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Maux médiatiques : « Extrêmes »

par Philippe Merlant,

Cet article est tiré du Médiacritiques n°42, à commander sur notre boutique en ligne ou à retrouver en librairie.

« Curieuse convergence des deux extrêmes pour ce qui ne serait rien d’autre qu’un Frexit calamiteux » fustige le directeur adjoint du magazine des Échos (3 mai), à propos de la « désobéissance aux traités européens » mise sur la table par La France insoumise. Un mois plus tôt, le rédacteur en chef adjoint du Républicain Lorrain se faisait plus explicite (3 avr.) : « Dans un cercle comme en politique, les extrêmes se rejoignent. […] Des éléments […] concourent à réunir, superposer et finalement confondre les lignes des radicalités d’extrême gauche et d’extrême droite. »

Revoilà la petite musique de la « convergence des extrêmes », jouée par les médias dominants au prix de la mutilation du débat et d’une révision de l’histoire. Indéboulonnable lieu commun : « Mélenchon-Le Pen, le match des populismes » titrait en Une Le Monde en 2012. Les Gilets jaunes ? « C’est une convergence entre les deux extrêmes » avertissait Christophe Barbier (BFM-TV, 11 janv. 2019). Macron recevant une gifle ? Cela « illustre la dangereuse convergence des extrêmes politiques, autour d’une haine commune de sa personne » tonnait Maurice Szafran (Challenges, 13 juin 2021).

Ce « pseudo-théorème » [1] ne date pas d’hier. Dès la Révolution française, les partisans d’une monarchie constitutionnelle suggèrent que les deux extrêmes se rejoignent. Napoléon Bonaparte, Louis-Philippe, Louis-Napoléon Bonaparte et même les radicaux de la Troisième république vont s’engouffrer dans la brèche : tous prétendent, chacun à leur tour, incarner le « juste milieu », censé protéger les Français des extrêmes et de leurs excès.

Car on voit bien l’usage politique auquel se prête un leitmotiv aussi flou : indiquer, face à ces « extrêmes », la seule voie raisonnable. Christophe Barbier : « Vous avez Zemmour, vous avez Mélenchon, vous avez Dupont-Aignan, vous avez Arthaud, vous avez tous ces extrêmes. […] Et ceux qui essayent de continuer à être des gouvernants : dedans, il y a Hidalgo, Jadot, Pécresse, Macron. » (France 2, 2 avr.) Simple comme bonjour, premier mouvement.

En suit un second : la fausse symétrie. Fausse, dans la mesure où les deux « extrêmes » ne font pas du tout l’objet d’un traitement médiatique similaire. La question a d’ailleurs été régulièrement posée pendant la campagne : « Marine Le Pen est-elle d’extrême droite ? » Avec, bien souvent, une réponse négative. En revanche, « l’extrémisme » de La France insoumise semble aller de soi pour l’éditocratie, qui du reste, doit bien construire une « extrême » pour la faire « converger » avec l’autre ! Dès lors, les chiens de garde tiennent à alerter leur auditoire : « En se rapprochant des extrêmes, le Parti socialiste pactise avec les ennemis de la démocratie parlementaire et les ennemis de la liberté » s’indigne L’Opinion (2 mai). Emmanuel Macron « ne donne aucune indication et, du coup, il laisse la place médiatique aux extrêmes ! » panique Léa Salamé (France Inter, 3 mai). « Mélenchon soumet les Verts et le PS à la gauche extrême » s’affole Le Figaro en Une (5 mai). Et Daniel Riolo de s’étouffer : « On s’aperçoit finalement de quelle était la nature profonde des Verts, qui ne sont pas du tout des écolos mais des gens d’extrême gauche, des radicaux ! » (RMC, 3 mai).

Jean-Michel Aphatie synthétise : « Le fond de l’affaire, c’est que ça fait vingt ans qu’on fait une danse [sur le fait que Marine Le Pen n’est pas républicaine]. Et la France insoumise, elle est comment ? Quel attachement à la démocratie et aux valeurs ? » (LCI, 29 avr.) La palme revient – peut-on s’en étonner ? – à Franz-Olivier Giesbert. Le 15 avril, invité de CNews, il avance : « Je ne dirais pas que Marine Le Pen est d’extrême droite. » De retour sur la même chaîne douze jours plus tard, il affirme que « l’extrême gauche a réussi l’exploit de faire croire qu’elle était la gauche. […] Les Insoumis ont une stratégie très claire : c’est l’extrême ! ». De dérapage en dérapage, au final, il ne reste plus qu’un seul extrême. Le tour est joué.


Philippe Merlant

 
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Notes

[1Lire « Les extrêmes se rejoignent… », Le Monde diplomatique, avril 2019.

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