Puisque janvier est la période des voeux, il faut bien sûr souhaiter pour 2005 que le chantier de reconstruction de France Culture démarre dès que possible avec une nouvelle équipe. Il est temps en effet de refermer la parenthèse Laure Adler, aventure de presque 6 ans qui a transformé en fast-food un fleuron de l’art radiophonique. Les derniers recrutements de janvier, fondés plus sur la notoriété [1] que sur la pertinence radiophonique, soulignent un peu plus l’incohérence de la grille actuelle.
Quelques idées simples devront être appliquées par la nouvelle direction :
– Un lieu comme France Culture doit être dirigé par une personne soucieuse d’instaurer une ambiance sereine de travail. Les évictions brutales de personnel, les ordres donnés par lettre recommandée, les mises à la retraite autoritaires, les critiques sur l’âge des personnes [2], pour tout dire l’ambiance "cubaine" relevée par Télérama [3] ne sont bien sûr pas propices à un travail de qualité.
– La grille doit être repensée en terme "d’art radiophonique", notamment en rétablissant la prééminence des documentaires soigneusement préparés et montés qui ont fait la réputation de la chaîne et témoignent d’un savoir-faire unique au monde. L’appauvrissement des documentaires réalisés à la va-vite en direct à l’antenne a été constaté par tous les auditeurs exigeants. Parallèlement, il faut renoncer à la compression du son. Sur ce sujet de la qualité sonore il faut saluer la récente décision de France Musiques de ne plus utiliser la compression. Les mélomanes sont exigeants et ils ont bien remarqué que la compression dénaturait le son.
– Dans cette approche artistique du son d’antenne, il faut évidemment supprimer l’avalanche de jingles racoleurs introduits dernièrement et les longs "tunnels" d’auto-promotion ou de partenariat qui reproduisent la vulgarité de l’esthétique publicitaire. Pour comprendre l’étendue du mauvais goût actuellement mis en oeuvre, il faut imaginer une voix de call girl pubeuse qui annonce sur un fond de musique techno une émission sur... les déportés de Drancy (mai 2003)
– L’habillage sonore de France Culture doit être d’autant plus discret que chaque émission a déjà son générique musical propre. Malheureusement, la musique choisie pour la déferlante actuelle de jingles (une bouillie de samples techno éculés) est un zapping sonore qui masque mal l’incapacité à composer un vrai jingle pour France Culture. Quant aux textes des slogans, il faut en déplorer la bêtise démagogique assénée toute la journée :
- "les deux là en train de boire sur un banc c’est de la culture"
- ""il faudrait trouver un moyen d’érotiser le savoir"
- ""Chaque jour sur France Culture votre mémoire fait du sport"
- ""Tout le monde est poète et quand tu éclates de rire j’ai envie de dire que toi aussi tu es poète"
- ""Ouais eeuuh la culture y’en a pas qu’uneeuuh, yen a pluiseeeuuures, elles sont liées sur un territoire donné et c’est c’qui fait qu’on a des r’pèreeuus"
- ""je sais qu’il y a des Ingmar Bergman, des Antonioni et même une certaine modernité mais moi je fais du porno"
- ""La radio n’est que mouvement, sa seule voie, la voix"
- ""fouance cuteur fou zékuté fouance cuteur"
– L’actualité doit être ramenée à sa juste mesure sur une chaîne culturelle, c’est à dire des bulletins concis de 5 à 15 minutes maximum. Ce n’est pas le rôle de France Culture de s’étaler sur des informations qui saturent déjà l’espace médiatique.
– Les émissions confiées malencontreusement à des medias privés généralistes (Le Monde, l’Express, Nouvel Obs...) doivent être écartées vigoureusement de l’antenne pour redonner à France Culture le contrôle de la qualité de ses contenus. Symétriquement, il est souhaitable que les journaux généralistes retrouvent la liberté éditoriale de critiquer France Culture. Il est par ailleurs remarquablement étrange d’avoir confié une émission scientifique à un journaliste du Monde plutôt qu’à un collaborateur de Sciences & Vie ou de La Recherche.
– Il faut rétablir d’urgence la critique littéraire et bannir le bavardage promotionnel [4] qui est la règle depuis 1999. C’est le rôle d’un service public culturel de signaler au lecteur aussi bien les réussites que les escroqueries littéraires du moment. Dans le même ordre d’idées, il faut renoncer aux "partenariats-parrainages", sorte de publicité suspecte pour des produits culturels (le plus souvent parisiens) que la chaîne encense par des jingles lassants et s’interdit de critiquer !
