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Podemos vu par la presse française : cheveux longs et idées courtes

par Julien Baldassarra,

Depuis fin 2015, les grands médias traitent de Podemos en délaissant les questions de fond, accordant dans le même temps une large place aux sujets polémiques et au storytelling des alliances politiques. Hormis quelques articles écrits lors des épisodes cruciaux comme les élections législatives, régionales ou municipales de 2015, il semble désormais difficile de trouver, à de rares exceptions près, des reportages ou des enquêtes qui détaillent la stratégie ou le programme du mouvement. On se passionne pour les coupes de cheveux des élus du mouvement Podemos, en tout cas bien plus que pour leurs idées.

Si les moments clés de l’ascension de Podemos en Espagne ont été plutôt correctement couverts par la presse écrite et audiovisuelle française en 2014, l’exercice partiel du pouvoir reste peu visible depuis que le parti a fait une percée au Parlement et qu’il a brigué plusieurs mairies de premier plan. Moins friands de Podemos en Espagne que de Syriza en Grèce et de « la douloureuse conversion de Tsipras au réalisme  » [1], les éditorialistes français préféreraient-ils commenter les échecs que les succès électoraux d’une certaine gauche ?

Depuis la rentrée 2015, le traitement médiatique de Podemos a basculé dans le domaine de la légèreté et de l’accessoire : Podemos apparaît bien dans les colonnes de la presse généraliste, mais sur des thèmes qui traitent de politique politicienne (alliances, jeux d’appareils...) ou surtout d’apparence et de communication (reportages-photos, polémiques sur les coupes de cheveux...), et dans des formats souvent expéditifs (reprise de tweets, commentaires superficiels...), le tout, parfois, sur un ton humoristique. Ainsi, on en sait désormais beaucoup sur le dernier tweet bien senti de Pablo Iglesias, sur le look vestimentaire des élus, ou sur l’identité capillaire des députés, mais toujours aussi peu sur les idées développées par la formation anti-austéritaire [2].


Dreadlocks, tresses et catogans : une typologie capillaire approfondie

En l’espace d’un mois, la majorité des grands médias ont consacré du temps, par la mobilisation de journalistes, et de l’espace, par la publication d’articles sur leurs sites internet, à des sujets visiblement dérisoires et censément divertissants à propos de Podemos.

Pour commenter la première séance parlementaire qui avait lieu le 13 janvier 2016, les rédactions ont souligné de concert la tenue vestimentaire des jeunes élus de Podemos, qui détonne avec le reste de l’assemblée. Ce recensement, s’il peut servir de point de départ pour mettre en exergue le hiatus qui peut exister entre les professionnels de la politique des deux grands partis et la jeune génération de Podemos ou Cuidadanos, ne peut se suffire à lui-même. C’est pourtant quasiment tel quel que les journalistes livrent en guise d’information une série d’articles et de commentaires qui pointent l’originalité de la composition visuelle du Parlement, sans autre forme d’analyse sur la trajectoire sociologique des députés ou sur les catégories socio-professionnelles nouvellement représentées par Podemos (hormis quelques lignes dans Le Monde).

On trouve ainsi plusieurs articles qui traitent directement des cheveux ou du look des députés de Podemos.



Pour M le Magazine du Monde, le 25 janvier 2016 :



Extraits de l’article :
- « De longues dreadlocks, un pull à fines rayures dont dépasse du col un t-shirt noir… »
- « Ce technicien en chimie de 33 ans, employé dans une raffinerie de pétrole, vient de faire entrer pour la première fois au Congrès des députés, la coupe de cheveux traditionnelle des rastafaris jamaïquains. »
- « La polémique est lancée. “Si seulement son parti pouvait être juste à moitié aussi propre que mes dreads…”, a répliqué un autre député de Podemos portant des tresses rastas. »
- « Que les commentaires sur la première session parlementaire aient largement porté sur l’analyse capillaire des nouveaux élus de Podemos n’a rien d’étonnant, si l’on se souvient que le chef de file du parti, Pablo Iglesias, a longtemps été surnommé “la queue-de-cheval” (“el coleta”). Aujourd’hui, il n’est donc plus le seul élu de Podemos à porter les cheveux longs. »
- « Miguel Vila, ex-cameraman de la télévision publique TVE, les laisse tomber sur ses épaules. Les yeux du jeune professeur de philosophie Eduardo Maura sont dissimulés derrière la grande mèche qui lui balaie le front. Quant aux tresses africaines de la militante Rita Bosaho, elles ne sont pas un détail. Née en Guinée-Équatoriale en 1965, trois ans avant l’indépendance de cette ex-colonie espagnole, cette féministe membre de plusieurs organisations sociales est la première députée noire. »



Pour le Huffington Post, le 15 janvier 2016 :



Pour France Inter, le 15 janvier 2016 :



Pour Libération, le 13 janvier 2016 :



Pour L’Express, le 14 janvier 2016 :



Pour Courrier International, le 7 février 2016 :



Pour BFMTV, le 14 janvier 2016 :



Etc.


