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Non-droit de réponse sur France Inter

par Eric Fassin,

Nous publions ci-dessous sous forme de tribune [1] un texte du sociologue Eric Fassin, paru initialement le 29 décembre sur son blog. (Acrimed)

Au lendemain de l’attentat d’Arras qui a coûté la vie à un collègue, sur France Inter, la journaliste Caroline Fourest m’a qualifié le 14 octobre de « trou dans le bouclier » dans la lutte contre le terrorisme. Pourtant, à deux reprises, Radio France m’a refusé un droit de réponse. L’irresponsabilité des chaînes privées est une chose. Mais qu’en est-il de la responsabilité du service public ?

Samedi 14 octobre 2023, au lendemain de l’attentat terroriste d’Arras, Caroline Fourest, invitée de 8h20 sur France Inter, m’a gravement mis en cause : je ferais partie des « trous dans notre bouclier », coupables d’« entraver l’action et de l’État et des laïcs ». « Je peux vous citer des grands professeurs qui sont des compagnons de route des Indigènes de la République, un mouvement qui soutient le Hamas, je peux vous citer des gens comme Éric Fassin ».

C’est faux. Ce mouvement m’évoque seulement pour me critiquer. Et faute de compétence, je n’interviens jamais sur le conflit israélo-palestinien. C’est juste vouloir me discréditer par contagion. Au lieu de rectifier, l’animatrice insiste : « Vous dites : "c’est de leur faute s’il y a des attentats aujourd’hui ?" » Caroline Fourest ne le nie pas : « c’est de leur faute si ceux qui se battent pour défaire l’islamisme avant qu’il ne se transforme en djihadisme sont si fatigués. » Mais c’est sans citer aucun fait, aucune phrase. Fatiguée, elle se sert de l’assassinat d’un professeur pour relancer le Printemps républicain. « Tous les politiques qui ont essayé de défendre l’école laïque et la laïcité ont été pris en chasse. Regardez ce qui est arrivé à Jean-Michel Blanquer, […] à Manuel Valls, […] à Marlène Schiappa. »

J’ai effectivement témoigné contre Manuel Valls, poursuivi par La Voix des Rroms pour incitation à la haine raciale. J’ai dénoncé le « nouveau front républicain » mobilisé par Jean-Michel Blanquer avec le RN contre des antiracistes. Quant à Marlène Schiappa, après le fiasco du fonds Marianne, c’est la famille de Samuel Paty qui a dénoncé l’instrumentalisation politique de sa mort. Caroline Fourest se pose en victime : « je prendrai le feu de tous ceux que j’ai nommés, comme d’habitude. » Le feu ? J’ai renoncé de longue date à commenter ses discours péremptoires et approximatifs. Elle intimide pour faire taire les critiques : « faut que ça cesse ! » « Je suis Charlie » ne vaudrait que pour ses amis politiques.

M’associer aux assassins de collègues est d’une grande violence. Et c’est me désigner comme cible. Le lendemain de la mort de Samuel Paty, un néonazi m’a menacé sur Twitter : j’étais « sur la liste des connards à décapiter. » (Il a été condamné par la justice.) Or loin de s’en inquiéter, Jean-Michel Blanquer a préféré accuser les supposés « islamogauchistes » de « complicité intellectuelle avec le terrorisme ». Le jour de la mort de Dominique Bernard, Damien Rieu, de Reconquête, s’en sert contre Sophie Djigo, professeure déjà menacée par les « Parents vigilants » pour son engagement aux côtés des exilé·es, et Le Figaro publie une tribune collective qui relance la campagne contre « l’islamo-gauchisme » : « Nous ne devons plus tolérer l’intolérable. » Le lendemain, mon nom est jeté en pâture. Cette pratique indigne est dangereuse. Or France Inter laisse dire sans contradiction, reprenant même ces phrases au journal de 13h. L’irresponsabilité des chaînes privées est une chose. Mais qu’en est-il de la responsabilité du service public ?

