Quand le lecteur, en transe, atteint la page 3, un nouveau titre prometteur l’attend : « Baignade pas si paisible pour DSK ». « Vacances chahutées » ou « baignade pas si paisible » ? Toute la nuance et l’atténuation sont dans le « si », comme le confirme la suite.
Mais patience ! L’introduction, lénifiante à souhait, commence par une question de haute volée et un tantinet dramatique : « Est-il désormais possible d’avoir une vie “normale” – pour employer un terme à la mode – lorsqu’on s’appelle Dominique Strauss-Kahn ? Poser la question, c’est sans doute y répondre »…
… Ce qui n’empêche pas d’y répondre quand même par cette considération haletante : Dominique Strauss-Kahn « trimballe autour de lui une traînée de soufre qui semble coller même à ses tongs estivales (…) La “saga” de l’ancien présidentiable est toujours orientée dans le même sens. Et même si la justice ne l’a condamné à rien, la vox populi a anticipé le jugement depuis longtemps ». Faut-il approuver ou déplorer ce que la très latine « vox populi », convoquée à tout hasard, « anticipe », avec le soutien d’une certaine « vox médiatique » ? On ne sait. Convoquée par hasard, vraiment ? Convoquée comme caution médiatique, plus certainement.
En tout cas, en Corse, « non peopolisation » et « discrétion légendaire » sont garanties. C’est écrit en toutes lettres. Et c’est pour ça que le maire, corse, de Sarcelles se serait laissé prendre. À quoi ? Patience : « C’est sans doute en comptant sur la non peopolisation de la vie insulaire et, peut-être en surestimant la légendaire discrétion de ses compatriotes (sic) que le maire de Sarcelles, François Puponni, avait offert à son ami de toujours [DSK] de venir passer quelques jours de détente à Sainte-Lucie de Tallano. » Oui, mais… « Mais le village, au mois d’août, est tout sauf désert. Personne ne pouvait ignorer que DSK y résidait. »
Le moment est venu pour l’auteure de l’article, après quelques paragraphes de remplissage, de confirmer la « non peopolisation » et la « discrétion légendaire » … d’une certaine presse insulaire et de nous faire pénétrer au cœur de l’intrigue.
Au cœur de l’intrigue ? Pas encore. Un nouvelle phrase est destinée à ménager le suspense : « Et de fait, le séjour s’est plutôt déroulé de manière calme ». Et alors ? « Jusqu’au moment où le groupe d’amis parmi lesquels se trouve DSK décide d’aller à la rivière. Et alors ? « Plusieurs personnes se trouvent déjà sur place. Et le groupe traverse un terrain privé pour accéder aux « piscines » d’eau limpide. C’est là que Xavier de Giacomoni, grand reporter à LCI, en vacances dans son village d’origine, s’aperçoit que l’ancien président du FMI vient de passer sur les terrains qui appartenaient autrefois à son grand-père. »
Est-ce donc une sacrilège violation de propriété privée qui explique le titre de la « une » ? Que nenni. Seulement l’émotion d’un « grand reporter » de LCI dont le témoignage a été pieusement recueilli et qui déclare : « Cela m’a retourné. J’ai dit aux personnes qui accompagnaient Dominique Strauss-Kahn que j’étais révolté qu’un violeur récidiviste vienne sur cette propriété (…) Je reste sur mes positions, je n’ai rien contre Dominique Strauss-Kahn a priori, mais c’était un coup de colère. Je me bats pour des valeurs qui n’ont pas de frontière et les abus contre les plus faibles me révoltent ».
Que s’est-il donc passé ? Rien ou presque : « Une discussion s’engage (à laquelle – précise notre journaliste – DSK ne participe pas) ». À la différence de François Puponni, que de Giacomoni « connaît depuis toujours » et auquel il aurait déclaré « que les propriétaires avaient donné l’autorisation de passage. Et que pour sa part il restait fidèle en amitié… »
Et c’est tout : « L’histoire en est restée là. Le journaliste reconnaît bien volontiers que le terrain ne lui appartient pas et que la justice n’a pas condamné Dominique Strauss-Kahn. Aucune altercation physique ni même verbale n’a eu lieu entre les deux hommes. Quant à François Puponni, il a refusé de s’exprimer sur ce qu’il considère comme un “non événement” ».
La conclusion s’impose d’elle-même, comme la morale d’une fable : « La conclusion est sans doute qu’il n’est pas envisageable de passer des vacances totalement “normales” quand on a été sous les feux des projecteurs médiatiques. » Et que Corse-Matin veille à ne pas éteindre les projecteurs…
… Avec cette justification : « Cela n’a pas empêché la rumeur de se déformer, de s’amplifier et de voguer jusqu’à Ajaccio tellement enflée qu’elle arrivait au bord de l’éclatement. ». Grâce à Corse-Matin, sa « une » tonitruante et sa journaliste d’investigation, la rumeur s’est transformée en information !
Henri Maler et William Salama
N. B. : Rappelons que Corse-Matin, cousin de Nice-Matin et de Var-Matin (tous trois propriétés du groupe Hersant), est l’unique quotidien régional de l’île.