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« À gauche, donc pas neutre » : intraitable sur ses sources, France Info discrédite Basta

par Pauline Perrenot,

Misère du « fact-checking » et journalisme de préfecture : un cocktail explosif, en direct de France Info.

Le 30 juin, dans sa chronique « Le vrai du faux », une fact-checkeuse de France Info entreprend de vérifier l’affirmation de Yannick Jadot ayant déclaré la veille, sur cette même radio, que « depuis cette loi [de 2017], selon les chercheurs, il y a eu cinq fois plus, cinq fois plus de tirs mortels sur des personnes qui sont dans des véhicules ». « Alors, [...] est-ce que c’est vrai ? », l’interroge son compère. « C’est plus compliqué que ça », répond-elle, avant d’enchaîner :

Car les chercheurs se sont appuyés, entre autres, sur une base de données réalisée par le média en ligne Basta, qui a compilé le nombre de morts à la suite d’une action des forces de l’ordre sur une période qui va de 1977 à 2022. Or, Basta n’est pas une source officielle hein. C’est un média, clairement marqué à gauche, et qui n’est donc pas neutre.

Simplicité du fact-checking ! Et voilà réglé le sort – et la valeur – de l’enquête réalisée par les journalistes de Basta recensant, plus largement, « les morts suite à l’action des forces de l’ordre ». Une base de données précisément sourcée, dont la méthodologie a fait l’objet d’un article explicatif, citée, comme le signale la journaliste de France Info, par trois chercheurs spécialistes du maintien de l’ordre en France dans une étude récemment parue dans la revue Esprit [1].

« À gauche, donc pas neutre ». À quoi tient, sur France Info, le crédit à accorder au travail d’une rédaction toute entière et, par capillarité, celui de trois chercheurs ! Déclamée avec autant d’aplomb que de sincérité, cette remarque n’en est pas moins révélatrice des mythes professionnels qui gangrènent les médias dominants s’agissant de la « neutralité » des sources, en particulier dès lors que l’action policière est à l’étude, et de ce qui est jugé digne ou non d’être considéré comme une « information ».


Les sources « officielles »... ou institutionnelles ?


Comme elle l’explique en effet un peu plus tôt, ce qui gêne la journaliste de France Info, c’est qu’« il n’existe pas de chiffres officiels. Il y a bien un rapport de l’IGPN publié en 2021. Il répertorie les tirs de policiers sur des véhicules en mouvement, c’est-à-dire après un refus d’obtempérer, mais il ne détaille pas les tirs mortels et non-mortels. Nous avons donc contacté le ministère de l’Intérieur pour obtenir ces chiffres, qui nous a répondu que ces données sont, je cite, "en train d’être compilées" ».

Sur France Info, on n’interrogera pas la neutralité du ministre de l’Intérieur, qui n’est sans doute pas assez « clairement marqué » à droite ! Du reste, on se souvient que la cheffe du service « police-justice » de la station a elle-même indiqué combien le périmètre des sources certifiées par France Info était aussi diversifié... que circulaire : de la police à la préfecture en passant par le Parquet et le ministère...

De toute évidence, rien n’y fait : France Info accorde une présomption d’objectivité aux « informations » livrées par les sources policières, lesquelles sont exclues du champ des « parties prenantes », estampillées « officielles », « fiables », et dont la parole occupe conséquemment une place prépondérante dans sa couverture de l’actualité. Ce sont précisément ces mêmes œillères qui conduisent la journaliste « fact-checking » de France Info à exempter a priori les rapports de l’IGPN et du ministère de l’Intérieur de toute partialité [2]... Aussi, très logiquement, la journaliste conclut sa chronique en précisant que si « on peut prouver un élément », c’est celui que met en évidence... le rapport de l’IGPN : un « pic du nombre de tirs, mortels ou non mortels, sur des véhicules en mouvement sur l’année 2017 ».