– Le recrutement des collaborateurs doit se faire sur le critère de la compétence et non de la notoriété médiatique ou du copinage. La connaissance de l’histoire de la chaîne devrait être aussi un critère retenu pour éviter l’embauche de journalistes qui par ignorance importent la superficialité du style TF1. Des émissions pilotes doivent être réalisées avant d’infliger au public les ratages de ces dernières années. Il faut bannir de la grille les personnalités médiatiques qui bâclent leurs émissions et tirent la grille des programmes vers l’insignifiance "people" de la presse actuelle et en plus plombent les comptes de la station par leurs exigences salariales de starlettes. Il faut faire appel à des professionnels du documentaire plutôt qu’à des journalistes de presse. À noter qu’il existe un fort vivier de compétence inexploitée parmi les centaines de producteurs remerciés ces dernières années.
– Il apparaît nécessaire de rétablir les émissions plébiscitées par les auditeurs tant leur absence appauvrit la chaîne dans des domaines aussi variés que la poésie, la musique, l’humour, le savoir, les sciences, la littérature, les artistes, les régions... (Poésie sur parole, les Chemins de la musique, les Décraqués, les Chemins de la connaissance (version montée), Perspectives scientifiques, le Panorama, le Bon Plaisir, le Pays d’Ici...). Au passage, on reste ébahi devant l’étendue des destructions menées.
– Après la destruction des dernières années, il apparaît que la grille ne doit plus être confiée à une seule personne non élue qui impose autoritairement sa vision de la culture et du patrimoine à plus de 500 000 auditeurs. De fait la consultation des auditeurs et des associations d’auditeurs semble désormais indispensable pour reconstruire la grille. France Culture ne doit pas renoncer à la culture patrimoniale sous prétexte de "modernisation" comme l’école a renoncé à l’orthographe ou à la grammaire.
– Le service public France Culture ne doit pas non plus être détourné au profit d’une poignée de mondains qui se renvoient des ascenseurs. Cela nécessite de choisir un directeur d’une grande rigueur intellectuelle, morale et juridique. L’occasion de rappeler que les recrutements sur critère sexiste, comme Jean-Marie Cavada insistant pour avoir une femme à la tête de France Culture [5], sont normalement punis d’un an de prison par le Code du travail (articles 122-45 et 152-1-1).
– Concernant l’audience journalière moyenne, il faut d’abord souligner qu’elle a fortement baissé en passant de 500 000 auditeurs en 1997 [6] (6) à 371 000 en 2003-2004 [7]. Quelques pics à 700 000 liés à l’actualité (et dont la direction se vante complaisamment) ne doivent pas masquer qu’en devenant une radio "comme les autres" France Culture a sans doute perdu la moitié de ses fidèles auditeurs au profit d’auditeurs volages. Augmenter l’audience n’est pas un sujet tabou mais doit respecter quelques règles simples :
- "il ne faut pas céder d’un pouce sur la qualité des programmes. C’est plutôt le rôle de France Inter de proposer des programmes orientés vers l’actualité "grand public"
- " il ne faut pas faire fuir les anciens auditeurs qui en tant que contribuables ont autant le droit que quiconque à réclamer une radio de qualité
– Pour attirer le public des adolescents vers la fréquence de France Culture, divers moyens existent pour peu que l’on s’en donne la peine. Par exemple, proposer chaque année à l’antenne les pièces de théâtre, l’adaptation des romans et les auteurs qui sont aux programmes des lycées et collèges ! Le tout de préférence coordonné avec l’Education nationale pour que les professeurs et les élèves soient à l’écoute. Autre exemple : que Le Mouv, la radio rock de Radio France, signale à ses auditeurs les documentaires rock de France Culture. Quant au très jeune public, il est dommage de lui avoir retiré la qualité des Histoires du Pince Oreilles.
– Il faut réduire les semaines thématiques, qui constituent un gavage ahurissant. Quel auditeur peut se permettre de digérer en une semaine 30 émissions sur le même sujet ? Il faut redonner une diversité à l’offre des programmes : sortir du tout contemporain, du tout-en-direct, des problématiques sociétales, de l’humanitaire larmoyant, des grands débats d’actualité, déjà amplement abordés sur toutes les autres stations. De même, il faut limiter le nombre de multidiffusions, signe alarmant du manque d’idées et de créativité de la grille actuelle.
– Les deux web radios nouvellement créées paraissent une extension paradoxale, si l’on songe que les Nuits de France Culture se sont peu à peu vidées de leur contenu de rediffusion patrimoniale. Il serait plus logique de rétablir des programmes ambitieux accessibles à tous sur la chaîne hertzienne, tout en améliorant le site internet en proposant la rediffusion à la carte de l’ensemble de la grille.
© DDFC, Mise à jour : 19/1/2005 10:30
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