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Quand Le Monde commente un sondage sur les médias

par Denis Perais,

Le vingtième « Baromètre » publié par La Croix dans son édition du 14 février 2007, sur « la confiance des français dans les médias » [1], a, pour l’instant du moins, été peu commenté. Parmi les audacieux : Le Monde dans un article le 15 février 2007. Bien plus que le contenu de ce « Baromètre », dont nous avions dès 2001 proposé une critique [2], c’est surtout la manière dont le quotidien le restitue qui mérite d’être relevée. Un splendide exercice de diversion.

Comme tous les sondages d’opinion qui additionnent des réponses individuelles dont les significations sont hétérogènes pour produire une opinion publique qui « n’existe pas », c’est-à-dire qui n’existe que comme une construction artificielle produite par le sondage lui-même, le « baromètre » de la Sofres ne fournit que de très vagues indices dont le sens - quand ils en ont un... - n’est en rien dévoilé par les chiffres obtenus. Mais, arroseurs arrosés, les médias qui accueillent avec crédulité tous les sondages dont ils sont les commanditaires et les consommateurs doivent faire face, en ce cas, à un sondage qui, s’il devait être pris à lettre (ou plutôt au chiffre près) ne leur est pas spécialement favorable. Pas plus que les autres sondages d’opinion, le « Baromètre » ne permet de savoir ce que pense l’opinion. Mais comment les médias pourraient-ils mettre en question celui-ci quand ils accréditent tous les autres ? L’usage qu’ils en font est finalement plus intéressant à observer que les résultats de l’enquête elle-même.

Le titre du Monde est étonnant, puisqu’il présente comme un fait établi, ce qui n’est tout au plus qu’une opinion sondagière : « La radio reste le média le plus fiable, devant la presse écrite ». Mais surtout, ce titre laisse entendre que globalement tout va bien. Cela tombe d’autant mieux, qu’« à quelques semaines de la présidentielle, et tandis que les médias sont accusés de partialité par plusieurs candidats, ce sondage était très attendu ».

Le Monde présente donc les chiffres qui permettent de se rassurer à bon compte : «  Globalement, les résultats témoignent d’une stabilité de l’opinion, avec une cote de confiance en légère hausse. La radio, toujours en tête, se voit ainsi créditée d’une augmentation de 3 points, 57 % des personnes interrogées estimant que "les choses se sont passées vraiment ou à peu près" comme ce média les a relatées. La presse écrite se place au second rang avec une crédibilité de 51 % (en hausse de 3 points), devant la télévision, qui gagne toutefois 4 points. Internet, apparu en 2005 dans le baromètre, obtient une crédibilité de 30 %, contre 24 % en 2006. » L’« à peu près » suffirait donc, puisqu’on peut l’additionner à « vraiment » !

Or, si l’on en croit les résultats du sondage, seules 5 % des personnes ayant répondu estiment que les « choses se sont passées vraiment comme le journal le raconte » et 46 % que « les choses se sont passées à peu près comme le journal les raconte ». Et, pour faire bonne mesure, Le Monde, entre autre omission, oublie de signaler cet autre chiffre : 39 % des personnes ayant répondu trouvent qu’ « il y a sans doute pas mal de différences entre la façon dont les choses se sont passées et la façon dont le journal les raconte » [3].

Autre addition étonnante : « L’affaire des caricatures de Mahomet, la guerre en Irak, l’affaire Clearstream et le contrat première embauche (CPE) comptent parmi les sujets jugés suffisamment ou trop fréquemment traités. » La somme des « suffisamment » et des « trop » est assez réjouissante [4].

Dernière question posée par les sondologues : « D’une façon générale, estimez-vous, qu’en 2006, les médias ont accordé aux candidats suivants à l’élection présidentielle de 2007 une place trop importante, pas assez importante ou une place conforme à ce qu’ils représentent dans la société française ? ». Les résultats du sondage donnent notamment les chiffres suivants : 58 % des sondés jugeraient que Sarkozy est « surmédiatisé » et 50 % pour Ségolène Royal. De tels chiffres donnent-ils raison à ceux qui, comme nous, mais sur la base de comptages précis, estiment que pendant plus d’un an les médias ont préparé par avance le second tour ? Devrions-nous, en ce cas, céder à la sondomanie sous prétexte qu’elle semble conforter notre diagnostic ? Pas du tout. Ne serait-ce que pour cette simple raison : il est probable que ces chiffres, pour une large part, reflètent le degré d’antipathie politique des sondés pour les candidats en question et non un jugement sur le pluralisme.