Le rapport annuel de l’IGPN figure par ailleurs au rang des sources (plurielles [3]) de Basta pour construire son étude, que la rédaction n’a d’ailleurs jamais eu la prétention de décréter « exhaustive ». Quitte à reprendre Basta, la journaliste aurait pu pointer un questionnement méthodologique légitime, comme le fit par exemple Libération :

Lors de la dernière actualisation de ses statistiques, Basta a complété ses statistiques en intégrant les cas évoqués par l’IGPN. Jusqu’à la dernière mise à jour, Basta comptait 28 morts pour l’année 2020. Dans la dernière version de la base, le total des décès est désormais de 40 pour la même année, en grande partie du fait des ajouts des cas IGPN non comptabilisés auparavant. Ce travail de recoupement n’a pu être mené que sur les dernières années, puisque l’IGPN ne délivre des informations que depuis 2020. Ce point doit inciter à la prudence quant à l’analyse de l’évolution des chiffres de Basta dans le temps. Ainsi, Basta estime qu’il y a « deux fois plus de décès depuis 2020 que la moyenne observée dans la décennie précédente ». Mais une partie de cette hausse peut donc venir du fait que le décompte de Basta sur les dernières années a été « augmenté » avec les données IGPN, ce qui n’est pas le cas pour la décennie précédente. Interrogé sur ce point, Ivan du Roy concède un « possible biais » pouvant fausser les comparaisons.


De l’orientation éditoriale d’un média


Mais pourquoi se fatiguer à argumenter ou à formuler des critiques méthodologiques quant on peut se contenter d’un discrédit gratuit, en balayant d’un revers de main un média au seul motif qu’il est « clairement marqué à gauche » ? Cette disqualification sous-entend qu’une orientation éditoriale – dont Basta n’a jamais fait mystère, contrairement à tant d’autres... – nuirait par principe au sérieux d’une enquête journalistique. France Info va-t-elle appliquer ce principe aux grands médias qu’elle cite abondamment à l’antenne, et dont elle invite chaque jour des représentants à venir bavarder sur ses plateaux ? Suspense !

Avec des journalistes si bien disposés à l’égard de l’ordre médiatique dominant, et si mal disposés à l’égard des voix critiques (de « gauche »), le mythe de la « neutralité » semble encore avoir de beaux jours devant lui. À l’inverse, l’engagement de Basta pourrait bien avoir, in fine, influé sur quelque chose : l’idée même de réaliser une enquête sur les personnes tuées par la police. Une idée qui, en effet, requiert au préalable de penser son travail éditorial autrement que comme la caisse de résonance des institutions dites « légitimes ». Une idée qui fonde Basta à se prévaloir du rôle de « contre-pouvoir » qui devrait être celui de tous les médias.


Pauline Perrenot

 
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Notes

[2Or, et sans parler des biais méthodologiques en termes d’approche, de quantification et d’analyse d’un phénomène social, en l’occurrence, les personnes tuées par la police (quelles catégories adopter, comment répertorier les faits, comment les classifier, etc), au moins un biais (des autorités) crève les yeux : l’omission. Ainsi que l’exposait d’ailleurs Basta dès les premières lignes de son exposé méthodologique : « Il n’existait, jusqu’à 2018, aucun recensement de ce type. Le ministère de l’Intérieur ne livrait aucun chiffre officiel pour les personnes tuées par les forces de l’ordre ; jusqu’à ce que l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ne commence à publier un rapport annuel sur ce sujet. » Une absence de chiffre qui est sans doute une « marque claire » de « neutralité »...

[3Basta recense pour ce faire des « articles de presse (nationale ou locale), publiés en ligne ou consultés en archives ; les travaux de chercheurs, à commencer par l’historien Maurice Rajsfus, qui a longtemps édité le bulletin mensuel Que fait la police ?, dont les archives sont numérisées ; des blogs des familles de victimes des forces de l’ordre, tels Vies volées, Urgence notre police assassine, Vérité et Justice ; des collectifs de lutte contre les violences policières, des rapports d’ONG (Ligue des droits de l’Homme, Amnesty International, Acat). »

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