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Actualité des médias n°21 (novembre 2018)

par Jérémie Fabre,

Avec cet article, nous poursuivons notre série d’information mensuelle sur l’actualité des médias [1]

I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres

- Recrudescence de la violence anti-journalistes – L’actualité sociale mouvementée des mois de novembre et décembre a donné lieu à plusieurs cas de violence contre les journalistes. Après avoir couvert de façon déplorable tous les mouvements sociaux des vingt dernières années [2], les chefferies des grands médias (et en particulier des chaînes d’information en continu) ont mesuré la coupure qui les sépare d’un nombre croissant de concitoyens. Mais ce sont bien sûr les reporters de terrain qui ont trinqué, et subi des violences de la part de manifestants, comme à Toulouse fin novembre. Tout aussi inédites quoique nettement moins médiatisées, les violences policières contre les journalistes ne sont pas en reste, comme en témoigne le cas de Laurent Bortolussi, raconté par France Info. Une situation qui a poussé les syndicats de journalistes à réagir dans un communiqué unitaire que nous avons relayé.

- Le Monde pris à s’extasier pour l’école où siège son directeur – Dans un article paru début novembre, Le Monde présente l’Institut d’études politique (IEP) de Lille, communément appelé Sciences-Po Lille, comme « une aventure universitaire, intellectuelle et politique unique ». S’ensuit un article particulièrement élogieux pour l’école. Problème, relevé par Arrêt sur images : à aucun moment Le Monde ne précise que le président du conseil d’administration de Sciences-Po Lille, Louis Dreyfus, est aussi le directeur de la publication et président du directoire du groupe… Le Monde ! « On a beau chercher... Dans son long article, le journal nous détaille par le menu "les grands noms de la région" qui par le passé ont fait leur entrée au conseil d’administration de Sciences-Po. Mais pas un mot sur Louis Dreyfus, qui préside pourtant le CA de l’école depuis huit ans. Excès de modestie ? Simple oubli ? Visiblement non. "La présence de Louis Dreyfus au CA de Sciences-Po Lille, on ne l’ignore pas. Mais ce n’était pas le sujet de l’article. Ça ne nous a simplement pas semblé être un élément essentiel", nous répond le journaliste du Monde Pascal Galinier, en charge des pages Campus du quotidien, qui ajoute : "Si vous me demandez si Louis Dreyfus nous a demandé de faire un article sur Sciences-Po Lille, la réponse est non." Nous voilà rassurés. » Et nous avec.

- Le nouveau directeur de L’Express recalé par ses journalistes – L’ancien directeur du site web du Monde Philippe Jannet a été nommé directeur de l’hebdomadaire L’Express mi-novembre, en remplacement de Guillaume Dubois. D’après Le Monde, ce dernier avait été brutalement débarqué pour cause de baisse importante des ventes du journal. « La société des journalistes de L’Express avait alors dénoncé un "débarquement décidé dans la précipitation et l’impréparation" et un "manque de vision et de visibilité" depuis que le titre est passé dans le giron d’Altice, détenu par le milliardaire Patrick Drahi. » Une exaspération qui a pris une forme très concrète fin novembre : lors d’un vote des journalistes du titre, la nomination de Philippe Jannet a été refusée par 73 voix contre 43, avec une participation de 96 %. D’après Libération, « les journalistes s’interrogeaient notamment, au vu des positions pro-Macron affichées sur son compte Twitter personnel, sur son indépendance vis-à-vis du pouvoir. Il est à relever que ce vote négatif ne bloque pas forcément sa nomination comme directeur général délégué de L’Express. L’intéressé devait occuper les deux fonctions. D’après "l’accord d’indépendance" signé en 2015 entre Altice et la société des journalistes, au moment du rachat du magazine, l’actionnaire est maintenant tenu de proposer un nouveau candidat pour la direction de la rédaction. Au bout de trois refus, il peut imposer la personne de son choix. »

