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Matinée à suspense sur France Inter : « Lionel Jospin, à 8h20 »

par Mathias Reymond,

C’est la rentrée politique. Mais c’est aussi la rentrée médiatique sur France Inter. Nicolas Demorand, transfuge de France Culture, hérite du 7-9 - devenu 7-9h30 - auparavant animé par Stéphane Paoli. La lourde tâche pour le nouvel animateur consistera à savoir si Lionel Jospin souhaite être candidat à la candidature du Parti Socialiste. Car oui, ce matin-là, le 4 septembre 2006, l’ancien Premier Ministre était l’invité de France Inter. Si vous ne le saviez pas...


6h59

Lors de sa première intervention matinale, juste avant 7h, Nicolas Demorand annonce que le «  premier invité de la saison sur Inter, c’est Lionel Jospin », et s’interroge : « il nous dira peut-être tout à l’heure, s’il a des projets pour 2006-2007. »

7h00

Puis, histoire d’entretenir le suspense, le premier journal s’ouvre ainsi : « Bonjour, à la une ce matin, l’événement politique sur Inter : Lionel Jospin est l’invité de Nicolas Demorand à 8 heures 20, il répondra à vos questions avant 9 heures, sera-t-il candidat à la présidentielle, il est disponible, de quel poids pèse-t-il au PS ? ». Après ces interrogations qui vont être récurrentes durant 1h20, le premier sujet porte naturellement sur les postulants à la candidature au sein du PS : « C’est en novembre que les membres du PS désigneront leur candidat à l’Elysée, Lionel Jospin est disponible, il l’a dit en juillet. » Et de nous rappeler que « ce matin, l’ancien premier ministre fait sa rentrée sur France Inter, à 8h20, il répondra donc aux questions de Nicolas Demorand, puis à vos questions dans « Inter’active » (...) C’est l’événement politique du jour. De quel poids Lionel Jospin pèse-t-il aujourd’hui au PS ? Peut-il devancer Ségolène Royal en novembre ? »

Ensuite vient un reportage sur le potentiel postulant socialiste, dans lequel on lui oppose Ségolène Royal et MM. Strauss-Kahn et Hollande. Reportage qui se termine par une prédiction non dépourvue d’impatience : « Lionel Jospin compte sur ce mois utile, septembre, pour relancer sa candidature ».

7h30

Au cours du journal de 7h30, on apostrophe l’auditeur inattentif ou à peine éveillé : ce matin c’est la « rentrée politique également sur France Inter : Lionel Jospin est l’invité de Nicolas Demorand à 8h20 » et quelques minutes plus tard, la journaliste accentue le trait : « Lionel Jospin (...) sera en direct en studio avec vous Nicolas, tout à l’heure à 8h20, l’ancien premier ministre répondra également aux auditeurs dans « Inter’active après la revue de presse. »

7h45

Le journal terminé, c’est Hélène Jouan qui entame son éditorial politique en insistant sur le fait que « Lionel Jospin revient sur France Inter dans quelques minutes. » Plus que 35 minutes à tenir... Mais, attentif à la qualité de sa première émission, Nicolas Demorand, juste après la chronique, n’hésite pas à révéler que « l’invité de France Inter est, ce matin, Lionel Jospin. » Et de quoi va-t-on parler ? « Voilà, on lui posera un certain nombre de questions sur les 12 mois qui sont devant nous et sur son emploi du temps pour 2006/2007. »

8h00

Présent dans le studio depuis quelques minutes, Patrick Roger, le présentateur du journal de 8h, craque : « Impossible d’y échapper, la campagne a démarré, quelles sont les intentions précises de Lionel Jospin ? L’ancien premier ministre sur France Inter tout à l’heure à 8h20. » Puis un reportage sur les déçus de Lionel Jospin parmi les militants du PS permet néanmoins de rappeler une neuvième fois avant le moment fatidique que l’ancien 1er ministre sera « l’invité sur France Inter ». Ensuite, on enchaîne sur un « zoom » à propos de l’équipe Jospin (Vaillant, Delanoë, Claude Allègre...), et ? « Et Lionel Jospin qui répondra donc aux questions de Nicolas Demorand tout à l’heure à 8h20 »

L’heure H : 8h20

Suspense insoutenable, ambiance électrique, il est 8h20. La première question de Nicolas Demorand est directe, sans complaisance : « Serez-vous candidat à la prochaine présidentielle ? » Jospin répond qu’il est encore trop tôt pour se prononcer et qu’il préfère débattre. Nicolas Demorand revient à la charge et ne pose plus que des questions à sens unique. Depuis 7h, l’équipe de France Inter ne cesse de rappeler que Lionel Jospin pourrait bien annoncer sa candidature, le capitaine de la matinale ne doit pas décevoir : « On a un certain nombre de questions à vous poser et avant de venir sur les questions de fond... Mais on sait très bien qu’une présidentielle est portée par une personne en particulier. Donc c’est un peu tôt pour le dire, mais votre décision est prise ou non ? » Lionel Jospin répond qu’il se tient disponible, et qu’il peut « assumer » le rôle de chef d’Etat. Réponse qui ne satisfait pas Demorand : « Ça sonne presque comme un oui Lionel Jospin, ou un oui peut-être, ou un oui on verra... » Et quelques secondes plus tard : « On sent une envie chez vous Lionel Jospin d’y aller, c’est une envie de quoi ? De revanche ? Ou de peser ? »

Puis, évitant d’aborder le fond, l’animateur embraye sur Ségolène Royal :

- ND : Et comment voyez-vous le rapport de force qui place Ségolène Royal dans les sondages très largement en tête de tous les autres candidats possibles chez les socialistes ?

- LJ : Je suis attentif aux sondages...

- ND (le coupe) : Mais dites le moi franchement, Lionel Jospin, comment voyez vous cette première place ?

A aucun moment, Nicolas Demorand n’aborde vraiment les problèmes économiques et sociaux et les questions internationales. Quand elles sont effleurées, c’est uniquement par rapport à Ségolène Royal - et même pas par rapport à la droite. Exemples : « Sur le fond, comment lisez-vous les différentes déclarations de Ségolène Royal ? » Ou encore : « Comment jugez-vous ses idées ? »

Finalement, une dizaine de questions uniquement centrées sur la candidature Jospin et la candidature Royal. Pour les vraies questions de fond, il faudra repasser ou attendre la prise de parole des auditeurs.

9h00

Cette tranche matinale est caractéristique de la posture des médias en temps de campagne. Le fond est évincé d’emblée, parce qu’il est censé « ennuyer les auditeurs », mais surtout parce qu’il supposerait un véritable travail d’analyse de la part des journalistes politiques qui préfèrent s’en tenir au petit jeu des ambitions personnelles et aux petites phrases fabriquées par les conseillers en communication et prononcées par les hommes politiques à destination des médias. Entretenant un suspense pendant 1h20 sur le service public, pour, finalement, ne rien apprendre aux auditeurs - puisque dès le premier journal, il était rappelé que Lionel Jospin était disponible (« Lionel Jospin est disponible, il l’a dit en juillet ») - France Inter n’a pas vraiment rempli la mission de service public que l’on est en droit d’attendre d’une radio publique.

On aurait pu croire naïvement que Nicolas Demorand allait apporter un peu de l’esprit de France Culture, en changeant de station. Mais, le matin notamment, l’esprit de France Culture n’est plus qu’un souvenir et, avec Nicolas Demorand, la station ressemblait déjà à France Inter [1].

Mathias Reymond

 
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Notes

[1L’animateur a récemment été distingué par la Laisse d’or, attribuée par le Plan B.

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