« Spectacularisée », la campagne présidentielle s’est déclinée dans les médias audiovisuels à travers plusieurs dizaines de créneaux politiques par semaine, dont le « bruit » fut amplifié dans et par la presse écrite. « Éditorialisée », elle fut commentée à outrance par le huis-clos des journalistes politiques, dans des dispositifs fac-similés de « C dans l’air », de BFM-TV à France Inter en passant par France 2, qui réussit l’exploit de masser dix-sept éditorialistes autour d’un seul et même plateau. « Feuilletonnée », elle fut traitée par le petit bout de la lorgnette : polémiques, transferts, communication, petites phrases, sondomanie, coulisses, indiscrétions et chuchotements. Journalisme hippique, journalisme de slogan, journalisme de commentaire : la campagne de l’élection présidentielle de 2022 fut, en un mot, dépolitisée.
Hormis quelques formats ayant permis de traiter des questions de fond, les médias dominants ont mis en musique une campagne à leur image, pour les besoins de leur fonctionnement autophage. Jusqu’au néant au carré : en l’occurrence sur BFM-TV, où les têtes d’affiche commentent ce qu’elles ont commenté les jours passés ! Englué dans ses routines, le journalisme politique prétend d’une chaîne à l’autre « se renouveler », « se distinguer »… en faisant toujours à l’identique, le mimétisme présidant tant à la fabrique de l’agenda qu’à la hiérarchisation de l’information, et, enfin, au mode de traitement de « l’actualité ».
Pas étonnant, dès lors, de constater partout les mêmes biais. Par exemple : la campagne médiatique en faveur de Yannick Jadot lors de la primaire écologiste, « choix de la raison » contre Sandrine Rousseau, clouée au pilori pour « wokisme » et « discours victimaire » ; la polarisation de l’agenda autour de l’extrême droite, la fabrique puis la surexposition d’Éric Zemmour, pour laquelle l’Arcom épinglait dix médias le 31 mars, dont France Inter et France 5 ; la surmédiatisation de la « primaire populaire » ; la marginalisation systématique des « petits candidats » et enfin, le journalisme de révérence dont a bénéficié Emmanuel Macron, d’opérations de communication en récits propagandistes portant au pinacle le « chef de guerre » et « protecteur de la Nation ».
De quoi souligner combien les médias pèsent – volontairement ou non – sur le champ politique d’une part, et altèrent la perception par le public des enjeux et des acteurs d’une campagne présidentielle d’autre part. Car pendant ce temps, des enjeux aussi centraux que la santé ou le climat sont invisibles. À partir d’une étude du « Face au 7/9 » (France Inter) et de « Élysée 2022 » (France 2), des étudiantes en journalisme ont montré que seules 9 questions des journalistes sur 475 ont porté sur le système de santé (La Feuille, EPJT, mai 2022). « L’Affaire du siècle » (regroupement d’ONG) a quant à elle révélé que les questions climatiques n’ont représenté que 3,6% du « volume rédactionnel » de 120 médias de février à avril 2022 (Libération, 8 avr.).
Dans ce marasme, et alors que les conditions de travail des journalistes se dégradent toujours davantage, les chefferies éditoriales oscillent entre autocélébration et déni. Pire : une fois tournée la page des appels rituels au barrage d’une extrême droite qu’elles ont contribué à normaliser, elles se remettent en selle pour une cabale massive contre la gauche. « Fascisme à visage humain », « danger pour la France », « sixième pilier de l’islam »… La France insoumise, et derrière elle la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » pour les élections législatives, déchaînent les chiens de garde. Bref, ne mâchons pas nos mots : les médias dominants posent un problème démocratique majeur.
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