- Nouveau cas de censure intéressée au Figaro La direction du quotidien du Groupe Dassault a décidé de supprimer deux articles évoquant la sortie de la bande dessinée Cyberfatale. La raison ? D’après Le Canard enchaîné du 14 novembre, cette BD « met en scène le piratage d’un [avion de chasse] Rafale qui, devenu incontrôlable en plein vol, atterrit au milieu d’un troupeau de chèvres en Turquie. » Cette fiction ne présentant pas le Rafale de Dassault Aviation sous son meilleur jour, c’est sans état d’âme qu’elle a été censurée. D’après le directeur de la rédaction Alexis Brézet, « c’est pas la peine d’avoir des ennuis pour une BD... » Un énième exemple de l’indépendance éditoriale sans faille du Figaro vis-à-vis de son propriétaire [3].

- BFM-TV diffuse des publireportages de l’État chinois – Chaque soir, la chaîne d’information en continu BFM-TV diffuse en fin de soirée un magazine économique spécialisé : Chine Eco. Problème, relevé par Le Canard enchaîné du 28 novembre : les sujets de ce magazine sont produits et livrés clés en main par le service français de la chaîne d’État Radio Chine Internationale. « Le deal avait été proposé à CNews et à France Info, qui l’avaient refusé. » La chaîne d’info du milliardaire Patrick Drahi n’a pas été aussi regardante…

- Du beau monde aux 70 ans du JDD L’anniversaire du Journal du Dimanche, propriété de l’industriel Arnaud Lagardère, a été l’occasion d’un rassemblement décomplexé de tout ce que ce journal compte de soutiens influents : l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog, le ministre du Budget Gérald Darmanin, le président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand, l’ancien ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg, le président de l’Association des maires François Baroin, la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse, et même… Alexandre Benalla ! Comme le rapporte l’hebdomadaire Marianne, « les patrons du journal ont pu trinquer joyeusement avec un joli monde issu des cercles du pouvoir… » Un grand moment de copinage des élites politiques, économiques et médiatiques, qui a entre autres mérites, celui d’expliquer pourquoi de grandes fortunes investissent (souvent à perte) dans des journaux non rentables… mais au carnet d’adresse bien rempli.


II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires

- Lancement de Disclose, un nouveau média d’investigation – Après une campagne de financement participatif réussie, le lancement du nouveau média d’investigation Disclose n’est qu’une question de temps. Média à but non lucratif financé par les dons, le modèle économique de Disclose est une première en France. L’objectif affiché est de prendre le temps : « Pendant plusieurs mois, des équipes de journalistes expérimentés vont enquêter en profondeur sur des sujets à forts enjeux sociaux. Des pesticides, au trafic d’animaux, en passant par l’explosion des marchés de la surveillance, l’alimentation industrielle, le lobby des médicaments, l’opacité des institutions… » Les enquêtes de Disclose seront publiées sur son site, accessibles gratuitement et relayées par des médias partenaires tels que Marsactu, Konbini, Mediapart, Radio France et Rue89.

- Plans d’économies à France Télévisions... et TF1 – La pression financière n’en finit plus d’écraser France Télévisions. D’après Le Canard enchaîné du 7 novembre, le ministère de l’Économie a demandé à la directrice de France Télévisions Delphine Ernotte « d’économiser 160 millions d’euros d’ici à 2022, dont 25 millions dès 2019. » Selon Libération, cette casse « prendra la forme d’une rupture conventionnelle collective, une disposition rendue possible par la réforme du code du travail de l’année dernière, déjà très populaire dans le secteur des médias. » Le journal précise que les syndicats redoutent « un millier de suppressions de postes net » avant d’évoquer également « la volonté affichée de Delphine Ernotte de renégocier l’accord collectif signé en 2013 […] qui régit les conditions de travail » (« suppression de jours de RTT », « modification du périmètre des métiers » sont autant de reculs possibles, mentionnés par le secrétaire général du SNJ à France Télévisions, Raoul Advocat). Plus surprenant, d’après Le Canard enchaîné, c’est la branche information de la chaîne TF1 qui s’apprête elle aussi à se serrer la ceinture : « Cadences de choc, réduction de personnel, pressurisation des journalistes reporteurs d’images (JRI) transformés en confrère-à-tout-faire… » Une détérioration des conditions de travail justifiée par les pertes importantes (90 000 euros par jour) de LCI, la chaîne d’information en continu du groupe TF1.

