Accueil > Critiques > (...) > Attentats aux Etats-Unis d’Amérique

Les lendemains du 11 septembre (1)

Télévisions : « Exhiber cette émotion qui nous submerge » (En direct de TF1)

Grande consommatrice d’images et d’émotions, la télévision - gavée d’images de la catastrophe - a parfaitement rempli son rôle : c’est-à-dire le rôle qu’elle se donne, en rabattant « l’événement » sur le fait divers, gigantesque et catastrophique. En guise de préambule, des fragments d’analyses extraits des directs de TF1, un écho de France 2, en hommage à Daniel Bilalian (22 août 2002).

France 2, 11 septembre, vers 21 heures, Daniel Bilalian rejoint David Pujadas. Il a une révélation à faire. Une des ses sources lui aurait dit, ce n’est pas confirmé, il faut beaucoup de prudence, mais il faut le dire quand même, au cas où l’information serait vérifiée : l’avion qui s’est écrasé en Pennsylvanie aurait visé une centrale nucléaire. L’important, c’est que Bilalian dise l’extraordinaire sur ce qu’il appelle lui-même, depuis la prise d’antenne, un événement " extraordinaire, au sens littéral du terme ". (Première publication : 13-09-2001- sous le titre « Daniel Bilalian informe... » )

 Un gigantesque fait divers ?

Le fait divers est une aubaine pour les fabricants de consensus. Ils fédère les audiences, fait grimper l’audimat, garantit par conséquent l’ampleur des ressources publicitaires. Il est d’autant mieux adapté à la télévision, qu’il se prête à la narration et à l’émotion. A la narration, parce qu’il permet de dérouler un récit autour d’une ou plusieurs actions, qui mettent en scène des personnages principaux et des personnages subalternes (des témoins). Les questions se transforment en intrigues et les problèmes en mystères. A l’émotion, parce que toute douleur invite à la compassion, surtout quand elle peut être mise en images, si possible spectaculaires. Force est de dire que la télévision "informe" sur les attentats aux USA, comme s’il s’agissait d’un gigantesque fait divers. (Première publication :15-09-2001)

 Quand TF1 se recueille

Vendredi 14 septembre 2001, 12 heures. Une fois encore, les images de l’attentat montées comme un vidéo-clip, mais soutenues cette fois par La Marche funèbre de Chopin. Mettre en scène le comble de l’émotion et mettre l’émotion à son comble : tout le savoir faire des fabricants d’images de TF1. Peut-être bientôt en vidéo-cassette. Et Jean-Pierre Pernaud, dans un rôle enfin à sa mesure : "Et nous, à TF1, comme des millions d’entre vous, nous allons respecter ces minutes de silence en soutien au peuple américain". Mais le silence et l’écran noir à la télé signaleraient l’incident technique. Pour soutenir notre recueillement, des images de la dévastation et de l’inquiétude des familles à la recherche de leurs disparus. Et toutes les images de la tristesse et de la désolation : vidéo-clip de la Marche Funèbre et de la solidarité, version TF1. Au terme des trois minutes réglementaires (ou même avant qu’elles ne s’achèvent : 3 mn, c’est long !), brutalement, un écran publicitaire de TF1 pour une émission de TF1. La messe cathodique était finie… (Première publication :16-09-2001)

 En direct de TF1 , le 17 septembre 2001

TF1 a réussi un joli "coup" : le chaîne a expédié ses deux vedettes - Jean-Pierre Pernaud et Patrick Poivre d’Arvor - présenter en direct de New York, pendant plusieurs jours, les journaux télévisés. En direct de Nerw York, c’est-à-dire en direct de TF1.

TF1, 13 heures, le 17 septembre 2001. Jean-Pierre Pernaud aux commandes pendant plus d’une heure. Ce qui nous vaut une succession de "reportages", dont l’ordonnancement ne doit rien au hasard : 1. Deux témoignages de blessés dans un hôpital ; 2. Un "sujet" sur les sauveteurs ; 3. Un bref direct avec un français rescapé ; 4. Un "sujet" sur les personnes évacuées, dans - c’est JPP qui le dit - "un camp de réfugiés" ; 5. Un bref direct avec un autre témoin ; 6. Un "sujet" sur les bénévoles ; 7. Un "sujet" sur ... JPP, dans les rues de Manhattan devant les messages des familles qui cherchent des disparus ; 8. Un "sujet" sur les "pompiers", nouveaux "héros de l’Amérique" ; 9. Un "sujet" avec un représentant de la Croix-Rouge...

Il est alors 13h20. Les rares informations nouvelles données jusqu’alors l’ont été au détour des passages de JPP à l’antenne, plus fugitives que des interruptions publicitaires.