Lumière sur la forme, misère sur le fond

De la même façon, de nombreux articles de janvier 2016 préfèrent commenter l’apparence plutôt qu’approfondir les débats portés par Podemos en privilégiant la forme au détriment du fond. Après les débats capillaires, c’est la présence d’un bébé au Parlement qui agite les services politiques des rédactions françaises :

Pour Le Point, le 14 janvier 2016 :



Pour Libération, le 13 janvier 2016, c’est « catogan et layette » :



Pour BFMTV, le 13 janvier 2016 :



Priorité à l’apparence encore, quand les médias relayent des « polémiques » et n’évoquent Podemos que s’il y a une anecdote croustillante à la clé.

Ainsi, le mot « polémique » revient dans l’intégralité des articles électroniques recensés ici (échantillon du 14 au 25 janvier 2016) :

- Le Point (site internet) : « Espagne : polémique sur la présence d’un bébé à l’Assemblée », 14 janvier 2016
- L’Obs (site internet) : « Les jeunes de Podemos débarquent au Congrès espagnol », 14 janvier 2016
- Le Huffington Post : « Poux et dreadlocks s’invitent au parlement espagnol après l’élection de ce député Podemos », 15 janvier 2016
- Le Monde (site internet) : « Choc capillaire au parlement espagnol », 25 janvier 2016
- Europe 1 (site internet) : « Polémique en Espagne sur la présence d’un bébé au Parlement », 14 janvier 2016
- Gala (site internet) : « Espagne : un bébé au Parlement », 15 janvier 2016
- RFI (site internet) : « Espagne : Podemos accusé d’avoir reçu des financements de l’Iran », 15 janvier 2016
- 20 Minutes (site internet) : « La présence d’un bébé au Parlement fait polémique », 14 janvier 2016
- Challenges (site internet) : « Polémique en Espagne sur la présence d’un bébé au Parlement », 15 janvier 2016

Qui osera prétendre que la couverture médiatique de ces « polémiques » est proportionnelle à l’attention accordée à la conduite ordinaire des dossiers politiques par Podemos ?

Le choix des images est également significatif pour construire des informations. Sous la forme de « grands formats » ou de « diaporamas » bien léchés, les sites du Monde et de Libération ont livré les 13 et 14 janvier 2016 une version esthétisée de la première séance au Parlement espagnol, dominée par l’irruption remarquée des députés Podemos. Les deux sites ont sorti les grands moyens en proposant un dossier composé de photos agrémentées de petites légendes, le tout pour un rendu très stylisé, épuré et minimaliste, proche d’un roman-photo. Livrés tels quels et sans autre forme d’explication, les clichés auraient pu être accompagnés de textes détaillant les trajectoires sociales et politiques des élus, par exemple. Il n’en fut rien, donnant l’impression d’un simple produit esthétique formellement très abouti, mais très pauvre sur le fond.


Les tweets : nouvelles racines du marronnier, en 140 signes

Les tweets deviennent le principal carburant pour faire gonfler une polémique ou pour meubler des périodes politiques considérées comme creuses par les éditorialistes (hors campagne, hors élection). Utilisés par les partis pour communiquer de manière plus instantanée, les tweets outrepassent leur fonction de publicisation quand ils deviennent une matière première exploitée par les journalistes politiques. En publiant eux-mêmes des tweets ou en échafaudant leurs papiers autour de tweets, les grands journaux légitiment Twitter comme source pertinente d’information, produisant des commentaires et des commentaires de commentaires.

Chez Libération, le 2 février 2016 :



Chez le Huffington Post, le 15 janvier 2016 :



Tweet initialement posté par le Huffington Post (Espagne) et repris dans un article de L’Express du 14 janvier 2016 :



Chez BFMTV, le 13 janvier 2016 :



Chez Libération encore, le 1er février 2016 :



Cette émergence du tweet comme matériau journalistique privilégié et comme source d’information validée réduit encore les formats et les contenus à des messages expéditifs, des phrases chocs, et des bons mots, lesquels appauvrissent encore – parfois avec la complicité des élus, comme ici Pablo Iglesias – la profondeur des débats en les réduisant à 140 caractères. Ne laissant que peu de place au développement et à la nuance, le format ultra-condensé de Twitter, s’il peut parfois faire la force de la communication, joue l’affaiblissement de l’information : le tweet comme source de l’analyse politique ne permet que de véhiculer des idées brèves qui, si elles ne sont pas retravaillées ou explicitées, se résument souvent à une formule ou à un accélérateur de polémiques.


***



Depuis la rentrée 2015, il y a certes eu quelques tentatives de descriptions sérieuses du mouvement Podemos dans les médias français [3], mais aussi beaucoup, et beaucoup trop, de politique politicienne, de commentaires vestimentaires et capillaires, et de « polémiques » – dérisoires en elles-mêmes... Cette amplification du sensationnel et de l’anecdotique atrophie mécaniquement le temps et l’attention accordés aux sujets de fond et par construction, livre une information tronquée.



Julien Baldassarra

 
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Notes

[1Le Monde, 18 septembre 2015.

[2Pour en savoir plus, on peut cependant lire les articles du Monde Diplomatique : « Podemos, “notre stratégie” », juillet 2015, et « Podemos, le parti qui bouscule l’Espagne », janvier 2015.

[3Voir notamment les articles (payants) de Mediapart.

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