister que par coïncidence : les deux affaires sont jugées lors de la même audience. Mais pour bien comprendre tout l’intérêt de ce rapprochement, mieux vaut prendre connaissance de ce dernier paragraphe dans son intégralité :
Ce souci du respect de la légalité manifesté par les juges a fait un heureux. Parmi les autres justiciables qui demandaient à cette audience la levée de leur contrôle judiciaire en attente de leur procès, figurait un homme poursuivi pour violences sur sa compagne, enceinte. Il lui était interdit de paraître au domicile conjugal. Circonstance aggravante : il avait déjà été condamné pour le même motif six ans plus tôt, à l’encontre d’une autre femme. Son avocate a soulevé elle aussi l’irrégularité du défaut de motivation de l’ordonnance du juge. Le droit, rien que le droit s’appliquant (parfois) pour tous, le tribunal n’a pu que prononcer la levée intégrale du contrôle judiciaire du compagnon violent.
Quel est donc l’intérêt de ce passage ? S’agit-il de dire, sans le dire, mais en le disant, que « le respect de la légalité manifesté par les juges » a pour conséquence de laisser des individus dangereux (et récidivistes) libres de menacer des victimes fragiles ? Le lecteur est prié de faire lui-même le rapport avec Gaspard Glanz… bien aidé par la maquette du quotidien, puisque l’article de Pascale Robert-Diard est inséré dans une pleine page anxiogène consacrée au 1er mai et aux black-blocs. Le titre ? « Un 1er Mai sous haute tension sociale pour le gouvernement ». Sous-titre : « L’exécutif craint que "gilets jaunes" et black blocs affluent aux défilés syndicaux ».
Utiliser les défaillances avérées de la justice dans les affaires de violences sexistes et sexuelles [2] pour insinuer que la levée du contrôle judiciaire imposé à un journaliste pour l’empêcher de travailler est liée à l’exploitation habile, par ses avocats, d’une faille juridique : il fallait y penser. Mais le faire avec tant de délicatesse et de subtilité, c’est à cela qu’on reconnaît la qualité des grands journalistes, et la valeur des grands journaux.
Patrick Michel
Post-Scriptum : Le choix éditorial du Monde est d’autant plus surprenant que la société des rédacteurs du quotidien a signé la déclaration suivante : « Affaire Gaspard Glanz : soutien de plusieurs sociétés de journalistes et rédacteurs ».