10. JPP brandit le Daily News et souscrit à son titre : "Croisade", avant de ....11. Laisser la parole à Georges Bush qui mentionne cette fameuse croisade, dans un "sujet" centré sur le comportement personnel du Président. 12. Retour à l’antenne de JPP qui insiste sur la "Croisade" qui serait le titre des journaux américains, comme , dit-il, "de la plupart de vos journaux ce matin". Et ça continue : 13. Un "sujet" sur les réservistes et les troupes américaines ; 14. Un direct avec un "envoyé spécial" - Gauthier R. - qui déclare que le "terme de croisage est tout à fait approprié". Qu’on s’oriente vers un "choc des civilisations". Et précise : "C’est ainsi que les américains le sentent".

Et ça continue : 15. Un "sujet" sur le point de l’enquête ; 16. Un "sujet" sur l’aéroport de Washington ; 17. Un "sujet" sur le patriotisme des américains etc...etc. Il est 19h36, quand est évoquée la fuite de plus en plus massive des afghans. Et ce n’est pas fini. Mais faut-il continuer ? Pas un mot sur la nature de la "riposte" et sur les questions qu’elle soulève... Rendez-vous à 20 heures. (Première publication :17-09-2001)

 En direct de TF1, le 18 septembre 2001

TF1 13 heures. La "troisième de nos éditions spéciales", comme l’annonce JPP nous propose un scénario légèrement différent. L’énoncé du sommaire nous annonce qu’il sera question de "l’escalade ou plutôt de l’intimidation" (JPP ne cessera de reprendre cette expression), de reportages sur l’émotion , de la préparation de la "croisade sans merci" promise par Georges Bush.

Mais d’abord, le journal commence par un reportage sur la situation du côté de l’Afghanistan et du Pakistan. 3 mn. Puis défilent les "sujets" sur "l’émotion qui reste considérable". Au passage on apprend, de la bouche des reporters, que Bush "serait lâché si la riposte n’est pas à la hauteur (?)", que "la tenue du sauveteur est très à la mode". Les informations nouvelles - il y en a - sont diluées par les reprises des informations (et des images ) des jours précédents.

Viennent trois reportages successifs sur les forces en présence : l’armée américaine, l’armée française, l’armée afghane. On a déjà oublié leur contenu, pourtant précis - quand JPP peut annoncer, en toute simplicité : "Voilà vous savez tout sur les enjeux en cas d’intervention terrestre".

Et le défilé des "sujets" continue. D’Ulysse Gosset, citant le Président américain, on apprend ceci : "Georges Bush, shérif de la planète, l’image est impressionnante".

Viennent pourtant quelques "sujets qui introduisent un peu de complexité. Par exemple sur les exactions diverses dont son victimes les américains musulmans et sur leurs réactions, mais c’est pour nous donner à entendre, selon une formule qui se prête à toutes les confusions, qu’ "il n’est pas facile de ne pas être d’origine américaine". Les réactions de la population dans les pays arabes, traitées rapidement, mais traitées tout de même, le sont de façon très ambivalente. On entend, mais fugitivement, Catherine Jentil souligner que l’utilisation par Georges Bush du terme de "Croisade" éveille des souvenirs très particuliers au Moyen-Orient (Et pan sur le bec de JPP qui la veille n’en finissait pas de s’extasier devant ce terme !). Mais dans le reportage suivant, comme c’est souvent le cas, le commentaire consacré au "sentiment mélangé" que sucitent les événements à Beyrouth dévore et déforme les propos des quelques témoins invités à s’expliquer.

Il est 13h44. C’est le moment choisi pour cultiver l’hébétude des "chers téléspectateurs", pour la centième fois (compte exact non tenu...), un "rappel des faits" de 5 mn nous raconte l’enchaînement des événements du 11 septembre. Quelques "sujets" encore. 13 heures 55 : il est temps de se quitter. Pas un mot sur ce qui se passe au même moment en Palestine ou en Tchétchénie :"Voilà vous savez tout sur les enjeux en cas d’intervention terrestre".

Le journal est fini. Un écran publicitaire lui succède, qui nous annonce, à grand renfort de formules ronflantes, le journal du soir en direct de New York avec PPDA. (Première publication :18-09-2001)

 D’ une catastrophe à l’autre.

"Toulouse : catastrophe aux portes de la ville", titre Le Monde du 23-24 septembre. La veille le journal de TF1 de 20 heures a consacré plus d’une demi-heure à l’explosion meurtrière et ravageuse : une catastrophe chasse l’autre. Mais le scénario du JT reste le même : l’information est dévorée par sa mise en images, les témoignages prennent les pas sur les faits, ce que l’on a cru ou ce que l’on a craint prend autant d’importance que les conséquences. Primat de l’émotion et logique de la narration, simulacre de I’exhaustivité et règne de la redondance. Chaque fragment de récit reproduit la totalité du récit ; chaque témoignage en appelle un autre qui répète le précédent. Le "traitement" de l’explosion de Toulouse éclaire celui des attentats de New York : ou comment transformer, quels qu’en soient l’échelle, le sens et la portée, tout événement en fait divers. (Première publication :23-09-2001)

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

A la une

Nathalie Saint-Cricq dans Libération : une « pointure » et beaucoup de cirage

« Nathalie Saint-Cricq vote », et Libération vote Saint-Cricq.