Le 17 octobre, j’ai envoyé le texte qui précède à Radio France, en demandant un droit de réponse et dans l’émission de 8h20, et dans le journal de 13h. Je précisais dans le courrier qui l’accompagnait que ce texte de 30 lignes (conformément à l’article 6 du Décret n°87-246 du 6 avril 1987 relatif à l’exercice du droit de réponse dans les services de communication audiovisuelle) « pourra au besoin être adapté aux conditions précises de cette double intervention dans le cadre légal du droit de réponse. Je peux bien sûr vous envoyer un enregistrement de mon intervention, ou plutôt deux – celui que j’ai déjà rédigé pour l’émission du samedi "L’invité de 8h20", l’autre plus court pour le journal de 13h. Merci de m’en préciser le format exact. » Un courrier de la direction juridique de Radio France, daté du 20 octobre, m’oppose une fin de non-recevoir : « Votre demande a retenu toute notre attention, néanmoins celle-ci ne répond pas aux conditions de recevabilité qui sont requises par les textes légaux et réglementaires pour l’exercice du droit de réponse applicable aux services de communication audiovisuelle. Nous ne pouvons donc y donner une suite favorable. »

Aucune réponse n’est donnée à ma proposition d’adapter le texte au cadre légal du droit de réponse. Je m’en suis étonné dans un second courrier, daté du 6 novembre, où j’ai réitéré ma demande de droit de réponse, avec un texte allégé qui se terminait par ces mots : « Aujourd’hui plus que jamais, la parole publique porte l’exigence d’une responsabilité. » La lettre qui l’accompagnait précisait ma question : « Je vous envoie mon droit de réponse amendé, après relecture par un avocat. Si, une fois encore, vous le refusiez pourtant, je vous saurais gré de m’en préciser les raisons : les propos tenus sur votre antenne ne justifient-ils pas de droit de réponse ? Ou bien le droit de réponse doit-il être formulé autrement – mais alors, comment ? » Un second courrier de la direction juridique m’a opposé le 20 novembre le même refus, assorti de cette phrase : « Nous tenons à vous préciser que notre réponse s’inscrit dans le respect des dispositions du Décret n°87-246 du 6 avril 1987 qui nous impose simplement de vous indiquer la raison pour laquelle votre demande ne peut être acceptée. » La raison, quelque peu tautologique, c’est que ma demande n’est pas recevable. Pourquoi ? Je n’en saurai pas plus.

Que faire ? L’Université Paris 8 m’a accordé la protection fonctionnelle, comme elle l’avait fait quand j’ai reçu des menaces de mort. Mes frais d’avocat peuvent donc être pris en charge. Reste un problème de fond : pourquoi m’obliger à recourir à la justice ? Pourquoi mon université devrait-elle dépenser de l’argent pour faire respecter mes droits ? Pourquoi devrais-je gaspiller mon énergie pour obtenir un droit de réponse qui m’est dû ? Aujourd’hui, on peut, sur la radio la plus écoutée de France, lancer une accusation et n’étayer ses dires en aucune façon, sans pour autant s’exposer à la moindre contradiction, ni même à une simple demande de précisions. Après quoi, un silence de plomb recouvre ce bruit. En effet, à ce jour, aucun média n’a jugé bon de revenir sur cette accusation menaçante, pourtant reprise par France Inter dans son journal comme une information, ni de me contacter pour y répondre. Ce n’est pas rassurant. Les propos de Caroline Fourest doivent-ils rester sans réponse ? Raconter n’importe quoi prend quelques secondes ; rétablir les faits prend du temps. Je n’ai pas voulu laisser passer ; j’ai donc fait l’effort d’écrire. Mais je me suis heurté à un non-droit de réponse. C’est inquiétant.


Eric Fassin


P.S. : J’ai prévenu Radio France et France Inter de ma demande de droit de réponse sur X le 19 octobre, et après leur double refus, j’ai alerté l’ARCOM le 2 décembre. Je ferai état sur mon blog d’une éventuelle réponse.

 
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Notes

[1Les articles publiés sous forme de « tribune » n’engagent pas collectivement l’association Acrimed, mais seulement leurs auteurs dont nous ne partageons pas nécessairement toutes les positions.

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