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Macron réélu : les chiens de garde sécurisent le périmètre de la « démocratie »

par Maxime Friot,

Aussitôt la réélection d’Emmanuel Macron, les poids lourds médiatiques assurent le service après-vente. Dire du président qu’il a été « mal élu » ? C’est « ébranler la légitimité du vote, et par là même les fondements de la démocratie représentative » pour Le Monde. C’est « alimenter une défiance dans les institutions, dans notre système démocratique » pour David Pujadas. Des syndicats qui souhaitent être pris en compte ? « C’est factieux ! » s’indigne Jean-Michel Aphatie.

Dès le lendemain du deuxième tour de l’élection présidentielle, David Pujadas, dans son émission « 24h Pujadas » (LCI, 25/04), s’agace :

Il y a des jours où le bruit de fond médiatique et politique peut agacer légèrement. Qu’est-ce qu’un président « bien élu » ? Depuis hier soir, on n’entend pratiquement qu’une seule musique. « Emmanuel Macron a gagné mais en fait il a un peu perdu », « Emmanuel Macron n’est pas complètement légitime », « Emmanuel Macron est réélu par effraction », « Emmanuel Macron doit élargir son équipe, il doit faire profil bas, il doit amender son programme, il doit marcher sur des œufs ». Donc, un président qui fait 58% des voix, c’est trop peu. Combien faut-il ? 70% ? 80% ? 90% pourquoi pas, il faudrait l’inscrire dans la loi. Ah et puis pour être légitime, il ne faut pas être élu face à Marine Le Pen, ça ne compte pas, elle est une anomalie. Peu importe que les électeurs l’aient choisie pour le second tour, ça n’est que le suffrage universel après tout. Alors qu’on apprécie ou pas Emmanuel Macron, la question est la même : quand va-t-on cesser de saper la règle démocratique qu’est une élection ? Quand va-t-on arrêter d’alimenter une défiance dans les institutions, dans notre système démocratique, que nous sommes par ailleurs les premiers en général à dénoncer ?


13,7 millions d’abstentionnistes, 3 millions de suffrages blancs et nuls ? Ça ne compte pas. Des électeurs de gauche ayant voté Emmanuel Macron uniquement pour faire barrage à Marine Le Pen ? Ça ne compte pas. Ce qui compte, pour David Pujadas, c’est qu’Emmanuel Macron ait gagné. Quitte à faire comme si les élections législatives à venir n’existaient pas, le grand démocrate appelle à laisser les mains libres à Emmanuel Macron :

Et si au contraire on laissait les élus, quelle que soit la manière dont ils sont élus, appliquer pleinement leur programme ? Un élu de gauche faire un programme de gauche, un élu de droite faire un programme de droite, un élu d’extrême centre, comme se définit Emmanuel Macron, qu’on l’approuve ou pas, réaliser son programme puisqu’il a été validé par les Français. Et si c’était justement l’immobilisme et la confusion, bref le sentiment d’impuissance publique qui nourrissait cette défiance, cet éloignement des politiques qu’on ne cesse de déplorer. Alors ce n’est qu’une question, mais c’est une question.


Une cohabitation ? Sur le plateau, l’hypothèse est largement évacuée : « Je dirais qu’il n’y aura pas de cohabitation » (Sophie Coignard, Le Point) ; « Je ne le pense pas et surtout je ne le souhaite pas » (Louis de Raguenel, Europe 1), « Non souhaitable, absolument ! » (Nicolas Bouzou)

Pas de place non plus pour la critique du côté du Monde : « Contester la légitimité de l’élection présidentielle, un jeu dangereux » titre le journal de référence dans son édito du 27 avril. Là aussi, on dénonce « une musique insidieuse [qui] se propage, visant à remettre en cause la légitimité de son élection. » Faire campagne pour les élections législatives ? Quasiment un crime de lèse-majesté :

La contestation est rallumée par la gauche radicale, qui cherche à mobiliser ses troupes en vue des élections législatives de juin. En prétendant se faire « élire » premier ministre et en dépeignant Emmnanuel [sic] Macron comme le président de la République « le plus mal élu de la Ve République », Jean-Luc Mélenchon poursuit sa tentative de dynamitage des institutions et sa contestation d’un adversaire auquel il dénie depuis cinq ans le droit de mener sa politique.


Ou encore, plus loin : « Mais leur jeu [la droite et « les extrêmes »], qui consiste à prétendre aux fonctions électives tout en en contestant les règles, est particulièrement pervers. » Avant de conclure : « Tous ceux qui s’amusent à ébranler la légitimité du vote, et par là même les fondements de la démocratie représentative, feraient mieux de réfléchir au moyen de réintéresser les électeurs. »

La veille sur LCI (26/04), c’est Jean-Michel Aphatie qui poussait des cris d’orfraie :

Le fond de l’air est factieux. En France. Factieux, vraiment. Laurent Berger, on n’est pas habitués : Laurent Berger c’est un gentil garçon républicain, il signe une tribune dans Le Monde. Comment est-elle intitulée cette tribune ? « [Monsieur le président,] Vous ne pourrez pas relever ces défis tout seul ». Mais justement, 58% des voix, 18 millions de suffrages. Tout seul ? L’élu du suffrage universel, tout seul ? Bah bien sûr c’est un homme qui est élu, mais il n’est pas tout seul, il a le peuple derrière lui ! « Non, non il est tout seul. » Comment explique ceci Laurent Berger ? Laurent Berger, pas un révolutionnaire ! Laurent Berger, comment il l’explique ? Dans sa tribune, il explique ceci : M. Macron, on va voir, on a voté pour vous mais on ne vous a pas donné nos voix. Ah bah, vaut mieux tout arrêter tout de suite ! Même pas la peine de commencer ! Si Emmanuel Macron n’a eu que des votes et pas des voix… Stop, on arrête tout, on arrête la cinquième [République], on fait la sixième, la septième, on nomme Marine Le Pen, je ne sais pas ce qu’on fait, c’est n’importe… c’est très grave ! En fait, c’est factieux !


D’autres factieux ? Oui, « Philippe Martinez, qui dit une parole qui a l’air d’une banalité mais dans le contexte quand on y réfléchit quand même… » La « parole factieuse » en question ? Avoir critiqué le recours au 49.3 pour la réforme des retraites (non exclu par deux ministres) en disant : « C’est le contraire du dialogue et de la concertation. C’est un passage en force. » (Philippe Martinez, RMC, 26/04) Et Aphatie de délégitimer par avance les mobilisations sociales : Emmanuel Macron « a dit ce qu’il ferait pour les retraites […]. Là, c’est très clair, donc il y a un mandat populaire ». Entendre : 1. la contestation ne sera pas légitime ; 2. les élections législatives n’existent pas. Il continue : « Le fond de l’air est factieux. Pour tout ça. Parce que nous perdons de vue des choses simples : Emmanuel Macron est élu, son programme est clair, le 49.3 est constitutionnel. »


***


À peine trois jours après le second tour, les tirs de barrage des hauts gradés médiatiques fusent contre toute forme de contestation – que cette dernière prenne la forme de prise de position publique, de campagne électorale (pour les législatives) ou d’organisation collective (syndicale et politique, en vue de la réforme des retraites). De quoi donner un sérieux avant-goût des violences médiatiques à venir…


Maxime Friot

 
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