Mais Le Monde, pour se conformer à ses commentaires habituels des sondages, aurait dû prendre ses résultats comme particulièrement révélateurs. Et pourtant, nouveau ravage de la sondomanie, la présentation proposée se borne à établir un classement... qui n’a rigoureusement aucun sens : « Parmi les candidats à la présidentielle, c’est Nicolas Sarkozy qui est jugé le plus surmédiatisé aux yeux des sondés : 58% jugent que les médias lui accordent une place trop importante, contre 35% qui la trouvent conforme à ce qu’il représente dans la société française, et seulement 5% qui la considèrent pas assez importante. La marge d’erreur est de plus ou moins trois points de pourcentage. Le candidat UMP est suivi par la candidate PS Ségolène Royal (50% trop importante, 40% conforme et 8% pas assez importante), José Bové (30% trop importante, 43% conforme, 21% pas assez importante) et Jean-Marie Le Pen (28% trop importante, 49% conforme, 20% pas assez importante). A l’inverse, c’est le candidat de l’UDF François Bayrou qui est perçu comme le plus sous-médiatisé : 35% des sondés trouvent insuffisante la place qui lui est accordée (51% conforme, 8% trop importante). »

Enfin, Le Monde évacue, au détour d’une phrase, une question qui, du moins pour ceux qui croient que les réponses à un sondage sont presque totalement transparentes, aurait pourtant mérité un autre sort : « Comme en 1987, date du premier baromètre, une majorité de Français - 60 % [en fait 63 %] doute de l’indépendance des journalistes. Seulement 30 % des personnes interrogées estiment qu’ils résistent aux pressions des partis politiques et du pouvoir.  » Et, sans doute par manque de place (ou parce que cette « stabilité »-là ne l’intéresse pas), Le Monde ne mentionne pas cet autre chiffre : 60% (contre 29%) de sondés estimeraient que les journalistes « ne résistent pas aux pressions de l’argent ». Un chiffre lui aussi « stable » depuis 1990.

En définitive et malgré les indications du « Baromètre », le quotidien du soir choisit de conclure sur une note positive : « Malgré tout [les quelques critiques mineures qu’il a choisi de relater de manière biaisée], les citoyens restent avides d’informations : 75 % d’entre eux disent suivre l’actualité avec intérêt [5], chiffre supérieur de 3 points à la moyenne des vingt dernières années. »

Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des Monde médiatiques. Le quotidien du soir vérifie une fois de plus ce que nous écrivions en 2001 : « Chaque média tend à ne citer que les chiffres qui l’arrangent avec les interprétations ad hoc qui l’arrangent » [6].

Denis Perais

 
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Notes

[1Réalisé les 7 et 8 février 2007 par TNS - Sofres - Le sondage complet se trouve ici (lien périmé).

[3Une réponse dont le sens n’est guère transparent quand on ignore, par exemple, quelle proportion des sondés lit régulièrement le journal. Un « biais » parmi d’autres.

[4Alors que le sondage indique systématiquement, pour les seuls sujets cités dans l’article du Monde, une majorité relative ou absolue au « parler trop » : L’affaire des caricatures de Mahomet : 48 % « en ont trop parlé » contre 27 « en ont parlé comme il faut » ; la guerre en Irak :51 « en ont trop parlé » contre 36 % « en ont parlé comme il faut »  ; l’affaire Clearstream : 43 % « en ont trop parlé » contre 22 % « en ont parlé comme il faut » ; le contrat première embauche (CPE) : 48 % « en ont trop parlé » contre 34 % « en ont parlé comme il faut ».

[514 % des personnes ayant répondu, avec un « très grand » intérêt, 61 % avec un « assez grand » intérêt.

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