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Une brève histoire de Jacques Attali

par Thibault Roques,

Il est des figures qu’on ne se lasse pas de retrouver année après année, livre après livre, de matinale radio en tribune de presse et de talk-show vespéral en chronique hebdomadaire. Jacques Attali est évidemment de ceux-là.

Note : cet article est tiré du numéro 38 de notre revue Médiacritiques, qu’il est encore temps de commander !

À l’instar de Jean-Pierre Elkabbach ou d’Alain Duhamel, il semble être depuis toujours dans le paysage médiatique. La parution de son dernier opus, Histoire des médias, en est une nouvelle confirmation. Alors qu’Acrimed tente, depuis 25 ans et en quelques milliers d’articles, de démonter les mécanismes du fonctionnement médiatique, notre auteur se propose modestement de condenser 5 000 ans d’histoire des médias en 500 pages. Il était sans doute le seul à pouvoir accomplir ce tour de force. Qu’il nous soit permis, dans les lignes qui suivent, de brosser le portrait d’un essayiste hors pair.


Marathonien des médias


L’admiration mutuelle entre Jacques Attali et les médias est ancienne, mais toujours recommencée. Et les preuves d’amour ne manquent pas. Que l’on en juge à l’aune de la mobilisation sans faille autour de son dernier livre : le service public radiophonique l’a invité pas moins de quatre fois en l’espace de quelques semaines ; sur France Inter, il fut même accueilli deux fois la même semaine, d’abord par Sonia Devillers dans « L’instant M » (18 janv.) puis dans la matinale du week-end par Éric Delvaux (24 janv.), « La bande originale » de Nagui (16 mars) et France Culture (22 janv.) venant compléter son tableau de chasse. Notre penseur ne fut pas vraiment maltraité ailleurs puisqu’il put également compter sur la bienveillance de TMC (via l’émission « Quotidien » de Yann Barthès), du JT de France 3, de Canal +, France 5 (« C à vous »), TV5 Monde, LCI, mais également France Info, la RTBF, Europe 1, Le Télégramme. Et on en oublie sans doute...


L’expertise au pluriel


Depuis toujours, Jacques Attali conjugue l’expertise au pluriel. Plus encore qu’à ses déclarations inspirées, on reconnaît un vrai éditocrate au nombre de ses casquettes. Sur France Inter, Sonia Devillers décrit son hôte en ces termes : « Intellectuel, économiste, conseiller du pouvoir, banquier ». C’était oublier ses autres attributs, que des confrères prirent parfois la peine d’égrener, d’« enseignant » à « éditorialiste » en passant par la variante « conseiller des puissants ». De multitâche à toutologue, il n’y a souvent qu’un pas, qu’Attali franchit allègrement... par exemple lors de son passage sur Canal +, face à Yves Calvi, où après avoir évoqué son dernier opus – promotion oblige – il n’hésite pas à deviser successivement sur les bandes de jeunes, le vrai et le faux, le bien et le mal, le moral des Français (sondages à l’appui), la crise économique à venir, et autres considérations d’actualité ou de toute éternité.



On ne fut guère surpris de l’entendre, deux semaines à peine après le début du premier confinement, nous offrir son diagnostic et ses lumières sur le monde de demain (santé, éducation, écologie, alimentation, recherche, etc.). Car un bon expert est souvent un grand prophète. Et Attali est aussi cet oracle : si l’on ne compte plus les références à l’art divinatoire dans son œuvre ou ses interventions (depuis sa Brève Histoire de l’avenir jusqu’à La Crise, et après ? en passant par Vivement après-demain !), notre écrivain a pu étonner dernièrement, en annonçant sans trembler l’avènement prochain de « l’âge des hologrammes ». C’est que non content d’être un analyste lucide du présent, Jacques Attali est aussi celui du futur. Même si c’est loin de marcher à tous les coups ! [1]


Un concert de louanges


On l’aura deviné : dans un monde médiatique bien constitué, les passages innombrables de Jacques Attali ne pouvaient générer qu’éloges et dithyrambes. À propos de son Histoire des médias, le vocable « passionnant » fut ainsi repris quasi unanimement – il est vrai qu’il figurait en quatrième de couverture du livre. Mais c’était encore un peu court. Sonia Devillers, notamment, n’y alla pas avec le dos de la brosse à reluire : « Le livre de Jacques Attali va sortir en librairie mercredi. Une “Histoire des médias”. 5 000 ans en 500 pages. Une somme aérée, fluide, très facile à lire. [...] Jacques Attali s’est retroussé les manches. Je vous préviens. Son analyse, passionnante, n’est pas pessimiste, elle est apocalyptique ». Rien que ça. C’est peu de dire que l’accueil fut généralement chaleureux – « extraordinaire », « captivant » et « passionnant », donc, furent les adjectifs les plus employés –, nous donnant presque des remords de n’avoir pas pris la peine de lire cet énième chef-d’œuvre. André Bercoff et Céline Alonzo, animateurs de Sud Radio, achevèrent de polir la statue Attali, parlant de « cette formidable “Histoire des médias” qui est quand même étonnante », ou encore d’une « plongée fascinante dans le monde de l’information ». On comprit mieux leur émoi lorsque nos deux présentateurs lui donnèrent du « Jacques », et que « Jacques », en retour, répondit tout naturellement à « [s]on vieil ami André ». Étrange familiarité estimeront certains ; simple sens de l’accueil diront les autres.



Girouette politique et intellectuelle


La caractéristique ultime du penseur tout terrain est une plasticité idéologique à toute épreuve. Ici encore, Jacques Attali fait figure de modèle. Ex-conseiller de François Mitterrand, il fut missionné par Nicolas Sarkozy pour « libérer la croissance » à la fin des années 2000, avant de murmurer à l’oreille de François Hollande. Co-découvreur, avec Alain Minc, de l’actuel président de la République, il juge à l’automne 2019 que « globalement, le mandat de Macron est une réussite ». Membre du Siècle et dirigeant d’ONG, il combine sans états d’âme dîners d’élite et lutte contre la pauvreté. Hier chantre du marché et de ses mille vertus, il milite aujourd’hui pour le démantèlement des Gafam via l’intervention d’un État fort, capable de réglementations strictes. Bien sûr, on pardonnera à celui qui déclarait tout récemment « Je suis libéral au sens politique, mais s’il s’agit d’être favorable à l’économie de marché pure et dure, non, ça n’a jamais été mon état d’esprit, j’ai toujours pensé comme ça » d’avoir la mémoire et les valeurs qui flanchent. Rappelons simplement que vingt ans en arrière, le même disait tout aussi fermement : « La libéralisation des échanges est une nécessité. Elle doit se poursuivre ». Ainsi va la souplesse d’un alchimiste. Une chose est sûre, toutefois : quand BHL n’aura plus rien à dire et que Michel Onfray se sera tu, il restera fort heureusement Jacques Attali. Éternel héraut de la pensée en zigzag et chouchou des médias.


Thibault Roques

 
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Notes

[1Lire Mathias Reymond, « Jacques Attali, l’insubmersible imposteur », Les Éditocrates, La Découverte, 2009.

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