- Touche pas à mon poste : les annonceurs qui avaient annoncé un boycott sont revenus – D’après Libération, la majorité des annonceurs qui avaient annoncé boycotter l’émission « Touche pas à mon poste » sont aujourd’hui revenus. Ce boycott publicitaire faisait suite à de nombreuses dérives homophobes dans les émissions de Cyril Hanouna sur la chaîne C8 au printemps 2017 [4]. D’après le comptage de Libération : sur une « trentaine d’émissions (environ un dixième des émissions de TPMP depuis la rentrée 2017), 32 annonceurs, sur les 59 qui avaient annoncé en mai 2017 boycotter l’émission, sont de retour dans TPMP. Ainsi, Bayer, Bosch, Bouygues Immobilier, Carrefour, Cofidis, Decathlon, EasyJet, Engie, Flunch, Gillette, Guerlain, IDVroom (SNCF), Liligo, L’Oréal, Mennen, Mini, Mondelez, Nestlé, Orange, Pampers, Petit Navire, PMU, Pringles, PSA, Orangina, RedBull, Samsung, Sanofi, SFR, Skoda et Trivago, qui avaient tous annoncé publiquement suspendre leurs investissements à cause du sketch jugé homophobe, diffusent de nouveau des campagnes. » Seuls Groupama, Renault et la MAAF auraient définitivement renoncé à la publicité pendant les émissions de Cyril Hanouna.

- Les agences de presse réduisent leurs effectifs – L’ambiance n’est pas à la fête non plus à l’Agence France presse (AFP). Comme nous l’expliquions dans un article récent, la privatisation rampante et la « compression des coûts » voulues par le nouveau directeur de l’agence Fabrice Fries se poursuivent. D’après Le Monde, l’énarque « entend économiser 14 millions d’euros sur la masse salariale d’ici à 2023, à travers la suppression nette de 125 postes, soit 5 % des effectifs (...) et n’exclut pas de vendre le siège historique de l’agence, situé place de la Bourse, à Paris. » Ce climat morose semble concerner la majorité des grandes agences de presse mondiales. D’après le même article, l’agence canado-britannique Reuters aurait annoncé une profonde restructuration de son réseau européen, impliquant des dizaines de suppressions de postes. Quant à l’agence de presse allemande DPA, sa direction aurait annoncé « le licenciement de 40 de ses 50 journalistes hispanophones ». Pour Le Monde, ces déboires ne seraient que la conséquence de la chute globale des revenus de la presse, première cliente des agences…

- Le Parlement impose un texte controversé sur les fake news – Voulues par le président de la République Emmanuel Macron, les deux propositions de loi contre la manipulation de l’information en période électorale ont été adoptées par l’Assemblée nationale fin novembre. Très critiqués par l’opposition, qui les juge « inefficaces », voire « potentiellement dangereux », ces textes visent à accélérer les procédures judiciaires pour suspendre la diffusion de fausses informations pendant une élection. Les deux textes avaient été sèchement retoqués par le Sénat, mais l’Assemblée nationale, dominée par le mouvement du président Macron, a eu le dernier mot. Le Monde détaille les évolutions de la loi : ces textes « imposent aux plates-formes numériques (Facebook, Twitter, etc.) des obligations de transparence lorsqu’elles diffusent des contenus contre rémunération. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pourra en outre suspendre la diffusion de services de télévision contrôlés "par un État étranger ou sous l’influence" de cet État, s’ils diffusent "de façon délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin". »


Jérémie Fabre, grâce au travail d’observation collective des adhérent.es d’Acrimed

 
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Notes

[2Et continué sur cette lancée avec le cas des gilets jaunes, comme on peut le lire sur notre rubrique consacrée au traitement médiatique de ce mouvement.

[3Pour d’autres exemples, voir nos articles sur Le Figaro et, plus spécifiquement, la rubrique dédiée à son feu propriétaire.

[4Voir à ce sujet la tribune de l’Association des journalistes LGBT publiée sur notre site.

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